Son nom restera gravé à jamais dans les mémoires du football algérien. Abdelhamid Zouba est décédé à l’âge de 86 ans en laissant derrière lui des titres et un parcours exemplaire. Joueur de la glorieuse équipe du FLN, Zouba a surtout connu une riche carrière d’entraineur avec un triplé historique avec le MC Alger en 1976 et pas moins de 4 passages à la tête des Verts. Avec le récit de l’historien du sport Stanislas Frenkiel, voici le parcours d’un homme qui incontestablement marqué à tout jamais le football algérien.
Abdelhamid Zouba* est l’aîné d’une famille (d’origine kabyle) pauvre de 10 enfants. Il grandit à Saint-Eugène (Bologhine) à Alger, et plus précisément dans l’un des quartiers les plus démunis : le « quartier Chnawa » ou « Chinois », référence aux innombrables enfants musulmans qui y abondent.
Comme les autres footballeurs rencontrés, il connaît une grande misère lors de son enfance : père journalier, illettré, subissant les effets de la relégation sociale et des discriminations bien avant le déclenchement de la Guerre d’Algérie, peu de lien direct avec la culture française (« à la maison on parlait arabe et kabyle, nos parents faisaient la prière »)… Mais de tous, c’est pourtant lui qui est le plus explicite quand il revient sur son attachement profond au football et son envie de venir jouer et travailler en France. La France, dont il entendait constamment parler depuis les hauteurs de Notre-Dame d’Afrique… Il se souvient : « nous étions à six dans une chambre au rez-de-chaussée. Et c’est ce besoin d’améliorer les conditions de vie qui a fait que… On s’est débrouillé. Qui a fait que on s’est accroché à cette carrière de footballeur ». Peu de loisirs, excepté le cinéma et la plage… « Souvent, on descendait vers Bab-el-Oued pour voir si il y avait du travail et alors, c’était n’importe quoi. Un menuisier, un plombier, un pâtissier… Et alors il y en a un qui rentrait, le plus courageux… « Bonjour Monsieur, est-ce que vous avez besoin d’un commis » ? « Non » ou « oui, tu viens ». Moi, on me donnait du travail comme ça. Ça durait deux jours, ça durait un mois, ça durait trois mois tout en jouant au football ». Alors qu’il décrit les rapports entre musulmans et « Français d’Algérie » comme étant très distants et méfiants et les échanges quasi inexistants, il découvre le football dans la rue, pieds nus… Réticence familiale et violence paternelle sont au rendez-vous pour Abdelhamid Zouba*, jeune sportif, dont la scolarité a complètement été interrompue par la Seconde Guerre Mondiale. « En 39, j’avais 4 ans, nous sommes allés en Kabylie pour échapper aux bombes etcetera. Donc, on revient en 45 46, j’ai déjà dépassé 10 11 ans. L’école, c’était terminé, c’est fini, c’était la misère au retour pour les Français comme pour nous donc, il a fallu se débrouiller ». Effectivement, il fut « battu à mort » par son père (« jouer au foot, c’était me détourner de la réalité de trouver un travail ») avant qu’il ne le soutienne. Comment ce changement intervient ?
Inscrit au club musulman de l’O.M.S.E. (tout d’abord dans la section natation, il est champion d’Alger de 50 mètres) dans la section football, il passe au club rival européen, l’A.S.S.E dont les stars le faisaient rêver… « Pourquoi je quitte l’O.M.S.E. pour l’A.S.S.E. ? C’est pour le travail. Je me suis retrouvé à travailler au port. J’aidais ma famille etcetera et puis, je m’habillais correctement parce que à l’A.S.S.E., c’était une autre dimension que l’O.M.S.E. Et en plus, on était payé par semaine. Même si ça n’a pas été évident de déménager dans le quartier européen, mon statut avait évolué dans la maison. Dans la maison mais également à l’extérieur « parce que les Français de Saint-Eugène étaient supporters de l’A.S.S.E. Après, quand je jouais dans l’équipe première à l’A.S.S.E. « Salut Hamid. Salut. Tu vas bien ? Qu’est ce que tu prends ? Diabolo menthe, citron » ? J’entrais désormais dans les cafés ». Suite à la proposition d’un intermédiaire, il embarque sur le « Ville d’Oran », désireux de laisser derrière lui ce « gouffre » social, et évolue de 1955 à 1958 dans le club amateur de Niort, où il est bien reçu et pris en charge intégralement (pension chez un couple âgé). En pleine Guerre d’Algérie, il ne dit subir d’aucune forme de discriminations au sein de l’équipe (« mon carême a surpris mais cela a été accepté ») mais parfois par quelques supporters de l’équipe adverse.
