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Athlétisme/Ali Saïdi-Sief : « Il ne faut pas que Sedjati calcule trop »

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Ali Saïdi Sief
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Surnommé “Le Kenyan Blanc” à son époque, Ali Saïdi-Sief  a pu marquer l’histoire du sport algérien aux Jeux Olympiques. Médaillé d’argent sur 5000m aux JO de Sydney 2000, il avait confirmé son talent s’imposant comme l’un des meilleurs coureurs de fond. Interviewé par La Gazette du Fennec, l’enfant de Constantine nous a parlé de cet exploit et tout le travail consenti pour l’accomplir. Il a aussi dressé l’état des lieux de l’athlétisme algérien non sans évoquer les chances de nos athlètes aux JO de Paris 2024. Notamment Djamel Sedjati, l’un des favoris sur 800m. Extraits.

L’entretien LGDF en vidéo :

Ali Saïdi-Sief, bonjour. Nous sommes contents d’avoir en interview un des champions du sport algérien. Sydney, 5000 mètres, l’argent au bout… vous êtes l’un des six coureurs distingués aux Olympiades. Vous vous souvenez-vous de cette course et l’émotion que cette médaille vous a procurée ?

Oui. Là, on revient à 24 ans en arrière. Sydney 2000, c’était les Jeux Olympiques. J’avais 22 ans. J’étais un nouvel athlète. Je venais d’arriver. Une année avant, 1999, personne ne misait sur moi pour la médaille. Sauf moi. J’étais tout jeune. Plein d’énergie. Je voulais réussir. Comme vous le savez, quand j’étais junior, j’étais le meilleur athlète presque au monde.

À l’époque, j’ai battu le record d’Algérie de Noureddine Morceli, 3’37. C’était une grande performance en junior sur 1500 mètres. Donc, avec ce chrono-là, à l’époque, j’étais parmi les meilleurs athlètes au monde et automatiquement, quand un junior descend de 3’38, 3’37, deux ou trois ans après, il prend tout de suite sa place avec les seniors.
Donc il ne trouve pas de difficultés parce que même en étant junior, je n’étais pas très loin déjà. Même à l’époque, avec 3’37, j’ai participé au championnat du monde senior en étant junior.

“En 2000, j’étais l’un des meilleurs athlètes au monde”

Vous étiez en avance sur les standards de l’époque ?

À l’époque ? Oui, j’étais avec 3’37. Aujourd’hui, en Algérie, même les seniors ont du mal à courir moins de 3’40”. À l’époque, 3’37”, c’était du costaud. C’était une grande performance. Du coup, quand on fait 3’37” en junior, on n’est pas très loin. Et quand on est jeune, comme ça, 18 ans, 19 ans, on progresse parce que le corps répond mieux. Donc, on progresse. Avec le travail, on progresse plus rapidement que quand on est un peu plus âgé.

Vous vous souvenez de cette course ? Le finish, ce qui s’est passé avant ? Vous vous souvenez, vous, de cette finale et de ce qu’il y a eu après ?

Bien sûr. Je me souviens de tout ce que j’ai fait pendant l’année, de l’entraînement, des compétitions, des blessures, des périodes, ce que j’ai passé, des hauts et des bas, tout ça. Les périodes que j’ai passées. Et comme vous savez, en 2000, j’étais l’un des meilleurs athlètes au monde.

J’ai gagné toutes les courses. À l’époque, il y avait la Golden League. J’ai gagné toutes les courses et je pouvais même gagner, il me manquait un seul meeting pour gagner la Golden League. Après, comme c’était l’année olympique, j’ai préféré me concentrer sur les Jeux olympiques. Après, les Jeux olympiques, je me souviens très bien. Comme j’étais le favori numéro un, j’étais trop stressé. La pression, le stress, tout ça fait qu’on a plus peur. Quand on est favori, on est plus stressé ou on a plus peur que quelqu’un qui n’a pas de chance de gagner une médaille. Donc c’était très très difficile à gérer sur le plan émotionnel.

