Accueil Interviews Entretien Exclusif JO Paris 2024 / Sid Ali Boudina : “Le sport en Algérie a besoin de changements et de compétences”
Entretien ExclusifInterviews

JO Paris 2024 / Sid Ali Boudina : “Le sport en Algérie a besoin de changements et de compétences”

Partager
Boudina
Partager

Toujours à Paris pour couvrir les Jeux Olympiques, La Gazette du Fennec a eu le plaisir d’interviewer un athlète algérien d’expérience au village olympique. Spécialiste de l’aviron, Sid Ali Boudina, qui enchaine à Paris 2024 sa 3ème participation aux Olympiades, après Rio 2016 et Tokyo 2020, nous partage des informations détaillées sur sa discipline et son parcours, ainsi que sur les défis auxquels sont confrontés les sportifs algériens au cours de leurs quatre années de préparation en vue des JO.

« Sid Ali Boudina, bienvenue sur La Gazette du Fennec. Tu as disputé aujourd’hui ton épreuve de skiff aviron aux Jeux Olympiques ici à Paris. Est-ce que tu peux nous en parler ?

« Bonjour à vous, merci pour cette invitation à La Gazette du Fennec. Aujourd’hui, c’était mon quart de finale des Jeux Olympiques d’Aviron. C’était une course assez relevée puisque je suis tombé sur une série assez relevée avec le champion olympique, et champion du monde allemand. J’avais comme objectif de passer les demi. Je n’ai pas réussi à passer les demi, mais je suis assez content de mon rendement pour ces Jeux Olympiques. »

« Pour ceux qui ne te connaissent pas, est-ce que tu peux te présenter un peu, nous dire d’où tu viens, quel âge as-tu, combien de participations tu as aux Jeux Olympiques ? Un résumé de ton parcours… »

« Sid Ali Boudina, je viens de la ville d’Alger, j’ai 34 ans. J’ai ramé au sport nautique d’Alger jusqu’à mes 22 ans. Ensuite, j’ai fait mes études en France où j’ai ramé avec le club d’Aviron Toulousain. Ensuite, je suis reparti sur Nantes pour ramer avec le cercle d’Aviron Nantais. Et là, dernièrement, j’ai fait mon dernier stage en Roumanie pour préparer les Jeux Olympiques de Paris. »

“J’ai découvert l’Aviron par hasard, mon père m’avait inscrit par erreur… et au final j’ai participé à 3 Jeux Olympiques !”

« D’où vient ta passion pour l’Aviron ? Ce n’est pas commun pour les Algériens. Comment tu as plongé dedans ? »

« C’est par hasard. Au début, je faisais de la natation. J’en ai fait pendant 10 ans à Alger et ça n’a pas trop collé avec les études. Mon père a dû m’arrêter pour que je puisse me concentrer sur les études. Une fois que j’ai un peu repris les études, je voulais faire du sport, je ne voulais pas m’arrêter. Je voulais faire de la planche à voile au début. Et comme par hasard, il m’avait inscrit à l’Aviron parce que je ne connaissais pas ce sport-là et je ne savais pas qu’il existait en Algérie. Donc, il m’avait inscrit à l’Aviron par erreur. Par curiosité, étant enfant, j’ai adoré ce sport-là et je suis resté. Et là, je participe aux Jeux. »

« Tu dis par erreur, tu n’étais pas programmé pour faire ce sport. Et là, aujourd’hui, tu es aux Jeux olympiques. C’est même tes troisièmes Jeux olympiques. Raconte-nous ces expériences-là de vivre des moments comme ça parmi les meilleurs athlètes du monde. »

« En fait, les Jeux, c’est le rêve de chaque athlète. Tout le monde rêve d’accéder à ces Jeux olympiques. J’ai dû travailler dur pour y arriver. Surtout en 2016, pour me qualifier pour mes premiers Jeux à Rio. C’était pour moi une aventure magique. C’était un rêve qui se réalisait, un rêve d’un jeune athlète. Donc, j’étais très content d’y être. Et là, c’est mes troisièmes Jeux. La magie opère toujours. Donc, je suis très content d’y être aussi à Paris 2024. »

Sid Ali Boudina
Sid Ali Boudina

« À 34 ans, tu as encore l’envie d’aller plus haut, plus loin ? Quels seraient tes objectifs par la suite ? »

« Oui, à 34 ans, en tant que sportif de haut niveau, c’est très dur d’arrêter le sport de haut niveau. Donc, on a toujours envie d’aller plus loin. Certes, il y a l’âge qui nous retient un petit peu. Mais si je suis toujours performant, je veux bien m’essayer à d’autres sports. Mais l’aviron, je pense que ça va être les derniers Jeux pour moi. »

“L’aviron est un sport de matériel. C’est un sport pour les pays hyper développés, hyper riches”

« Tu nous as dit en off que tu allais peut-être passer en triathlon, c’est ça ? C’est une discipline qui est répandue en Algérie ? Ou tu aimerais contribuer à son développement ?

