Suite aux licenciements de Mehdi Baaloudj et Cyril Khetir pour non-respect du protocole sanitaire mis en place par l’Olympique de Marseille, l’opinion publique s’est offusquée du renvoi de ces jeunes internationaux algériens U20 à leur retour du Tournoi UNAF 2020 disputé avec les Verts en Tunisie. De ce fait, la Gazette du Fennec s’est rapprochée de Nasser Larguet, directeur du centre de formation de l’Olympique de Marseille afin d’obtenir sa version des faits. Entretien.
LGDF : Pouvez-vous rappeler précisément les faits qui ont entraîné les ruptures de contrat de Mehdi Baaloudj et Cyril Khetir ?
Nasser Larguet : On a reçu une première convocation au mois d’octobre pour nos joueurs U20 de National 2, c’était un peu compliqué car nous avions un match le samedi et je crois que les jeunes devaient partir le jeudi ou le vendredi. Nous avions demandé à la sélection algérienne si cela était possible de les faire jouer avec nous le samedi et qu’ils rejoignent la sélection un peu plus tard mais c’était très urgent pour eux, il fallait qu’ils testent ces cinq joueurs convoqués dont Mehdi Baaloudj et Cyril Khetir en vue du tournoi qualificatif à la prochaine Coupe d’Afrique des Nations U20. Nous les avons donc autorisé à partir sans qu’ils ne jouent le match de championnat avec nous. Malheureusement, Mehdi Baaloudj, Cyril Khetir, Yanis Hadjem et Joakim Kada ont été détectés positifs à la COVID-19. À ce moment-là, la procédure est que les joueurs soient mis en quarantaine une semaine. Ensuite, une fois qu’ils sont re-testés et si ils sont négatifs, nous leur faisons passer une batterie de tests cardiologiques. Nous avons deux cardiologues qui bossent pour nous et sont référents pour l’ensemble du club, un qui est spécialiste de l’échographie cardiaque et un deuxième qui s’occupe de tout ce qui est ECG (ndlr : Électrocardiogramme) et des tests à l’effort. Lors de la deuxième convocation au mois de novembre, pour laquelle nous étions totalement en phase puisque j’ai d’excellents rapports avec la Fédération algérienne et notamment Chafik Ameur qui était mon ancien collègue quand j’étais en Afrique. On a pas du tout refusé de les envoyer, il y avait juste une procédure à respecter en amont à savoir de passer une échographie. Problème, nos cardiologues n’étaient pas disponibles, Mehdi Baaloudj et Cyril Khetir ont pris la décision d’aller faire ces échographies seuls en bravant le protocole médical du club. Ils ont déposé leurs dossiers chez le médecin du club et sont partis en sélection sans que ce dernier ne puisse donner son aval.
« Tout a été fait pour faciliter les choses et protéger les joueurs. J’ai même envoyé les numéros téléphoniques de nos médecins à la DTN de la FAF »
LGDF : Selon des informations que l’on a récoltées ces dernières heures, Mehdi Baaloudj et Cyril Khetir avaient un rendez-vous le 6 novembre chez le cardiologue du club, ce rendez-vous aurait-été annulé par l’Olympique de Marseille trois jours plus tôt, et ce, alors que les jeunes devaient rejoindre la sélection le 9 novembre. Qu’avez-vous à dire à ce sujet?
Non le rendez-vous n’a pas du tout été annulé par le club. L’annulation résulte, à ce moment-là, de la montée de l’épidémie sur Marseille et nos cardiologues de l’hôpital de la Timone ont été réquisitionnés dans le cadre du « Plan blanc ». Ces derniers nous ont dit de reporter les rendez-vous d’une semaine voire dix jours. J’étais d’ailleurs en relation avec la Fédération algérienne de football pour leur expliquer le contre-temps, des courriers ont notamment été envoyés. Par ailleurs, j’ai même transmis les numéros téléphoniques de nos deux médecins à la DTN algérienne afin qu’une solution sur cette partie cardiologique puisse être trouvée et qu’ils puissent s’arranger avec les médecins de la FAF. Tout a été fait dans le but de faciliter les choses mais également dans le but de protéger nos jeunes et la Fédération algérienne. Regardez ce qui est arrivé au sein de la délégation égyptienne… (plusieurs cas de COVID-19 détectés ayant entrainé le forfait de l’Égypte pour le tournoi UNAF, ndlr). Nous voulions absolument que ces jeunes aillent en sélection, le report de ce rendez-vous n’est que la résultante des conditions sanitaires de l’hôpital de la Timone. Pour ma part, j’ai toujours facilité les sélections de nos jeunes, même hors date FIFA. C’est une fierté pour le club et cela veut dire que l’on travaille bien. D’ailleurs, je viens de m’entretenir avec la FAF sur le cas d’un joueur U17, Imran Moussaoui. Lui aussi a été testé positif, il a été patient afin de passer tous les tests et j’ai donné mon accord pour qu’il soit retenu avec la sélection algérienne.
