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“Grandir en France, jouer pour l’Algérie” : la sélection de l’Amicale des Algériens en Europe

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La saga de l’histoire des footballeurs binationaux ayant rejoint la sélection algérienne vous propose pour la deuxième partie un récit de Stanislas Frenkiel sur la fameuse sélection de l’Amicale des Algériens en Europe.

Qu’est-ce qui pousse les footballeurs professionnels algériens ayant grandi en France à rejoindre l’équipe nationale algérienne depuis les années 1980 ? Notre ami historien Stanislas Frenkiel, Maître de Conférences à l’UFR STAPS de l’Université d’Artois et créateur de la première chaîne Youtube d’Histoire du Sport offre en avant-première aux lecteurs de La Gazette du Fennec le chapitre 7 de son ouvrage sur l’histoire des footballeurs professionnels algériens en France. Durant une quinzaine d’années, il a retrouvé une centaine d’anciens joueurs et leurs proches en France et en Algérie, mené des entretiens inédits, recoupé des archives exceptionnelles,… Notons que son livre, issu de sa Thèse de Doctorat, sera prochainement publié à Artois Presses Université. Nous avons donc le plaisir de vous présenter aujourd’hui le chapitre 7 de son futur livre sous la forme d’un feuilleton pour les passionné(e)s !

Grandir en France, jouer pour l’équipe nationale algérienne 1980-1988 :

(cliquez sur les liens ci-dessous pour lire les 5 épisodes)

  1. Les fondements d’une décision

  2. La sélection de l’Amicale des Algériens en Europe

  3. L’incontournable Nadir Ben Drama

  4. La marginalisation des importés

  5. Les réticences des clubs

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>> Voici la 2ème partie de notre Saga :

Chapitre 7

Grandir en France, jouer pour l’équipe nationale algérienne 1980-1988

 

  1. La sélection de l’Amicale des Algériens en Europe

 

Issue de la dissolution de la Fédération de France du FLN, l’Amicale des Algériens de France prend l’appellation d’AAE le 20 juin 1963[1]. Elle domine le champ associatif. En France, elle a pour objectif essentiel d’empêcher les Algériens d’opter pour la nationalité française, de fournir des rapports périodiques de renseignements et d’activités et de recenser et surveiller les ex-harkis et les opposants de toute tendance. Jouant de ses relations avec les autorités consulaires et l’administration française, elle intimide quotidiennement les immigrés et ne se prive pas de les culpabiliser. Gare à celui qui ne paye pas sa cotisation annuelle dans les foyers, les usines et les bidonvilles. Son rêve ultime ? Leur réinstallation définitive en Algérie. En 1965, elle intègre le sport dans sa stratégie pour encadrer les immigrés. Après l’utilisation du sport pour l’inculcation d’attitudes nationalistes et l’embrigadement des émigrés et la lutte contre leur « déculturation » en France, elle cherche des sportifs prometteurs parmi la jeunesse émigrée. Par l’organisation de stages et de tournois, le recensement et la sélection des sportifs binationaux, l’Amicale constitue des fichiers de milliers de sportifs susceptibles d’être utilisés dans le futur pour les équipes nationales algériennes[2]. Pour Alger qui accueille en 1974 le premier séminaire sportif sur l’émigration, l’Amicale et sa récente direction des sports, mandatée et subventionnée par le MJS, sont des interlocuteurs sportifs de premier choix. Le recensement des délégations régionales en province ressemble à une véritable traque aux espoirs. Dans ses organes de presse, des fiches de renseignement peuvent être complétées par les lecteurs pour signaler de jeunes talents[3]. Presque tous les footballeurs professionnels algériens de France jouent en Algérie dans la sélection des immigrés de l’Amicale avant d’être convoqués officiellement par la FAF. L’Amicale constitue une passerelle sportive vers l’EN. Les footballeurs professionnels sont conviés à se produire en Algérie, intégrant parfois la sélection algérienne pour l’étoffer.

campagne qualif mondial 1982 gamouh belloumi madjer khalef

Dès 1973, année de création de la direction des sports de l’AAE, une sélection réunissant les meilleurs footballeurs amateurs et professionnels opérant en France se rend en Algérie pour y jouer un premier match. Deux ans plus tard, Nacer Boughalem, responsable de la direction des sports, se félicite de la nouvelle victoire de ce regroupement emmené par Mustapha Dahleb et Rachid Natouri contre l’EN espoirs[4].

