Engagé dans la catégorie des +100kg aux JO de Paris 2024, le judoka Mohamed El Mehdi Lili est passé complètement a côté de son sujet en se faisant balayé (nippon) dès le premier tour par un un adversaire des Emirats AU. Rencontré après le combat, son entraineur Meziane Dahmani a bien voulu expliquer à La Gazette du Fennec les raisons de cette déroute. Les révélations de ce coach chevronné sur la préparation et les conditions de l’athlète sont ahurissantes…
L’entretien LGDF avec Dahmani en vidéo :
Lire également l’interview en version texte :
Alors monsieur Dahmani Meziane bienvenue sur la Gazette du Fennec. Vous êtes entraîneur national de judo. Votre athlète Mohamed El Mehdi Lili vient de combattre à l’instant et il est éliminé. Est-ce que vous pouvez nous faire le bilan de sa participation ?
Le bilan est assez court, le combat a été court, il n’est pas rentré directement dans le combat. Je pense que c’est dû à la préparation, c’est dû au travail mental qui était très faible.
Est-ce que vous pouvez nous parler de la préparation de cet athlète qui est arrivé et qui est éliminé dès le premier tour ? On a vu dans son combat qu’il a pris un Ippon, son combat n’a pas été très long. Finalement, est-ce qu’il était prêt pour ce grand événement qu’est les JO ?
Parlant de sa préparation, sachant que Lili s’est qualifié il y a trois mois environ, sa qualification était officielle, il a fait trois mois de préparation pas très poussée parce que c’est peu trois mois, on ne peut pas faire un travail de quatre ans en trois mois. C’est ça ce qui a faussé un peu cette compétition.
“On ne peut pas faire une préparation de 4 ans en 3 mois”
Vous voulez dire que c’est surtout sur le plan mental qu’il n’était pas prêt ?
Sur le plan mental, et sur le plan judo, parce qu’il n’a pas fait beaucoup de préparation et ça a été dû à sa qualification qui est venue à la dernière minute et on ne peut pas, comme j’ai dit, on ne peut pas faire une préparation de quatre ans en trois mois. Donc je pense que c’était le principal problème.
Est-ce qu’il n’a pas eu assez de moyens, pas assez de stages avant la compétition ? Qu’est-ce qu’il lui a manqué pour être au rendez-vous ?
Au premier, il n’était pas pris en charge, vu qu’on faisait fixation sur Dris et Bouamar. À la fin, Bouamar ne s’est pas qualifié et Lili, vu qu’il a fait des petites performances aux championnats d’Afrique, championnat arabe et quelques tournois, il a pu se qualifier.
Donc il a pu se qualifier et être présent ici aux JO, il a pu être accrédité, mais on a entendu une histoire comme quoi que son entraîneur, c’est-à-dire vous, vous n’avez pas reçu d’accréditation pour l’accompagner à l’intérieur du village. Est-ce que c’est vrai ? Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
J’ai eu l’accréditation à partir du 31, c’est-à-dire un jour avant sa compétition. L’accréditation, elle me permettait uniquement l’accès au village, ni l’hébergement, ni la restauration. Et l’athlète, il est resté toute cette période tout seul à l’intérieur avec les autres athlètes.
Donc depuis son arrivée jusqu’à son combat, la veille, il était sans son entraîneur ? Vous voulez nous dire ça, c’est ça ?
Oui, oui, j’ai bien dit ça, je n’y étais pas. Même au comité olympique, ils étaient clairs, ils m’ont dit « vous aviez », mais on n’avait pas le droit de séjourner là-bas, ni de la prise en charge des restaurations, hébergement et entraînement jusqu’au 31.
“Je n’avais aucune prise en charge ni du Comité olympique, ni de la Fédération Algérienne de Judo… ce n’est pas juste !”
Alors du coup, avant ça, comment vous avez fait ? Vous vous êtes hébergé tout seul à l’extérieur du village ? La fédération vous a pris en charge, on imagine, ou comment ça s’est passé ?
Non, j’étais à l’extérieur du village, l’hébergement c’était à mon compte, j’ai tout payé moi-même. Donc je n’avais aucune prise en charge ni du comité olympique.
Ni du comité, ni de la fédération. Est-ce que vous pensez que ça existe ce genre de choses dans d’autres fédérations ?
Ça je n’en sais pas, mais je trouve ça, ce n’est pas juste.
On a entendu une histoire comme quoi qu’il y avait à l’intérieur du village des accrédités, des accompagnants, des présidents qui se sont fait accréditer en tant que chef d’équipe ou entraîneur. C’est une réalité ça ?
Ça je ne peux pas le confirmer, mais ce qui se dit, pour le confirmer je ne peux pas.
Je pense qu’avec tous ces ingrédients-là, on peut expliquer au public algérien qu’on ne peut pas être ambitieux et vouloir des médailles.
Bien sûr, donc pour avoir des médailles il faut être honnête, c’est tout.
