Première légende du football français, Raymond Kopa, décédé cette semaine à l’âge de 85 ans, était incontestablement le meilleur joueur français des années 50. Plus âgé que la légende algérienne Rachid Mekhloufi de 5 ans, l’ancien Rémois vouait une admiration particulière au stratège de l’AS Saint-Etienne. C’est d’ailleurs au moment de son départ au Real Madrid en 1956, que le jeune Mekhloufi (20 ans) prenait sa place en Équipe de France peu avant le fameux Mondial de Suède 1958. Entre les deux hommes, le jeu des comparaisons a souvent alimenté la presse française de l’époque.
Véritable attraction du championnat de France lors de ses débuts avec l’AS Saint-Etienne où il empilait les buts, Rachid Mekhloufi effectuait dès l’âge de 20 ans ses premiers pas en Équipe de France A lorsque Raymond Kopa, la star des Bleus à cette époque, quittait le Stade de Reims pour monnayer son talent au Real Madrid en 1956. Le départ à l’étranger du meilleur joueur français constituait à l’époque un véritable casse-tête pour les sélectionneurs de l’Équipe de France qui devaient trouver des solutions en attaque pour préparer la Coupe du Monde 1958.
“Rachid Mekhloufi, un second Kopa” (titrait France Football en 1955)
Capitaine de l’Équipe de France B, pièce maitresse des Espoirs mais aussi de l’Équipe de France Militaire, qu’il aidera à remporter la Coupe du Monde l’année suivante à Buenos Aires, la sensation Mekhloufi était aussi et surtout le fer de lance de l’AS Saint-Etienne qui remportera cette saison-là le championnat de France pour la première fois de son histoire. C’est dans ce contexte que le crack Rachid Mekhloufi faisait son entrée dans les rangs de l’Équipe de France.
Bloqué par le Real Madrid dont les règlements FIFA à l’époque n’obligeaient pas les clubs étrangers à libérer leurs joueurs pour les fédérations, Raymond Kopa ne participe pas aux matchs de qualifications pour le mondial suédois en 1956 et 1957. Les sélectionneurs français Paul Nicolas et Albert Batteux, poussés par la presse qui réclame le prodige Mekhloufi, effectuent des tests en appelant tour à tour les Just Fontaine, Cisoskyi, Glowacki et Mekhloufi. Appelé en même temps en A et en Espoirs, Mekhloufi est finalement relégué dans la liste des remplaçants pour un choc face à la Hongrie. Le quotidien L’Humanité s’interroge : « Aucun des leaders du Championnat de France ne rencontrera les Hongrois dimanche. Est-ce cela la surprise promise ? ». Paris-Presse s’indigne de l’absence de Mekhloufi : « Un inédit… Un revenant… Un oublié. Voilà en trois mots ce que l’on peut dire de l’équipe de France. L’oublié, c’est le Stéphanois Mekhloufi (20 ans) qui n’a été retenu qu’à titre de remplaçant alors qu’il s’était imposé indiscutablement ». Pour préparer ce match l’équipe A domine les Espoirs (4-3), mais l’opinion public ne retient que les 3 buts inscrits par… Mekhloufi.
Après la défaite face à la Hongrie (1-2), le journal L’Equipe lance un sondage auprès de ses lecteurs pour forcer la main aux sélectionneurs concernant le joueur qui doit évoluer sur l’aile droite pour le prochain match face à l’URSS quinze jours plus tard. Le résultat est écrasant en faveur de Rachid Mekhloufi largement plébiscité. Au stade de Colombes, qui réalise son record d’affluence (62 145 spectateurs) pour ce choc face à l’équipe soviétique du grand Lev Yachine, le phénomène Mekhloufi est enfin titularisé en Équipe de France et il tire immédiatement son épingle du jeu.
“On attendait la production de Mekhloufi avec curiosité. S’il n’a pas été individuellement exceptionnellement brillant, s’il n’eut pas l’occasion de se montrer sous sa véritable personnalité de finisseur, je n’hésite pas à dire que son comportement aida beaucoup l’équipe française dans le résultat final, explique le sélectionneur Batteux qui n’a pourtant pas aligné Mekhloufi à son véritable poste. “Par son incessante activité à un poste avancé de l’attaque française, le petit stéphanois a obligé le capitaine visiteur à un travail défensif qui lui interdit de dominer le centre du terrain de sa forte personnalité. Si bien que d’une façon peut-être indirecte mais très efficace, Mekhloufi a privé nos adversaires de leur organisateur.“
Mekhloufi-Kopa, l’association qui n’a jamais eu lieu !