LGDF : Toujours selon nos informations, Mehdi Baaloudj et Cyril Khetir auraient eu votre accord afin d’aller faire ces échographies dans un organisme extérieur…
Non, il y a un des deux qui m’a appelé en me disant que cela traînait trop et qu’il allait passer ce test à l’extérieur. Je lui ai répondu qu’ils pouvaient aller voir qui il voulait mais qu’il fallait quand même l’aval et le feu vert des équipes médicales de l’Olympique de Marseille. D’ailleurs, même le médecin du club avait dit qu’il fallait attendre de passer le rendez-vous avec les cardiologues référents du club. Ils peuvent faire les tests qu’ils souhaitent mais il faut quand même la validation du club. Un des deux jeunes a déposé son dossier sur le bureau du médecin du club et est reparti sans que ce dernier ne valide le dossier et l’autre l’a déposé au poste de sécurité en leur disant qu’il fallait le transmettre au staff médical. Je répète, nous n’avions aucun problème à ce que les joueurs aillent en sélection, il y avait seulement une procédure à respecter.
LGDF : Ne pensez-vous pas que cette réponse a pu être mal comprise ?
Non, dans ma réponse, il y a quand même un terme qui est important c’est celui de l’accord du service médical du club. J’ai bien notifié qu’il fallait la validation interne. J’étais d’ailleurs en relation avec monsieur Karim Idir qui s’occupe des détections et Chafik Ameur pour savoir si il était possible de retarder leurs arrivées de quelques jours afin qu’ils puissent passer les tests avec nos cardiologues.
LGDF : Pensez-vous que la Task Force représentée par monsieur Karim Idir et la Fédération algérienne ont tout fait pour éviter ce qui a suivi ?
Je ne peux pas vous répondre là-dessus, il faudrait demander aux personnes concernées. Pour ma part, j’ai de très bonnes relations avec la FAF et j’ai donné toutes les informations nécessaires et fait le maximum afin que ces joueurs puissent honorer la sélection. C’est notre protocole qui a été court-circuité.
« J’ai été de l’autre côté de la barrière, je ne vais pas m’amuser aujourd’hui à bloquer les jeunes »
LGDF : On a l’exemple d’Oussama Targhalline qui a participé au tournoi UNAF avec le Maroc U20 sans pour autant être inquiété, il n’y avait donc aucune barrière de mise au sein du club phocéen ?
Non, non pas du tout. Que les jeunes soient dans l’équipe du Sénégal, du Maroc, de l’Algérie ou autres, nous essayons de faciliter les sélections pour nos jeunes. J’ai été de l’autre côté de la barrière (M. Larguet a été Directeur technique national au Maroc de 2014 à 2019 ; ndlr) et je sais que c’est difficile de ramener des joueurs binationaux. Je ne vais pas m’amuser aujourd’hui à bloquer les joueurs, ça serait pas du tout professionnel et surtout inhumain. Si l’évolution des joueurs doit passer par une convocation en sélection, nous serions fous de refuser cela.
LGDF : Selon plusieurs sources, ce motif ne serait qu’un prétexte pour virer les jeunes et ainsi laisser la place à d’autres joueurs venus du continent africain notamment, qu’avez-vous à répondre à cela ?
C’est totalement faux. Les recrutements ont été effectués dans le but de renforcer l’effectif de National 2 car l’équipe n’avait pas de bons résultats. Nous avons recruté un Ivoirien, un Sénégalais et un Marocain. Ce dernier était déjà dans notre viseur la saison dernière.