Ce qui est remarquable dans la carrière d’Abdelhamid Zouba*, c’est bien d’une part sa soif de revanche sociale et d’autre part, son « obsession d’apprendre » mêlée à la passion de l’entraînement. Ainsi, tout en s’affirmant solidement sportivement et en étant adopté par les supporters, il demande à travailler dans une librairie car il « voulait l’étude ». Tout y passe: autant les manuels sportifs (entraînement) que les classiques de la littérature française… « J’avais tellement faim que je suis arrivé à cette époque là à lire Montesquieu. C’était, maintenant, je me rends compte… Après, on me guidait, j’ai lu Bernanos, j’ai lu Gide que j’ai beaucoup aimé. Je ne voulais pas perdre mon temps ». Contacté évidemment en toute discrétion, il rejoint dans une seconde vague en juillet 1958 l’Equipe du F.L.N. avec d’autres footballeurs professionnels (Bouchache, Ibrir, Mazouza et les frères Soukhane), il fait ses premières armes d’entraîneur au sein de la J.S.M. Monastir jusqu’en 1960 avec un Allemand. En parallèle, à travers quelques tournées, il se dit fier d’avoir contribué -par le football- à modifier et à rendre plus positive l’image de la lutte du peuple algérien. Il formule ainsi tout l’esprit de l’Équipe du F.L.N.: « la France, ce n’était pas notre ennemi. Au contraire, nous étions entrés très facilement dans la société, dans les clubs. Mais, nous étions engagés avec le FLN contre ce qui se passait en Algérie, avec les Français d’Algérie, dont nous étions les victimes ! Et moi le premier ».
Puis, en 1962, une fois l’Algérie devenue algérienne, il arrive sans un sou à Zurich (directement depuis Tunis). Après avoir suivi un stage d’entraîneur de 15 jours à Macolin, il devient entraîneur-joueur dans les équipes professionnelles de Granges, Neuchâtel puis de Berne, en bénéficiant des conseils de l’un de ses « pères spirituels » Jean Snella. Jean Snella pour qui il éprouve autant d’estime que George Boulogne et Kader Firoud qu’il rejoint à Nîmes de 1964 à 1966. Il est alors joueur mais aussi fidèle assistant de ce célèbre et charismatique entraîneur oranais : « j’étais en formation, je jouais et bien sûr je regardais Firoud faire, se comporter etcetera. Constamment en train de lui poser des questions et je lui ai avoué le but de la manœuvre : apprendre le métier d’entraîneur ». Firoud quittant Nîmes pour Toulouse, il retourne en Algérie. De 1966 à 1969, il est entraîneur-joueur à l’U.S.M.Bellabès, Boufarik avant de revenir à Bellabès. Pourtant, c’est quand il « enlève les crampons » que sa carrière footballistique atteint les sommets…
En effet, il devient ensuite entraîneur de l’A.S. Onaco, du Mouloudia d’Alger avec lequel il gagne en 1975 le titre de Champion d’Algérie et en 1976 la bagatelle de trois titres (Champion d’Algérie, Vainqueur de la Coupe d’Algérie et de la prestigieuse Coupe d’Afrique des Clubs Champions) puis entraîne huit années en Libye avant de resigner en 1985-1986 à la Casoral. Parallèlement, son nom est intiment lié à celui de l’équipe nationale algérienne: déjà, de 1966 à 1969, il entraînait les Espoirs avec Abdelaziz Ben Tifour, des Juniors (1995) et est à cinq reprises sélectionneur des Seniors : (décembre 1970 – avril 1971), (septembre 1982 – janvier 1984), (septembre 1996 – février 1997), (mars 2001 – juillet 2001) et (août 2002 – janvier 2003). Après l’incompréhension des autorités fédérales et ministérielles vis-à-vis de son désir de voir se développer des centres de formation en Algérie, il se retire du football en 2003 et le « suit aujourd’hui de loin ».
Si Abdelhamid Zouba*, tout comme les anciens footballeurs de l’Equipe du F.L.N., entraîneur de renom en Algérie, se sent directement responsable du progrès des plus jeunes générations de footballeurs algériens dans les années 1960 et 1970, il ne reste pas moins conscience de ses dettes, de ses héritages… « Je suis un exemple de la volonté de se tirer d’affaire en se servant du football mais seul ce n’est pas possible ! Il faut avoir la chance de rencontrer des hommes comme Snella, Boulogne ou Firoud. Seul le haut-niveau comptait pour moi. Je voulais démontrer que même avec un faciès pas, pas facile à admettre, je devais absolument passer, forcer l’admiration par mon travail, par mes connaissances ».
Biographie reconstituée à partir d’un entretien réalisé par Stanislas Frenkiel avec Abdelhamid Zouba* à Alger (Algérie) le 18 juillet 2006. Entretien d’une durée de 02H01, intégralement retranscrit en 27 pages.
Abdelhamid ZOUBA
Né le 2 avril 1935 à Bologhine (Alger). Attaquant.
1950-1953 : Olympique Musulmane Saint-Eugène (Alger)
1953-1955 : Association Sportive Saint-Eugène (Alger)
1955-1958 : Chamois Niortais (amateur) – Jusqu’en juillet 1958 1958-1962 : Équipe du F.L.N. (Tunis) 1962-1963 : Football Club de Granges (SUI)
1963-1964 : Neuchâtel Xamax (SUI) / Youngs Boys de Berne (SUI) 1964-1966 : Nîmes Olympique
1966-1967 : Union Sportive Musulmane Bellabès 1967-1968 : Widad Athletic de Boufarik
1968-1969 : Union Sportive Musulmane Bellabès“Le football des immigrés,France-Algérie,l’histoire en partage” (Artois Presses Université,collection Cultures Sportives,avril 2021). Mon livre naît et je regarde son destin… 📖🇫🇷⚽️🇩🇿 (@AmazonNewsFR, @Fnac, @furetdunord, etc. et votre librairie préférée)https://t.co/tP8EzASivo pic.twitter.com/Cznlbc6vSY
— Stanislas Frenkiel 📖Ens.chercheur ⚽Conférencier (@stanfrenkiel) March 29, 2021
Stanislas Frenkiel : « Mon livre raconte des histoires incroyables sur les footballeurs algériens »