En tant qu’entraîneur du judo, quel bilan vous faites de la participation algérienne dans ce judo ? On a eu Dris Messaoud, vous étiez avant son entraîneur. On a eu aussi Amina Belkadi qui a perdu difficilement au deuxième combat. On aimerait bien avoir votre avis technique sur ça.
Pour Dris, on le sait, il n’a pas fait de poids à la pesée. Mais pour Amina, elle a fait ce qu’elle pouvait. Elle a fait le meilleur de ce qu’elle pouvait faire. Mais il y a eu des fautes techniques. Et ça, ça arrive à tout le monde. Même des champions du monde, on les a vu perdre au premier tour.
Elle a fait une faute technique, elle a perdu de justesse face à la future médaille d’or. Ça montre qu’elle allait gagner ce combat. Ça montre quand même que l’athlète algérien a du potentiel, a du niveau.
Oui, elle a de l’âme, elle en veut. Elle est sérieuse à l’entraînement, elle est tenace. Mais c’est ça le sport. La preuve, elle perd avec la championne olympique et elle bat tout le monde. Même la championne olympique française, elle perd contre elle. Donc, c’est une bonne athlète. Ce qui prouve qu’Amina Belkadi a du niveau.
Mais qu’est-ce qui lui a manqué selon vous ? Est-ce que c’est aussi une faiblesse mentale de craquer comme ça à la fin du match ? Vous n’êtes pas son entraîneur, mais vous êtes dans le monde du judo. Est-ce que sa préparation, elle aussi, a été un peu ratée ?
Je pense que sa préparation, plus ou moins, elle a été correcte par rapport à Lili. Je pense que ça fait trois ans ou quatre ans qu’elle tourne dans les tournois et les stages.
Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de vous ? Vous êtes entraîneur national, vous êtes un ancien athlète. Vous avez participé à des Jeux olympiques aussi. Est-ce que vous pouvez vous présenter un peu à nos lecteurs, nous dire c’est quoi votre parcours ?
Bon, j’ai été le premier médaille d’or aux JM. Première médaille d’or de l’Algérie en judo. Après, j’ai eu trois titres méditerranéens après ça. J’ai été huit fois champion d’Afrique. Et j’ai fait les championnats arabes deux fois. Sans parler des championnats d’Algérie en individuel et par équipe.
Et votre conversion en tant qu’entraîneur, ça fait combien d’années que vous êtes entraîneur ? Est-ce que vous avez du plaisir à faire ce métier malgré les difficultés ?
Oui, c’est dans le sang. J’adore le judo, j’aime le judo. C’est ma vie. J’ai rencontré le judo avant de rencontrer ma femme. Donc, c’est une ancienne histoire entre moi et le judo. Et je continue à pratiquer au niveau des clubs. J’enseigne, je fais le maximum pour le judo.
Est-ce que vous pensez sincèrement que le judo algérien peut occuper une bonne place dans le gotha mondial où on est vraiment trop loin pour décrocher des médailles ? Sachant que c’est un pays, l’Algérie, qui a déjà décroché des médailles dans le judo en 2008 à Pékin.
Oui, je pense. Avec des bons gestionnaires, oui, c’est faisable.
Donc, le mal du judo ou du sport algérien, c’est la gestion ?
Je pense, c’est mon avis, il ne reste que mon avis. Mais je pense que c’est la gestion.
Dans quel état d’esprit est votre poulain, lui qui vient d’être éliminé par un ippon ? Vous l’avez vu après le combat ? Est-ce que vous pouvez nous dire comment il va ?
Il ne va pas trop bien, il a le moral sapé. Donc, j’essaie de lui parler et tout. Il a 28 ans. Il peut prétendre aux prochains Jeux Olympiques s’il sera pris en charge en 4 ans.
“J’arrête avec l’équipe nationale. Je suis dégoûté”
Et vous, sur un plan personnel, vous êtes un entraîneur chevronné. Vous êtes vers la fin de votre carrière. Vous avez encore de l’envie de transmettre aux jeunes votre passion, votre métier, vos connaissances sur le judo ?
Maintenant, au niveau équipe nationale, je suis dégoûté. J’ai pris la décision de quitter. Et je reste au niveau des clubs, dans la formation, pour poursuivre mon rêve.
Un mot de la fin. On ne peut pas être positif quand on voit les défaites qu’on subit. Mais quel message vous voulez transmettre au public algérien ?
Inch’Allah, ils vont comprendre. Ils vont pouvoir entendre, pas uniquement de Dahmani et analyser les choses. Et le public, il est là. Il veut que l’Algérie gagne. Il veut rêver. Et ça, ça demande, comme je l’ai dit, ça demande des gens compétents qui peuvent faire rêver ces gens-là.
Ce n’est pas le cas, malheureusement.
Oui, malheureusement.
Merci pour cette franchise et bonne continuation.
Le résumé de la journée de Mehdi Lili :