« Oui, c’est une nouvelle discipline que j’aime bien, que j’ai déjà pratiquée en France. Là, elle se développe petit à petit. J’aimerais bien essayer ce sport-là. Puisque j’ai déjà fait de la natation, l’aviron, on fait tout le temps du vélo. J’ai sorti vélo avec les entraîneurs. Et il reste la course à pied. Je pense que je vais avoir le physique pour accéder à ce sport-là. Maintenant, je vais essayer, je vais voir, sans pression, bien sûr. »

aviron sid ali boudina ait deux de couple tokyo 2020

« Dans ces sports qui ne sont pas très développés en Algérie, on va dire, les Algériens attendent forcément toujours des médailles. Mais est-ce que tu peux nous expliquer la difficulté d’atteindre le top 10 mondial ? Est-ce que c’est inaccessible pour les Algériens dans ce domaine précis ? Et pourquoi ? »

« Non, actuellement, certes, c’est inaccessible. Je parle de ma discipline parce que la politique de développement de ce sport-là ne le permet pas. C’est un sport, comme on le sait, c’est un sport de matériel. Le matériel coûte très, très cher. Donc les clubs ne peuvent pas acheter le matériel. La fédération, pareil, elle ne peut pas acheter le matériel. Donc on va dire que c’est un sport pour les pays hyper développés, hyper riches. C’est eux qui peuvent changer leur matériel chaque année, qui peuvent développer ce sport-là. Mais nous, on essaie tant bien que mal de titiller un peu les gros. Mais sincèrement, c’est dur d’aller chercher la médaille olympique. »

“Il faut être indulgent avec les athlètes…moi je blâmerai les journalistes. Certains ne font pas leur travail !”

« Qu’est-ce que tu penses des supporters ? Forcément, ils attendent toujours les médailles. Mais quand ils voient les Algériens qui n’arrivent pas à se qualifier, qui sont éliminés souvent au premier tour, toi, tu es arrivé en quart de finale, ça reste une belle performance. Mais qu’est-ce que tu pourrais leur dire, aux Algériens, quand ils voient qu’on est éliminés dès les premiers tours, sachant que ce n’est pas un sport qui est développé chez nous ? Est-ce qu’il faut être indulgent ou est-ce qu’ils ont raison d’être exigeants ? »

« Non, il faut être indulgent. Et je pense que ce n’est pas le moment de faire un constat de ces jeux-là, parce qu’il faut savoir qu’il y a d’autres athlètes qui participent encore, qui ont encore leurs épreuves, qui les attendent. Il y a des athlètes qui ont des chances de médaille. Donc, quand ils voient des commentaires négatifs ou ils voient cet acharnement entre leurs confrères athlètes, forcément, ils ont un stress en plus. Ils ont peur d’aller à la compétition. Et je pense qu’il faut aussi connaître l’état de la préparation de l’athlète. L’athlète algérien a souffert pour arriver à ces Jeux Olympiques. Il n’a pas assez de moyens pour s’entraîner comme font les autres. Il n’a pas le planning de préparer les Jeux Olympiques pendant quatre ans. Donc, il y a tout ça qu’il faut prendre en considération. Mais moi, après, le public, je ne le blâmerai pas trop. Je blâmerai plutôt les journalistes. Il y en a certains qui ne font pas leur travail. S’ils faisaient plus leur travail à suivre les athlètes pendant quatre ans, à voir comment ils se préparent, à voir les moyens qui sont mis à leur disposition, là, après, ils peuvent parler, ils peuvent dire les choses. Mais quand tu te lâches sur un athlète, alors que tu ne sais même pas dans quelles conditions il s’est préparé, c’est dur d’accepter aussi. »

« Alors, critiquer les journalistes parce qu’ils ne font pas leur boulot, c’est vrai. Ils ne sont pas forcément au courant. Mais on a le sentiment que les moyens, il y en a. L’État donne de l’argent. On voit les budgets qui circulent, les infos qui circulent sur les budgets. L’État donne des gros moyens. Mais les athlètes se plaignent de ne pas avoir de moyens. Donc, c’est quoi le problème ? Est-ce que ce n’est pas plutôt les dirigeants qu’il faut blâmer, les dirigeants des fédérations ? »