“Ils donnent l’argent au football”

Pour les Olympiades de 2024, il y aura trois coureurs de demi-fond pour l’Algérie. Il n’y aura aucun sur la ligne de départ de 1500 mètres. Ce qui est un précédent en Algérie depuis 1974. Quelles sont, selon vous, les raisons de cette régression en 1500 mètres ? Parce que c’est le fait marquant de ces Olympiades. Depuis 1972, l’Algérie était toujours parvenue à place au moins un athlète sur 1500 mètres…

Franchement, c’est malheureux. Parce que l’Algérie avait le record du monde. Elle avait Noureddine Morceli, ou encore Hassiba Boulmerka. Il y a une culture quand même du 1500 mètres en Algérie. On avait les meilleurs athlètes de 1500 mètres. L’Algérie, c’est une grande nation de 1500 mètres quand on voit les chronos.

Malheureusement, le niveau a baissé parce que quand on parle de travail de base, c’est-à-dire au niveau des clubs, des ligues, tout ça, ils sont très pauvres. Ils donnent de l’argent au football. Ils ne donnent pas à l’athlète qui ramène des médailles. Par exemple, Taoufik Makhloufi était bon quand il était junior. Il est venu à Alger. À l’époque, il y avait le Mouloudia d’Alger. On a rebondi tous parce qu’il y avait le Mouloudia. Avec la Sonatrach qui le finançait. Donc, on est venus de l’extérieur et on a rebondi. On a eu la chance d’être bien pris en charge. Maintenant, il n’y a pas ça. Les clubs ne forment plus parce qu’ils n’ont pas les moyens. C’est pour ça qu’aux Jeux Olympiques de Paris, on n’a pas d’athlète de 1500 mètres. Et 1500 mètres, c’est plus compliqué. Plus difficile que le 800 mètres.

“Aujourd’hui, les athlètes demandent beaucoup mais ne s’investissent pas”

Justement, on va en parler, vous parlez de moyens, parce que les gens ont tendance à penser qu’un athlète a juste besoin de pointes et d’équipement pour courir. Mais il y a tout un travail derrière. Travail physique, travail mental et de préparation. Ça nécessite aussi de gros moyens. Pour l’Algérie, la dernière médaille aux Jeux Olympiques a été ramenée justement par l’athlétisme et les 1500 mètres et 800 mètres par Taoufik Makhloufi. On pense que c’est un mauvais signal qui est envoyé par cette absence remarquable.

Honnêtement, c’est vrai que les derniers temps, on n’a pas cette qualité chez les athlètes algériens du 1500 mètres, même du 3000 mètres, 5000 mètres. On n’a plus d’athlètes qui sont vraiment très forts. Même la qualité des athlètes a baissé. Après, c’est triste de ne pas avoir un Algérien. Pourtant, ce n’est pas très compliqué.

On rappelle que le premier Algérien qui est près des minima compte presque deux secondes de retard. Et ça reste très conséquent sur 1500 mètres…

Bien sûr. Après avec 3’35, 3’36, même si t’es qualifié, tu ne vas rien faire avec. Tu vas être éliminé dès le premier tour. Maintenant, la qualité des athlètes a baissé. Le mode de vie des jeunes est une raison. Aujourd’hui, les athlètes demandent beaucoup. Mais ils ne s’investissent pas. Alors qu’à l’époque, on n’avait pas les moyens.

C’est un travail psychologique qu’on devrait faire ? Ou une prise en charge psychologique pour les athlètes ?

Non. Comme je vous ai dit tout à l’heure : le problème c’est qu’on n’a pas de base. Il faut d’abord former. Il faut qu’on ait de très bons athlètes juniors. Et après, on les prépare. On les accompagne. Mais là, actuellement, on n’a rien du tout. Ils ne vont pas tomber du ciel après les seniors.

“L’entraîneur de Sedjati connaît bien le haut niveau”

On va se montrer un peu plus optimiste quand même. Il y a des espoirs qui sont placés sur Sedjati, qui a réalisé la troisième meilleure performance mondiale de tous les temps sur 800 mètres. Le meilleur chrono pour l’année 2024, la Diamond League de Paris avant-hier. C’est même la meilleure performance mondiale de l’année, comme on a dit. Cela fait certainement de lui un favori pour l’Or aux Jeux Olympiques…

Pour moi : oui. Cette année, j’ai suivi un petit peu ce qu’il faisait à l’entraînement. Même à la compétition. On voit bien qu’à chaque sortie, il est là. Cette année, il a commencé à courir en mai. Et à chaque compétition, il progresse. Chaque compétition, on voit le chrono qui est meilleur. C’est un bon signe. Il est là et il monte en puissance. J’avoue qu’il a un entraîneur très compétent (Amar Benida, NDLR). Il connaît bien le haut niveau. Il vit dans le haut niveau depuis longtemps.