Les observateurs sportifs sont conquis par le talent précoce de l’Algérien et voient déjà en lui un futur coéquipier de Kopa qui brille de mille feux avec le Real Madrid. “Et Mekhloufi aux côtés de Kopa ? Ce ne sera pas si mal contre la Yougoslavie, le Paraguay et l’Écosse à la Coupe du monde” suggérait la presse sportive qui gardait en mémoire le but qu’a marqué Mekhloufi à Glasgow en coupe d’Europe et qui a mystifié le stade d’Ibrox Park. Brillant avec Saint-Etienne à qui il offre son premier titre de Champion de France (1957), Mekhloufi martyrise toutes les défenses du championnat français (25 buts) et remporte avec l’Équipe de France militaire le championnat du monde en 1957 face à l’Argentine (3-1 avec un doublé en finale).
A son retour au Stade de Reims après 3 saisons de succès à Madrid, Raymond Kopa ne croisera pas la route de Rachid Mekhloufi dont le compteur en Bleus s’est bloqué à 4 sélections. L’Algérien a rejoint entre temps l’équipe du FLN et sa formidable épopée à travers le monde pendant 4 longues années (1958-1962). Durant cette période et après son fabuleux Mondial 1958, la France stagne et son attaque ne tourne pas rond. “Que manque-t-il à l’Équipe de France ?” demanda un journaliste à Kopa. “Mekhloufi ! Répondit-il spontanément. “C’est à dire quelqu’un qui sache faire tourner l’attaque… je dois reconnaitre qu’en ce moment, ce joueur fait défaut… c’est là tout le mal.“
Albert Batteux : “Kopa était moins marqueur de buts que Mekhloufi”
De retour à Saint-Etienne après l’indépendance de l’Algérie, Mekhloufi reprend son incroyable ascension. Non plus en tant que chasseur de buts fougueux mais en meneur de jeu rayonnant sous les ordres de son mentor Jean Snella puis Albert Batteux, son ancien sélectionneur en Équipe de France qui ne lui a sans doute jamais pardonné son départ. “Mekhloufi avait une frappe de balle extrêmement redoutable par sa spontanéité et sa violence. Il avait surtout, sur le plan du jeu collectif lui-même, une espèce de don, quelque chose qu’il avait en lui-même. Il perçait les défenses, il marquait beaucoup de buts…ce n’est pas le cas de Kopa, par exemple, qui était un joueur relativement individuel et remarquable comme dribbleur, mais moins marqueur de buts que Mekhloufi.“
La fin de carrière en Bleus de Raymond Kopa sera difficile, non qualifié pour la Coupe du Monde 1962, la légende du football français est brutalement écarté après une brouille avec son sélectionneur. Il termine paisiblement sa carrière au Stade de Reims où il jouera jusqu’en 1967, l’année où Mekhloufi est au sommet de son art. C’est d’ailleurs Raymond Kopa (photo ci-dessus) qui remettra à Rachid Mekhloufi le trophée de meilleur joueur du championnat de France. Entre les deux hommes, l’admiration était mutuelle mais les chemins différents.
Pour le premier Ballon d’Or français, le talent de son cadet Rachid Mekhloufi était incontestable. “Mekhloufi que je n’ai malheureusement pas beaucoup connu en tant qu’homme, mais que j’ai bien connu sur les terrains, a été le meilleur technicien que je connaisse. J’avais beaucoup d’admiration pour lui. C’est un meneur de jeu remarquable, hors pair. Nous étions tous les deux des constructeurs, mais il avait un avantage sur moi : son tir redoutable !“.
Meilleur footballeur de l’Hexagone dans les années 60 et quadruple champion de France (1957, 1964, 1967 et 1968) le stratège algérien de l’AS Saint-Etienne a suscité bien des regrets dans la presse française. “Ah si Rachid était né de ce coté de la Méditerranée, nous aurions été comblés“, s’exclamait amèrement le speaker de la télévision française après un but magistral de Rachid Mekhloufi qui n’aura donc pas succédé à Raymond Kopa aux commandes de l’Équipe de France.
Yassine Benarbia, La Gazette du Fennec