« Il n’y a absolument aucun rapport entre ces licenciements et notre recrutement de joueurs africains »
LGDF : Y’a t-il un rapport entre ces recrutements et les licenciements de Mehdi Baaloudj et Cyril Khetir?
Aucun rapport. Vous pouvez me croire, cela fait 37 ans que je fais ce métier et je n’ai jamais entendu une chose pareille. D’ailleurs j’aimerais vous remercier de me donner la parole afin de clarifier les choses. Je n’ai aucune animosité envers qui que ce soit, il est juste important de faire respecter les règles de l’institution. Ce protocole a été mis en place afin de protéger les joueurs testés positifs mais Mehdi Baaloudj et Cyril Khetir n’ont pas respecté les démarches à suivre. Vous savez, j’ai exclu, avec l’accord du club, un très bon jeune joueur marocain lors de ma première année à l’OM car il a failli aux valeurs du club. Ce n’est jamais une partie de plaisir que de se séparer d’un élément mais lorsque l’institution n’est pas respectée, il faut agir en conséquence. Malheureusement aujourd’hui l’évolution du football nous montre que certains joueurs ou même entraineurs n’hésitent pas à se mettre au dessus de l’institution et je pense que c’est important de rappeler à nos jeunes que, certes, ils sont au cœur du projet mais qu’il y a une institution au-dessus d’eux.
LGDF : Pouvez-vous nous rappeler les statuts de Mehdi Baaloudj et Cyril Khetir au sein de l’équipe réserve?
Ils étaient titulaires et présents pratiquement à tous les matchs depuis la saison dernière avec des performances correctes sansqu’elles ne soient pour autant exceptionnelles. On voulait les amener au bout du projet, ils arrivaient en fin de contrat à la fin de cette saison. Mehdi Baaloudj faisait partie des garçons que l’on a envoyé régulièrement en équipe première la saison dernière. Malheureusement pas beaucoup ont confirmé avec le groupe professionnel. Ça nous pénalise de ne pas les garder, et ce n’est pas de gaité de cœur de les avoir virés aussi bien sportivement qu’humainement.
LGDF : Donnaient-ils satisfaction au niveau du comportement ?
Ils sont dans la lignée de tous les jeunes qui prétendent à devenir professionnel. Parfois ils sont adorables et parfois ils sont exécrables. Par moment, ils manquent de patience, ils ont des comportements qui ne sont pas conformes avec ce qu’on attend mais je ne peux pas vous dire qu’ils étaient pires ou mieux que d’autres. Les jeunes qui aspirent au monde pro veulent parfois brûler les étapes et ne sont pas toujours très bien conseillés par l’entourage.
« Concernant Joakim Kada, c’est une énigme pour moi. Il était noté dans les convocations mais n’a jamais reçu les billets d’avion »
LGDF : Concernant Joakim Kada, pourquoi n’a t-il pas participé aux regroupements suivants ? Le sélectionneur national Saber Bensmain avait pourtant réclamé sa présence…
Le cas de Joakim est une énigme pour moi. Il a reçu sa convocation et attendait de pouvoir passer son test cardiologique car lui aussi avait été déclaré positif au mois d’octobre. On avait son nom sur les convocations mais on a pas reçu de billets d’avion ni quoi que ce soit. En général, on a toujours l’habitude de recevoir les convocations puis les itinéraires afin de déposer les jeunes à l’aéroport et de les récupérer ensuite. D’ailleurs lors du stage de novembre, Mehdi Baaloudj et Cyril Khetir sont partis sans que l’on sache leurs itinéraires. Lorsqu’ils sont partis, j’ai demandé à Joakim si il avait reçu quelque chose, il m’a dit qu’il n’avait rien reçu.
LGDF : Pour finir, j’aurai quelques questions à vous poser sur votre passage au sein de la DTN marocaine.
Oui, allez-y.
LGDF : La FAF a mis en place une Task Force afin de dénicher des jeunes talents en Europe, ce qui a éveillé certaines interrogations concernant le fonctionnement de cette cellule. Qu’avez-vous mis en place lors de votre mandat en tant que DTN du Maroc ? Comment se passait la détection ?
