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Algérie : les supporteurs de foot, fer de lance de la contestation

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Chants, slogans, confrontations avec les forces de l’ordre… La culture du stade est omniprésente dans les manifestations contre le régime d’Abdelaziz Bouteflika. – Voici un excellent article du journal Le Monde qu’on recommande à nos lecteurs –

Qui remettra le trophée de la Coupe d’Algérie de football début mai ? Alors que les matchs ont repris depuis une semaine, la question est posée. La finale de l’événement est traditionnellement l’occasion pour les supporteurs de se défouler, à coups de chants et de slogans, sur le président ou sur le premier ministre, présent au stade pour l’occasion, pendant que la télévision publique baisse le son…

Depuis les premières manifestations en Algérie, les supporteurs sont aux premières loges. Le 1er mars, lors du second vendredi de contestation, plusieurs groupes se sont opposés à la police près du siège de la présidence. Les supporteurs ne créent pas l’événement politique, mais le stade en Algérie, comme dans les pays voisins où les espaces de liberté sont limités, est un exutoire de la colère des jeunes, largement dirigée contre les autorités. Pas étonnant que, dès les premières manifestations, les matchs aient été suspendus.

Oubliées, les rivalités entre clubs

Le 23 février, Hamid* se prépare à aller au stade quand l’info tombe, vers 13 heures : le match qui devait opposer le Mouloudia d’Alger, son club, au Mouloudia d’Oran, à 17 h 45, est « reporté à une date ultérieure ». Déçu par le caractère tardif de l’annonce, le jeune homme s’avoue néanmoins soulagé : « Je suis épuisé. J’ai marché cinq heures hier », raconte-t-il, faisant allusion à la première manifestation de masse organisée contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat et pour le changement d’un régime au fonctionnement opaque. Pour Hamid comme pour ses amis du quartier de Bab El Oued, pas question de rater l’occasion.

L’appel à manifester a été lancé pour après la grande prière de dhohr. A partir de 13 h 45, les gens commencent à affluer vers les places symboliques d’Alger. Là, le « savoir-faire » des fans de football, d’habitude volontiers relégués à un statut de voyous, ne tarde pas à s’exprimer. Quelques kilomètres à l’est de Bab El Oued, vers 14 heures, ils sont des milliers à descendre des hauteurs de Belouizdad en rangs serrés, le pas décidé, entonnant des chants avec la justesse d’une chorale, en direction de la place du 1er-Mai. L’influence des fans du Chabab Belouizdad, par ailleurs ennemis intimes du Mouloudia d’Alger, est évidente. Tournée dans le métro, une vidéo de ces derniers entonnant des textes hostiles au président avait déjà fait le buzz une semaine plus tôt sur les réseaux sociaux. C’est ce même chant qui est repris le 22 février : « Bouteflika le Marocain [il est né à Oujda], il n’y aura pas de cinquième mandat ! »

A l’est de la capitale, sur le trajet qui mène à la place des Martyrs, point de ralliement des habitants de Bab El Oued, « chaque membre ultra retrouve ses camarades », raconte Hamid, biberonné au stade mais qui ne fait plus partie de ces groupes régis par des principes tels que l’autofinancement et l’indépendance. « C’est de là qu’ils tirent leur force », dit-il. Afin d’y ouvrir une brèche, les ultras se collent au plus près des cordons de CRS positionnés pour empêcher les manifestants de se rejoindre. Dans les stades, c’est l’un de leurs jeux préférés, lorsqu’ils tentent de sortir des gradins où ils sont confinés pour être mieux contrôlés. Mais l’ambiance dans la manifestation est plus « pacifique ». Le terme, en arabe (« silmiliya »), est d’ailleurs devenu un mot d’ordre. Quant aux rivalités entre clubs, elles sont oubliées : « Ce sont tous des frères », assure Hamid. La même fraternité avait prévalu place Tahrir, au Caire, entre ultras d’Al Ahly et de Zamalek, qui avaient payé un lourd tribut lors de la chute de Moubarak, ainsi qu’entre supporteurs tunisois lors de la révolution de 2011.

La veille de la manifestation du 22 février, une photo a même circulé sur Facebook, appelant à n’y participer ni en qamis, pour ne pas laisser penser à une récupération du mouvement par les islamistes, ni avec le maillot de son club, pour ne pas importer de différends footballistiques.

