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Édito/ CAN féminine 2024 : un tournoi qui révèle les lâchetés

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belkhiter avant
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La Coupe d’Afrique des Nations féminine 2024 devait être une vitrine. Elle s’achève comme un procès. Pas celui du football, mais celui de ses coulisses : une compétition gangrenée par les rumeurs, le harcèlement et le silence coupable de ses propres instances.

Au centre de ce naufrage, un nom, un visage : Morgane Belkhiter, défenseure de l’Algérie, devenue malgré elle le symbole d’un football africain qui abandonne ses joueuses à la meute.

Depuis plusieurs semaines, la joueuse subit un lynchage numérique d’une violence inouïe. Insultes racistes, menaces de mort, photos de sa famille diffusées, un torrent de haine déversé sur Instagram, TikTok et X, orchestré par des dizaines de comptes souvent anonymes. Car la lâcheté, toujours, se drape derrière un pseudonyme, persuadée qu’en effaçant un nom, elle s’achète l’impunité. Des campagnes où l’humain disparaît, où l’on piétine la dignité d’une sportive pour alimenter un défouloir nationaliste.

Cette vague ne surgit pas de nulle part. Dès le coup d’envoi, l’Algérie a été prise pour cible par une guerre de désinformation : on accuse sa fédération algérienne d’avoir recouvert les logos de son homologue marocain avec des bouts de scotch sur les bancs de touche, décision qui venait de la CAF elle-même. On accuse l’arbitre Ghada Mehat d’avoir arraché un badge de la Royal Air Maroc, simple sticker mal collé. Rumeurs absurdes, construites pour exciter les foules et amplifier la haine.

La défaite du pays hôte

Et puis vient la défaite du Maroc en finale face au Nigeria (3-2, samedi 26 juillet). La pilule ne passe pas. Quand on se croit déjà au sommet, il est difficile d’accepter la chute. Alors la colère cherche une cible. Après avoir accablé l’arbitre jugée “pro-Nigeria”, certains supporters trouvent un nouveau bouc émissaire : Morgane Belkhiter.

Une simple story Instagram, « Y a un bon Dieu »,  publiée après l’élimination de l’Algérie, où la joueuse exprimait sa colère face aux pressions subies tout au long du tournoi, devient prétexte. À la faveur de la frustration, ce souffle de colère est transformé en procès public. La défenseure algérienne devient l’exutoire d’une rancœur collective, comme si elle portait, seule, la défaite d’un pays qui n’est même pas le sien.

Le vrai scandale, c’est le silence

Le silence assourdissant de la CAF, si prompte à publier des communiqués ou infliger des sanctions lorsqu’il s’agit de l’Algérie, très souvent à tort, mais étrangement muette lorsque ses joueuses sont menacées. Doit-on y voir une rancune ? Les humiliations publiques devant le Tribunal arbitral du sport seraient-elles encore en travers de la gorge des dirigeants de la CAF ?

Qu’ils se souviennent : ce n’était pas un caprice algérien, mais le rappel d’un principe. Respecter les règles. Une règle que la CAF, trop souvent, piétine au nom de ses arrangements. Et l’histoire est immuable : ceux qui méprisent leurs propres lois finissent toujours par s’effondrer.

Derrière ses discours sur le “développement du football africain”, la CAF ressemble à une vitrine vide : des fruits brillants posés au sommet d’un cageot, oubliant que l’intérieur pourrit. Pourtant, quand l’Afrique appelle, l’Algérie répond. C’est elle qui a transformé un CHAN anonyme en tournoi de prestige. C’est elle encore qui, en 2022, a habillé de ses mains les stades ivoiriens pour la CAN, par le savoir-faire de Tapidor et l’expérience transmise aux partenaires africains.

Mais quand l’Algérie, à son tour, dit “aïe”, Personne. Pas un mot. Pas un geste. Seulement un silence qui dit tout, que la dignité des joueuses, pour la CAF, ne pèse rien.

Alors combien de Morgane Belkhiter faudra-t-il sacrifier avant que cette institution réagisse ? Combien de carrières, de vies privées détruites, avant qu’elle comprenne qu’en détournant le regard, elle scie la branche sur laquelle repose sa propre crédibilité ? Qui osera encore représenter son pays si la récompense est de devenir la proie d’une meute numérique, sans protection, sans justice, sans voix pour la défendre ?

La CAN féminine 2024 devait célébrer l’unité et le progrès. Elle révèle aujourd’hui un vide : un vide de courage, un vide de protection, un vide d’éthique. Si la CAF ne veut pas voir son tournoi se transformer en arène de lynchage, elle doit agir. Condamner. Protéger. Sanctionner. Car le football africain féminin mérite mieux. Il mérite d’être un espace de jeu, pas un champ de haine. Un lieu de passion, pas de persécution. Et si la CAF continue de se taire, l’histoire retiendra non pas les buts ni les victoires, mais sa lâcheté.

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Ecris par
Yanni Abdelli -

Journaliste La Gazette du Fennec

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