Nous avions effectivement une cellule en Europe. Nous avions plusieurs scouts salariés de la Fédération marocaine de football à travers le continent. Un en France, un en Espagne et en Italie, un en Belgique et un en Hollande car c’est là bas qu’il y a une grosse communauté marocaine. Tous suivaient pratiquement tous les matchs des jeunes de 14 à 17 ans et dès que j’avais des informations sur ces derniers j’organisais des rassemblements notamment en Belgique et en France avec les meilleurs éléments que l’on m’avait signalé dans les différents pays. Une fois que les joueurs m’avaient convaincu de leurs qualités, je prenais rendez-vous avec leurs clubs respectifs. Ça a notamment été le cas avec le Real Madrid pour Achraf Hakimi. Bien sûr, on avait l’accord de la famille car le projet proposé était un réel projet d’avenir. Ensuite, on rencontrait le club pour se mettre d’accord avec eux afin qu’ils nous laissent les jeunes car certaines compétitions africaines se déroulent hors date FIFA et le deal était qu’ils nous laissent les jeunes pour ces compétitions officielles mais que si d’autres rassemblements ne débouchaient pas sur des matchs ou tournois officiels, c’était au bon vouloir du club. Si ces derniers refusaient, on acceptait de se passer de ces joueurs. Nos scouts continuaient de superviser ces joueurs en permanence en nous faisant des rapports réguliers et j’organisais des réunions trimestrielles avec eux afin de faire le point. Enfin, au moins une à deux fois par an, on rassemblait les jeunes au Maroc ou lors de tournois internationaux en France.
LGDF : C’était uniquement des scouts et non pas des agents de joueurs ou autres ?
Oui c’était uniquement des scouts, salariés de la Fédération marocaine. Il est arrivé qu’un agent m’appelle pour un joueur, mais je transmettais l’information à mes scouts afin de vérifier la qualité du joueur et si ce dernier était éligible pour la sélection nationale. Si c’était le cas, moi ou mes entraineurs nationaux allaient également voir ces jeunes en Europe, et ce, afin d’éviter tout conflit d’intérêt.
« Construire un projet au sein de mon propre continent ? Je dirais oui pourquoi pas »
LGDF : Que retenez-vous de cette expérience chez vous au Maroc ? Certains pointent le fait que vous n’ayez rien gagné…
Ce fut une excellente expérience. On a eu Achraf Hakimi qui a commencé avec nous et qui a fait les catégories de jeunes puis les A, Nouzair Mazraoui également de l’Ajax Amsterdam. On est vraiment très fiers de ces joueurs-là surtout que l’objectif n’était pas seulement de composer des équipes U17 ou U20. Lorsque je prenais un joueur, même si je savais que des échecs pouvaient arriver, il fallait que j’ai la conviction intime que je pouvais l’emmener jusqu’à l’équipe des Olympiques. Après oui certains ont dit que nous n’avons rien gagné mais on a eu la chance de se qualifier avec les U17 pour la CAN 2019 en Tanzanie, chose qui n’était pas arrivé depuis des années car que ce soit contre la Tunisie ou l’Algérie, on n’y arrivait pas. Pour les U20 c’était plus compliqué car nous étions au début du projet, vous voyez l’équipe qui vient de se qualifier pour la CAN 2021 ? 75% des joueurs de l’effectif ont débuté avec moi en U15 et ont d’ailleurs été en Tanzanie également. Je savais pertinemment que les résultats allaient arriver dans le temps.
LGDF : Dernière question, seriez-vous intéressé par un poste de DTN dans un autre pays africain, en Algérie par exemple ?
Les cinq années que j’ai passé au Maroc m’ont appris beaucoup de choses. Éventuellement construire un projet pour un pays et partager des expériences au sein de mon propre continent, pourquoi pas oui.
La Gazette du Fennec vous remercie, Nasser Larguet.
C’est moi qui vous remercie et j’espère que mes réponses ont été claires. Je tiens à vous féliciter pour votre démarche car vous m’avez laissé m’exprimer et ce n’est pas toujours le cas dans le journalisme. Je vous souhaite une bonne continuation.
Entretien réalisé par Abdelkader Zinou, pour La Gazette du Fennec
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