« Oui, bien sûr. Moi, je suis d’accord avec toi. L’État donne beaucoup, beaucoup de moyens pour la préparation olympique. D’ailleurs, le secrétaire général du comité olympique, il a donné une somme astronomique assez conséquente. Donc, je pense que l’État donne beaucoup de moyens. Je pense qu’il n’y a pas une politique réelle de haut niveau dans le sport algérien. Je pense que la première responsabilité va directement au président des fédérations. Je pense que c’est eux qui doivent être blâmés, les techniciens de la fédération aussi, qui ne mettent pas un planning en place pour préparer la compétition phare qui est les Jeux olympiques, qui se prépare en quatre ans et pas en deux mois où la dernière année, on met tous les moyens sur l’athlète pour qu’il puisse faire une performance. Et ça, ça n’existe pas. La performance se construit pendant quatre ans, voire huit ans, pour espérer avoir une médaille olympique. Ça, c’est un projet. La médaille olympique, c’est un projet. Ce n’est pas un hasard. Ça ne vient pas comme ça. »

nihed benchadli sid ali boudina rameuse voile aviron jo 2024

« En parlant de médailles olympiques, là, on est avec 46 athlètes. J’imagine qu’à part ton sport, tu dois regarder aussi les autres disciplines. Qu’est-ce que tu pourrais nous dire sur les chances dans les autres sports ? Est-ce que tu penses qu’on va réussir à s’en sortir ? Ou bien, comme Tokyo, on est sorti avec zéro médaille. Est-ce que tu serais plus optimiste pour cette Olympiade de Paris ? »

« Oui, je pense que je suis plus optimiste. J’espère qu’il y aura une belle récolte de médailles, surtout en attendant notre championne Imane Khelif. J’espère qu’elle sera bien concentrée sur ses combats et qu’elle restera focus sur ses combats, qu’elle ne soit pas perturbée. Il y a aussi, on n’oublie pas Sedjati, qui vient de faire ses preuves pendant les deux derniers meetings. Il a explosé les chronos. Il est à 41 pendant deux meetings. Je pense que lui, il a une chance de médaille. Il va falloir se méfier des Kenyans, qu’ils ne lui bloquent pas la route. Mais je n’ai pas peur pour lui, je pense qu’il est prêt. Il y a aussi Kaylia Nemour qui a prouvé ses performances, qui est vice-championne du monde. Je pense que, dernièrement, la présentation qu’elle a faite avant-hier prouve qu’elle est en forme. J’espère qu’elle va avoir une médaille. Il ne faut pas oublier aussi notre Yasser Triki qui peut créer la surprise et nous décrocher une belle médaille aussi. »

« Est-ce que tu peux nous parler des conditions ? Là, on est devant le village olympique. Dans quelles conditions vous êtes ? Est-ce que l’ambiance est bonne entre les athlètes ? Est-ce que tu peux nous parler de l’intérieur ? »

« Oui, en vrai, l’ambiance est très amicale entre les athlètes. On est tous potes entre nous, donc on se soutient. Heureusement, sinon ça aurait été très dur à supporter, vu les critiques qu’on reçoit. L’ambiance est bonne au village, elle est bonne entre tous les athlètes, déjà les athlètes algériens et d’autres nations. Donc l’ambiance est bonne et les conditions sont bonnes aussi à l’intérieur du village. »

boudina sid ali canoe kayak fasack

« C’est quoi la vie dans un village ? Est-ce que tu peux nous dire un petit peu ? Il y a 10 000 personnes ici, 10 000 athlètes à travers le monde qui sont présents. Vous vous côtoyez à la cantine, vous parlez, raconte-nous un petit peu comment ça se passe. »

« En fait, c’est ça la magie des Jeux olympiques. Tous les athlètes se regroupent, même les athlètes phares et les athlètes stars qu’on voit habituellement à la télé, comme Lebron James, par exemple, ou Rafael Nadal. On le croise au restaurant comme un athlète anodin. C’est ça la magie des Jeux un peu. Et du coup, on mange tous ensemble dans un self-service. On a les mêmes conditions, tous pareils. Donc c’est ça à peu près, la vie au village olympique.  »

« Une petite anecdote à nous raconter ? Tu as croisé quelqu’un ?  »

« Oui, j’ai croisé Alcaraz, j’ai croisé Nadal. On croise aussi les coachs connus. Je pense que quand t’es fan, par exemple de Rafael Nadal, le fait de le voir à côté de toi, moi j’ai eu la chance même d’avoir un souvenir de lui, avec une dédicace. C’est vraiment fort et c’est magique. C’est ça les Jeux.  »

