Amar Benikhlef, vice-champion olympique de judo à Pékin en 2008, s’est rendu aux JO 2020 de Tokyo en tant qu’entraîneur de Fethi Nourine. Il y a 13 ans, Benikhlef était revenu avec l’argent autour du cou. Mercredi, il est rentré à Alger avant l’heure avec son athlète car ils ont été priés de quitter le village olympique. Sanction décidée après le boycott, par lui et Nourine, des compétitions du judo afin de ne pas affronter un adversaire de l’« entité sioniste ». Dans cet entretien accordé à La Gazette du Fennec, l’enfant de Bourouba évoque les coulisses de ce retrait, la réaction des officiels algériens et charge ceux qui « veulent du mal au sport algérien et au judo ».
LGDF : Amar, tu te doutes qu’on t’a appelé par rapport au retrait de Nourine et tout ce qui en a découlé. Tout semblait bien planifié avant que Fethi ne fasse ses déclarations qui sont parvenues au CIO…
Benikhlef : Effectivement. Comme à chaque compétition, avec Fethi, on avait un plan initial dans le cas où le tirage au sort nous met face à un combattant de l’entité sioniste. Le verdict du tirage au sort est tombé à 14h japonaise. Pendant 7 heures, aucun membre des officiels de notre délégation n’a semblé bousculé par le fait d’avoir un éventuel combat avec un Israélien. Ce n’est qu’après que Fethi a fait part de sa décision à une chaîne de télévision algérienne que les choses sont allées vite.
Justement, ne penses-tu pas que Nourine n’aurait pas dû faire de déclarations à ce propos pour ne pas avoir de problème ?
Ce n’est pas les déclarations qui sont le problème. Moi, ce que j’aimerais savoir, c’est comment le CIO a pu se rendre compte de leur existence ?
Est-ce que Benikhlef veut dire qu’il y a eu une personne qui a servi de mouchard dans cette affaire ?
Je ne peux rien affirmer. Mais je trouve ça très étrange. Boulmerka a été convoquée. On nous a dit que toute la délégation risquait d’être suspendue si on ne signait pas une déclaration attestant que la décision a été prise à titre personnelle et n’avait rien avec la position collective. Pour protéger nos compatriotes, on a signé le document.
« L’Algérie ne normalisera jamais ses relations avec un occupant ! »
Beaucoup ont dit que Mustapha Berraf a intervenu pour que l’affaire ne prenne pas plus d’ampleur. Tu le confirmes ?
Tout au long de mon séjour, je n’ai jamais croisé Berraf. Je ne peux rien confirmer à ce sujet. Par contre, je sais qu’il me doit toujours de l’argent du temps où j’étais athlète et que je n’ai toujours pas perçu…
Est-ce vrai que vos accréditions vous ont été enlevées ?
Mon accréditation est toujours chez moi. Mais oui, on nous les a bloquées après cet épisode.
Comme tu dois le savoir, cette mesure est prise quand la Charte olympique est transgressée. En parlant de cette dernière, vu que tu étais un athlète de haut niveau, tu dois savoir que dans toute compétition il y a une Charte ou un règlement à respecter. Dans les épreuves internationales, on est amené à croiser des athlètes en provenance des quatre coins du monde. Penses-tu qu’on sera peut-être carrément amené à ne pas se déplacer pour ce genre d’événements sportifs à l’avenir ?
C’est vrai qu’il y a une réglementation. Mais je pense que quand il s’agit de soutenir la cause d’un peuple opprimé, tout cela s’annule. L’Algérie ne normalisera jamais ses relations avec un occupant de l’avis même de la Présidence de la République qui a été claire sur ce point. On doit juste savoir quelle stratégie adopter pour ne pas être contraint d’affronter des représentants sionistes et s’éviter les sanctions. On l’a déjà fait moi et Nourine aux Mondiaux-2019 sans avoir de problèmes (NDLR : Fethi Nourine avait déjà déclaré forfait face à ce même adversaire en 2019).
« Hammad n’a pas la stature ni les compétences pour être président du COA. Personne n’est à la bonne place ! »
En parlant de sanctions, il se dit que Nourine et toi encourez une suspension de quatre ans…
En effet oui. Mais la sanction n’a pas encore été prononcée officiellement. On attend. Nous avions agi par conviction et nous sommes prêts à assumer les conséquences.
Le Comité olympique algérien (COA) n’a pas réagi à votre retrait…
On ne s’attendait pas à ce qu’il y ait une réaction officielle. Surtout que les représentants là-bas n’ont pas trop compris l’enjeu et la symbolique de notre démarche Nourine et moi.
Tu avais chargé Hammad et son bureau avant de vous envoler vers Tokyo. T’en avais déjà beaucoup sur le cœur et tu as semblé dégoûté par l’attitude des responsables du sport algérien ?
Beaucoup de personnes ne servent pas l’intérêt du sport algérien. Personne n’est à la bonne place. Quelqu’un qui ne détient qu’un diplôme d’éducateur à la DJS de Tipaza ne peut pas être président du COA. Il n’a ni les compétences ni la stature pour cette mission.
« Le président de la FAJ a été imposé par Meridja et Souakri. Tout le monde cherche à servir ses intérêts personnels »
Tes propos semblent déranger. Penses-tu que le fait de t’infliger une suspension de 4 ans est une occasion pour te mettre hors d’état de nuire ?
Je les dérange parce que je dénonce leur incompétence. Et je les dérangerai toujours même s’ils me suspendent. Je ne vais jamais me taire.
Lyes Bouyakoub, un autre judoka avec qui tu es très proche, a pointé du doigt la politique du président de la Fédération algérienne de judo (FAJ), Yacine Silini, et sa désolidarisation en marge de ce forfait. Bouyakoub a aussi évoqué le fait que « des personnes établies en Angleterre donnent des injonctions à Silini » pour te fragiliser. Parlait-il de Mohamed Meridja ?
Oui. C’est lui qui l’a mis en place avec Salima Souakri pour garder la main sur le judo algérien. Tout le monde cherche à servir ses intérêts personnels. C’est les athlètes qui seront les grands perdants.
Nourine pourrait perdre gros si jamais il est suspendu. A 29 ans, peut-on dire que sa carrière sera terminée ?
Fethi connaissait les risques et ses convictions étaient plus fortes que tout. Ce qu’il a fait est courageux et honorable. Et ça n’a pas de prix car il a gagné le respect de ceux qui sont pour la cause palestinienne.