EN 1982 avion air algerie madjer kourichi zidane dahleb

Grâce aux footballeurs, l’idée d’une communauté émigrée étroitement liée au pays de départ peut s’incarner. Dans la plupart des cas se dessine par le biais du sport l’ambition du retour, presque toujours se profile l’expression d’un amour qu’on ne marchande pas[5], écrit l’étudiant Hédi Hamel, l’un des journalistes sportifs de l’Amicale. Pendant la trêve hivernale des clubs français et algériens en 1976, une nouvelle tournée est organisée à Annaba. Elle fait l’objet dans la presse de l’AAE d’une importante couverture médiatique. Un long article d’une double-page relate la rencontre des deux jeunesses algériennes, locale et émigrée, ainsi que les objectifs du voyage. Son titre est clair : un acte politico-social scellé par le sport[6]. Le programme de cette semaine est dense. Entre une compétition et une séance d’entraînement, il y a les visites d’une unité industrielle et d’un complexe touristique suivies d’un rendez-vous avec les autorités officielles de la ville et une dizaine de réceptions organisées à l’intention de la délégation. L’entraîneur, l’ancien footballeur professionnel Ali Ben Fadah, est aux anges. Ses poulains de banlieue parisienne Lamri Laachi, Nordine Kourichi et Zaïr Kédadouche font bonne figure. Comme les déplacements qui lui succèdent jusqu’en 1986, les visées annoncées d’un tel voyage sont culturelles et sportives : enrichir les connaissances nationales par les visites d’usine et prendre des contacts avec le mouvement sportif algérien grâce aux compétitions. Entre les jeunes joueurs, l’ambiance est fraternelle. Les autorités algériennes, elles, font des calculs politiciens.

chebel korichi hamimi mansouri gamouh
Porte-drapeau de l’Amicale et de sa direction sportive vis-à-vis de l’État algérien, ces tournées sportives servent à valoriser les joueurs immigrés mais aussi à partager la douleur du peuple algérien après des catastrophes naturelles comme le tremblement de terre d’El-Asnam en 1980[7]. Six footballeurs professionnels jouent un match à Alger au profit des sinistrés. Ils sont l’attraction de cette journée caritative. Le résultat importe peu. La sélection des joueurs professionnels algériens évoluant en Europe, réunie sous l’égide de l’AAE, effectue un séjour en Algérie du 22 au 24 février 1984 au cours de laquelle elle dispute deux rencontres dont une face au club yougoslave de Vojvodina au stade du 5 Juillet[8]. Deux ans plus tard, les sélections juniors et cadets de l’AAE disputent plusieurs rencontres en Algérie dont une importante face à l’équipe nationale juniors à Oran. Pour certains footballeurs algériens de France, la découverte et le « retour au pays » sont des moments forts. En octobre 1981, inconnu du public algérien, le monégasque Abdallah Medjadi Liegeon, qui a quitté l’Algérie une vingtaine d’années plus tôt entre sa mère et un militaire français, est heureux de remettre les pieds pour la première fois dans son pays natal grâce à l’Amicale. Avec les autres joueurs professionnels, il se sent protégé. Depuis sa descente de l’avion, ce moment est l’un des plus importants de sa vie. Son lien avec l’Algérie se renforce. Une filière sportive est créée. Liazid Sandjak, jeune buteur de Romainville, est orienté vers l’EN. Il évoque les étapes de sa détection avant de remporter avec l’Algérie la Coupe Palestine en 1985.“Concernant cette équipe de ‘beurs’, on reste une semaine à Constantine et à Tizi-Ouzou, et on joue notamment contre l’équipe nationale junior. On la bat 1 à 0 et je marque le but. Elle était entraînée par l’ancien international, le célèbre Ahcène Lalmas. À la fin du match, il vient me voir et me dit : ‘Viens en équipe d’Algérie, ce sera toi notre avant-centre’ . Je suis donc revenu dans la vraie équipe nationale junior“. Voilà comment un joueur inconnu de banlieue se retrouve sélectionné en EN juniors.