Pour moi, il est potentiellement médaillable sans problème ou accident. Maintenant, la dernière compétition à Paris, on a vu qu’il y avait 4 ou 5 athlètes qui ont couru moins de 1’42. 3 en 1’41, 2 en 1’42. Donc il y en a 4 ou 5 qui ont presque le même niveau. Je pense que ça se jouera sur les détails. Il faut qu’il se concentre. L’entraîneur a le savoir pour faire arriver son athlète en forme le jour J. Il faut qu’il gère bien la période pour qu’il arrive en forme le jour de la finale.

“Philippe Dupont est très fort”

On va parler d’un aspect plus technique. Les courses sont différentes. Mais sur un 800 mètres, il y a peut-être moins de stratégie comparé au 1500 mètres. Est-ce que cela jouera en faveur de Sedjati ?

Non, même sur 800 mètres, c’est compliqué. C’est une course de vitesse. Vitesse lente. Si on n’est pas très bien placé au dernier 600 mètres, ou dernier 500 mètres, c’est compliqué. Il faut qu’il gère bien ça, qu’il ne soit pas trop agressif sur la piste et qu’il s’impose et leur montre qu’il est le patron. Pour moi, il est bien. Il ne faut pas qu’il calcule trop.

Il fait ce qu’il a à faire. Donc il gère bien. Surtout pas qu’il soit enfermé dans les derniers 500 ou 400 mètres. Sinon, c’est compliqué. Après, ils commencent tous à accélérer. S’il est en retard de 5 ou 10 mètres, il doit doubler l’effort pour revenir. Normalement, je ne m’inquiète pas pour lui. Il a déjà gagné une médaille aux Championnats du monde (argent). Il a pris de l’expérience. Maintenant, il a des repères.

“Makhloufi pouvait gagner beaucoup plus”

On ne peut pas parler du 800 mètres et du 1500 mètres sans parler de Taoufik Makhloufi, qui a pu courir les deux courses à Rio et remporter deux médailles d’argent. Quelle qualité devait avoir Makhloufi pour aller 800 mètres et 1500 mètres ?

Je connais Makhloufi. Je l’ai connu quand il était junior. Il est très très fort. Même sans entraînement, il est très très fort. Il avait de la chance. Le mérite revient bien sûr à lui et à Philippe Dupont, son entraîneur. Il est très fort. Il sait ce qu’il fait. Je me suis entraîné avec lui (Dupont). Pour moi, c’est le meilleur entraîneur au monde. Il sait faire. Ils ont préparé ça et ils ont réussi. Et moi, je le savais parce qu’à l’époque, ils m’ont posé la question avant les Jeux olympiques à Rio. pour savoir si Makhloufi risquait de perdre. Mais, comme je connais Dupont, j’étais optimiste.

À ce jour, Makhloufi est l’athlète algérien le plus médaillé aux Jeux olympiques avec trois médailles. Une en or et deux en argent. Que pensez-vous de cet exploit ?

Franchement, Makhloufi pouvait gagner beaucoup plus. Il pouvait gagner encore là à Paris, à Tokyo. Franchement, il avait le potentiel.

“A l’époque, on rêvait et on en voulait”

Vous pensez donc que Mkheloufi a peut-être pris sa retraite trop tôt ?

Dommage, oui. Parce qu’il était jeune, il était encore en forme s’il ne s’était pas blessé. Il s’entraînait en France avec Dupont. Après, il y avait l’arrivée du Coronavirus. Il n’y avait pas de compétition. Les athlètes ne pouvaient pas s’entraîner. Quand on s’entraîne et qu’il n’y a pas de compétition, c’est compliqué. Je pense que ces circonstances ont fait que Makhloufi a un peu lâché.

On va parler de l’athlétisme algérien, qui est la discipline la plus médaillée aux Jeux Olympiques avec neuf médailles. Aujourd’hui, on voit une régression qui est nette. Que pensez-vous de l’état de santé actuel de l’athlétisme en Algérie ?

On ne peut pas dire ça parce que, par rapport aux autres sports, en Algérie, l’athlétisme est toujours là. L’Algérie continue toujours à ramener des médailles grâce à l’athlétisme aux Jeux Olympiques, aux Championnats du monde. Certes, ce n’est pas les années 2000, quand on gagnait  trois ou quatre médailles aux Jeux Olympiques. Mais, comme je vous ai dit tout à l’heure, les clubs, les ligues, la fédération n’ont pas les moyens. Malheureusement, l’athlète a besoin de moyens. Ce n’est pas comme avant.