Mal de vivre, drogue, corruption…

Football ou mosquée ? Parfois les deux, comme durant la guerre civile des années 1990, lorsque les stades résonnaient de chants en faveur du Front islamique du salut (FIS) ou du Groupe islamique armé (GIA). De la provocation pour certains, comme lorsque les fans invoquent la Camorra, Pablo Escobar et tout autre ennemi de l’Etat, mais pas seulement. Gloire ultime, les supporteurs de l’AS Aïn M’lila et de l’Union sportive de la médina d’Alger (USMA) ont réussi à provoquer deux mini-crises diplomatiques, en 2017 et 2018, face à des équipes irakienne et saoudienne, quand ils ont scandé le nom de Saddam Hussein et déployé une banderole qui faisait du roi Salmane et de Donald Trump « les deux faces d’une même pièce ».

Outre l’amour de leur club, les chants évoquent le mal de vivre, la drogue, la corruption des puissants et tout autre thème d’actualité. « Cette année, ils parlent souvent de la “harraga” [émigration clandestine par la mer], car beaucoup d’enfants de nos quartiers sont partis sans qu’on n’entende plus parler d’eux », explique Hamid. L’autre thème d’actualité concerne évidemment la présidentielle. L’un des tubes actuels, « La Casa del Mouradia » (El Mouradia désignant la présidence de la République), écrit en 2018 par le groupe Ouled El Bahdja, fan de l’USMA, est repris d’une seule voix dans les marches. Dans une référence à « La Casa de papel », une série Netflix à succès, le texte fait défiler les quatre mandats présidentiels et évoque le cinquième : « Au premier, ils nous ont eus avec la décennie noire [et la nécessité d’une réconciliation nationale] ; au deuxième, c’est devenu plus clair, c’est la Casa del Mouradia ; au troisième, le pays s’est amaigri à cause des intérêts personnels ; au quatrième, la marionnette est morte, mais l’affaire continue ; le cinquième va suivre, c’est déjà acté. »

Redouane*, un ultra influent du Mouloudia d’Alger, explique avoir commencé à aller au stade à 4 ans et à écrire ses premiers chants au lycée, « dans des moments d’inspiration ». Une fois ceux-ci rédigés, encore aujourd’hui, il les partage avec quelques membres de son groupe, les peaufine, les enregistre en studio puis les édite sur YouTube, parfois avec les textes défilant façon karaoké. Le week-end, ils sont des milliers à les connaître par cœur. Au contraire de certains auteurs vedettes, lui préfère rester discret, même s’il ne doute pas du fait que les autorités savent tout de ses activités. Il admet en conséquence qu’« il ne faut pas être frontal », sa main évitant un obstacle imaginaire pour passer sur le côté.

Une chanson contre Saïd Bouteflika

Pour n’avoir pas assez évité l’obstacle, l’un des auteurs de « La Casa del Mouradia » aurait reçu la visite de la police deux jours avant la manifestation du 22 février. « Ils l’ont arrêté puis relâché, croit savoir un supporteur. Peut-être lui ont-ils demandé de rester un peu discret… » Il poursuit : « Les chants nous donnent vraiment de la force. Dans le stade, les messages politiques sont ceux qui font le plus monter la colère et l’excitation en nous, tout comme chez les policiers, en face, qui remontent leurs protège-tibias et serrent leurs matraques. »

La diffusion des chants ne passe pas que par le stade et Rachid*, directeur des ressources humaines dans une entreprise, avoue acheter parfois des CD, « pour les textes ». Cela explique que de nombreux manifestants les reprennent en chœur. C’est notamment le cas de « Chkoun sbabna ? », de l’Union sportive de madinet El Harrach, qui demande : « Qui est la cause de notre malheur ? » – la réponse étant évidemment « le pouvoir » ; ou encore de « 3am Saïd » (« bonne année »), écrite pour le réveillon 2019 et qui est un jeu de mots à travers lequel une heureuse année est souhaitée à Saïd Bouteflika (« saïd » signifie « heureux »), accusé de concentrer la réalité du pouvoir de son président de frère.

Enfin, « Fi Bladi Dalmouni » (« dans mon pays on m’a maltraité »), qui connaît un certain succès, vient du… Raja de Casablanca, au Maroc, dont les ultras sont proches de ceux du Mouloudia d’Alger. Le titre, qui évoque l’accaparement des richesses par un régime corrompu, a connu un large écho dans le monde arabe.

 Article publié sur Le Monde

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