preparation coupe du monde 1986 bellou mi benmabrouk chebel liegeon djaadaoui mansouri harkouk

Les rencontres assidues organisées par l’AAE permettent à ces jeunes footballeurs immigrés de cultiver leurs liens avec l’Algérie. Au lendemain des changements institutionnels survenus en 1989 en Algérie avec l’instauration du multipartisme et la fin du monopole politique du FLN, la politique de l’Amicale s’estompe. Elle prend le nom d’Union des Algériens en France et en Europe. L’usage des activités sportives et des circuits sur la connaissance de l’Algérie au profit des jeunes issus de l’immigration disparait. Tout en renforçant les liens avec le pays d’origine, il s’agit désormais d’assurer à la jeunesse immigrée une intégration harmonieuse au sein de la société française[9]. La perte d’influence de l’Amicale est palpable et s’accompagne de celle de Nadir Ben Drama, un personnage bien connu des footballeurs professionnels algériens en France. Entre décembre 1980 et le Mondial 1982, les huit footballeurs professionnels qui jouent en Vert ont tous sans exception été repérés par ses soins puis participent à des tournées sportives en Algérie[10]. Focalisé sur les joueurs de première et seconde division qu’il fédère sans relâche, il agit dans l’ombre pour offrir à l’AAE une nouvelle image.

Nos remerciements à Stanislas Frenkiel

 

Lire également le prochain épisode…

3. L’incontournable Nadir Ben Drama

 

[1] Amar Mohand-Amer, « Les déchirements du Front de Libération Nationale à l’été 1962 », Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari-Tenghour et Sylvie Thénault, Histoire de l’Algérie à la période coloniale 1830-1962, Paris, La Découverte, 2012, p. 576-605.

[2] Youssef Fatès, « La politique centrifuge d’intégration des jeunes par le sport de l’Amicale des Algériens en France », Marc Falcoz et Michel Koebel, Intégration par le sport : représentations et réalités, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 189-209.

[3] Preuve de son influence au sein de la communauté algérienne en France, l’Amicale publie pendant 29 ans trois périodiques : L’Algérien en Europe (1962-1982), La Semaine de l’Émigration (1982-1985) et Actualité de l’Émigration (1985-1991).

[4] Moulay Brahimi, « Entretien Sport et émigration avec Nacer Boughalem, responsable de la division sportive de l’Amicale », L’Algérien en Europe, n° 204, 16 janvier 1975, p. 14.

[5] Hédi Hamel, « Comprendre l’émigré », L’Algérien en Europe, n° 267, 26 janvier 1978, « Supplément sportif El Moufid » n° 26, p. 1.

[6] Hédi Hamel, « Avec la sélection AAE de football dans la région de Annaba, un acte politico-social scellé par le sport », L’Algérien en Europe, n° 248, 31 janvier 1977, « Supplément sportif El Moufid » n° 7, p. 4-5.

[7] Hédi Hamel, « Solidarité El-Asnam match à Alger », L’Algérien en Europe, n° 327, 7 novembre 1980, p. 31.

[8] Hédi Hamel, « Tournée de la Sélection AAE en Algérie, les “pro” en attraction », La Semaine de l’Émigration, n° 27, 17 février 1983, p. 17-18.

[9] Youssef Fatès, « La politique centrifuge d’intégration des jeunes par le sport de l’Amicale des Algériens en France », Marc Falcoz et Michel Koebel, Intégration par le sport : représentations et réalités, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 189-209.

[10] Abdelmajid Bourebbou, Fathi Chebel, Saïd Hamimi, Nordine Kourichi, Lamri Laachi, Fawzi Mansouri, Karim Maroc et Abdallah Liegeon.

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