Avant, on avait la volonté. On s’entraînait et on voulait réussir et c’est tout. Maintenant, l’athlète demande d’abord les moyens. L’athlète est exigeant et le mode de vie des jeunes en général a changé. Les athlètes croient au présent. Nous, à l’époque, on rêvait, on voulait. A l’époque, on savait que Morceli allait devenir champion olympique.

“Les choses commencent à changer depuis 2019”

Ali, pensez-vous pouvoir apporter quelque chose à l’athlétisme algérien dans le futur ? Trouver des solutions immédiates pour relancer la discipline et faire en sorte que les jeunes s’y intéressent plus ?

Je trouve que ce n’est pas vraiment simple. Parce que l’athlétisme, ce n’est pas le football. L’athlétisme, ce n’est pas le même système que le football. On n’a pas les centres de formation et on n’a pas l’argent et les sponsors. Même l’État n’aide pas très bien les clubs, les ligues, la fédération. Maintenant, même les clubs qui travaillent, qui essayent de travailler et qui sont toujours là, c’est compliqué pour eux. Ils font l’effort avec ce qu’ils peuvent. C’est comme depuis toujours. L’athlétisme, on attend qu’un athlète très fort vienne. Mais franchement, pour former quelqu’un depuis son jeune âge, ce n’est pas simple.

On va parler de votre génération, de la génération de Sydney 2000. Il y a un médaillé de bronze qui est à la tête du ministère de la Jeunesse et des Sports. On parle d’Abderrahmane Hammad. On ne retrouve que peu d’anciennes gloires du sport algérien dans les secteurs décisionnels sensibles. Trouvez-vous ça normal ?

Depuis 2019, on commence à voir les anciens. C’est très bien. Les choses commencent à changer. On met des sportifs dans le secteur de la Jeunesse et des Sports. C’est très très bien. Depuis 2019, on a des anciens champions olympiques, champions du monde, des champions d’Afrique qui sont sur la tête de notre ministère. Vraiment, c’est une très bonne chose pour le sport algérien. Personne ne connaît mieux le sport que les gens qui l’ont pratiqué. En plus, ça ne fait pas longtemps. Hammad, il y a 10-15 ans, il était encore athlète. Il connaît très très bien le sport, les athlètes, les rouages, les détails.

“Les athlètes doivent être méfiants”

Ali, il y a des gens qui ne se souviennent pas de vous. La jeune génération qui ne vous connaît pas. Vous étiez vraiment un athlète qui était annoncé comme l’héritier de Morceli. Vous étiez promis une grande carrière.  Une carrière de laquelle tu n’as peut-être pas pu tirer le maximum. Avez-vous des regrets par rapport à ça ?

Non. Franchement, je ne suis pas sorti avec les mains vides. Donc j’ai réussi à avoir quelque chose. Alhamdoulilah. C’est vrai que je pouvais faire beaucoup mieux. Vous savez ? Je voulais être professionnel. À l’époque, j’avais un staff, donc je voulais faire les choses bien. Et j’ai investi pour. Donc j’ai pris un médecin personnel que je payais avec mon argent à l’époque, un kiné, un thérapeute, un entraîneur. Malheureusement, j’ai fait confiance à mon médecin à l’époque. On était peut-être naïfs (Saïd-Sief a été déclaré positif à la nandrolone, NDLR). Il faut être vigilant et ne rien laisser au hasard. C’était un accident de parcours et c’est comme ça. C’est la vie.

Un conseil peut-être à donner aux futurs athlètes ou aux gens qui voudraient percer dans la discipline. Doivent-ils être méfiants par rapport à leur entourage ?

Un athlète doit intelligent. Il faut qu’il ait une culture du haut niveau et qu’il s’entraîne bien. Aussi, il faut qu’il récupère bien. Pour cela, il faut voir les médecins et faire des analyses. Des suivis régulier doivent être faits. Et après, bien sûr, il faut qu’il fasse attention à ce qu’il prend. Il faut qu’il fasse confiance à personne. Donc voilà, il faut vraiment être très méfiant. Des fois, les choses changent et elles peuvent porter préjudice.

Merci pour cette interview, pour ce témoignage, et félicitations pour votre carrière.

Merci.

La course de Saidi-Sief à Sydney 2000:

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