« Sid Ali, tu as 34 ans. Tu es plus vers la fin de ta carrière, même s’il n’y a pas d’âge défini dans ton sport. Mais on voit que tu as de l’expérience, que tu as beaucoup de réflexion. Est-ce qu’on pourrait t’imaginer dans l’après-carrière, être un dirigeant sportif ? Parce qu’on a beaucoup de mal en Algérie au niveau de la gestion. Mais vu que tu as l’air de bien maîtriser ton domaine, est-ce que tu pourrais te destiner à une carrière comme ça ? »

« Oui. J’ai déjà réfléchi à ça et je pense que pour apporter le changement, il ne suffit pas que de parler. Il suffit d’y aller. Il suffit d’y aller dans le combat. Je suis un compétiteur et je sais défendre mes idées. Donc j’ai plein d’idées. Je sais que ça ne va pas être une tâche facile. De faire bouger les choses, malheureusement en Algérie, c’est très très dur d’apporter un changement. Mais il faut se battre pour. Et s’il y a une cause à défendre, forcément on va réussir vers la fin. Et j’espère. »

“Il faut du vrai changement. En Algérie on fait du social, pas du haut niveau. On a besoin d’une politique sportive claire et précise”

« Il faut vraiment un changement. On est d’accord. Le mouvement sportif algérien a besoin de sang frais et de compétences. »

« Non, non. Il faut vraiment un changement. Il faut vraiment de la compétence. Il faut vraiment qu’on installe des stratégies vraiment de haut niveau. Les infrastructures, pareil, il va falloir bien les gérer pour qu’ils puissent accueillir les maximums d’athlètes de haut niveau. Donc je pense qu’on doit maintenant réfléchir vraiment haut niveau pour apporter des médailles à l’Algérie et ne pas faire que du social. Nous, malheureusement, ce qu’on fait en Algérie, c’est beaucoup plus du social, mais pas du haut niveau. Donc il va falloir vraiment avoir une politique claire et précise de haut niveau. Un projet de A à Z. Et pour qu’on puisse récolter le maximum de médailles à l’échelle internationale. Il faut aussi arrêter certes, c’est bien d’être champion d’Afrique, c’est bien d’être champion d’Arabe, mais on le voit maintenant, ce n’est pas suffisant. Je te dis, moi j’ai 13 titres africains, mais je ne suis pas champion olympique ou pas champion du monde. Donc il faut arrêter de jouer sur ça, il faut vraiment se dire, là il faut aller choper les médailles mondiales et les médailles olympiques pour faire briller le drapeau algérien au plus haut niveau. »

barbari boudina tazir youcef entree village delgation algerienne jo paris 2024

« Dans les années 80, c’était l’esprit un peu amateur, on arrivait à décrocher des médailles parce qu’on avait du talent. Mais aujourd’hui, dans le monde moderne, ça ne suffit plus. »

« Non, ça ne suffit plus. Maintenant, il faut beaucoup de moyens. Les années 80, ce qui était bien, c’est qu’il y avait des grosses entreprises qui géraient un petit peu les clubs, c’était eux qui géraient le sport d’un niveau un petit peu. C’est ça qui aidait les athlètes à se préparer. Mais là, on n’a plus ça. Là, par exemple, en Algérie, on n’a plus cette culture de sponsoring, plus cette culture d’aide. Donc la fédération, elle fait quoi ? Elle attend la subvention du ministère. S’il n’y a pas de subvention, tout le monde est à l’arrêt. Il n’y a plus de stage. Et s’il n’y a plus de stage, forcément, tu ne peux pas avoir des résultats. On ne peut pas se permettre d’arrêter un athlète pendant six mois et espérer qu’il ait une médaille olympique ou une médaille mondiale. Ce n’est pas possible. »

« Merci pour cette interview et bonne chance pour la suite de ton parcours. Ce n’est pas fini pour toi. Explique-nous ce qui te reste exactement dans ton épreuve d’aviron. »

« Là, c’est les finales de classement. Je dois courir pour avoir ma place de la 13e jusqu’à la 24e place. Au total, il y a 32 participants. Les 24 et 30 sont déjà passés. Là, c’est la 13e à la 24e place. »

« Bon courage. A bientôt. Merci. »

Partager
Related Articles
Mahrez
#Team DZActualités

Al-Ahli : vers un changement de coach pour Mahrez

Le club saoudien d’Al-Ahli semble prêt à accueillir un nouveau chapitre dans...

Boudjemaa JSK
#Team DZActualités

Mercato : Mehdi Boudjemaa vient renforcer la JSK !

La JS Kabylie a officialisé sa première recrue du mercato hivernal :...

Kolli
#Team DZActualités

Angleterre : Rayan Kolli prolonge au QPR !

Le jeune attaquant algérien Rayan Kolli, 19 ans, a choisi de prolonger...