Entre sport de haut niveau et aider son prochain, Walid Badi, le jeune handballeur professionnel algérien, ne veut pas choisir. Entre “Solidaritess“, son association d’aides aux familles démunies, son cabinet médical et son club de handball de l’US Ivry-sur-Seine, l’ailier de 24 ans rêve aussi de l’Équipe nationale d’Algérie de handball. Rencontre avec un sportif généreux mais aussi ambitieux !
La Gazette du Fennec : Pour commencer, peux-tu te présenter à nos lecteurs ? Tu es de quelle région d’Algérie et y vas-tu ?
Walid Badi : Je m’appelle Walid Badi, j’ai 24 ans. Je suis joueur professionnel de handball à l’US Ivry depuis 2016-2017. Je pratique le handball dans ce club depuis l’année 2002. Je suis originaire d’Alger, El Harrach plus précisément. J’y retourne de temps en temps en famille.
Tu as aussi d’autres activités, à côté de cela ?
J’ai une association qui s’appelle Solidaritess. C’est une association qui vient en aide aux plus démunis, aux plus vulnérables, aux plus nécessiteux, pour résumer à toute personne qui a besoin d’aide. L’association est aussi sur des projets de voyage humanitaire.
Peut-on aussi t’appeler Docteur Badi ?
Effectivement, lors de mon cursus au centre de formation du club, j’ai passé un diplôme de diététicien-nutritionniste. Du coup, en début d’année, j’ai ouvert un Centre médical, à Ivry sur Seine, que j’ai appelé « place Badi ». Dans ce centre il y a du monde médical comme des ostéopathes, kiné, esthéticiens…
Est-ce que tu pratiques dans ce centre médical ou pas encore ?
Cela m’arrive, je prends certains patients, mais je n’ai pas réellement beaucoup de temps. Alors quand je peux, je prends certains patients comme certains de mes proches pour ne pas perdre la main. Une fois que ma carrière sera finie, j’y travaillerai beaucoup plus souvent.
“Cette crise sanitaire a profondément modifié nos actions. On a l’obligation morale de ne pas oublier ces familles après la crise”
L’actualité est l’arrêt du championnat de handball par la fédération française, à cause du virus Covid-19. Donc tu ne joues plus au handball et tu te consacre pratiquement pleinement à ton association “Solidaritess”. Expliques-nous concrètement ce que vous y faites.
Mes journées commencent très tôt. Comme les entraînements sont arrêtés, je vais m’entraîner tout seul dès le matin afin de garder la forme. Puis je m’occupe des réceptions avec tout le personnel de l’association. De 9h à 12h30, on reçoit des livraisons de denrées alimentaires. Ces livraisons viennent de grandes enseignes, d’autres associations ou de simples citoyens. Il y a aussi les dons financiers avec lesquels on fait les courses pour le lendemain. À réception de toutes ces denrées, on les stocke chacune dans une salle leur correspondant : les légumes avec les légumes, les conserves et tout ce qui est produits secs dans une autre salle, etc. Depuis quelques temps, on a eu des dons de frigidaires. On va pouvoir, prochainement, offrir aussi des produits frais. À 13h, on reçoit les familles qui sont dans le besoin. Comme dans les Restos du Cœur, on les reçoit, on les recense, afin de suivre ces familles, après la crise. Puis vient le moment de la distribution, chaque famille reçoit un colis contenant des fruits, des légumes, des conserves, des pâtes, du riz etc.
Pourquoi recensez-vous ces familles ?
Normalement on effectue autre chose durant l’année : on organise des actions caritatives. Mais cette crise a profondément modifié nos actions. Aujourd’hui nous sommes obligés de nous orienter vers l’aide direct. On a l’obligation morale de ne pas oublier ces familles après la crise. Il faut donc continuer à aider ces personnes. En les recensant, on pourra mieux communiquer avec ces familles, afin qu’elles puissent bénéficier de nos actions.
Combien de famille avez-vous recensé ?
Les deux derniers jours, nous avons aidé une centaine de familles. En général ce sont des familles nombreuses, donc je pense que nous avons touché au total 300 à 400 personnes.
Votre action s’arrête à la fin de la distribution ou bien vous avez encore du travail ?
Malheureusement non, notre action continue. Nous nous sommes engagés auprès des personnes déjà touchées par le virus, les personnes âgées, les personnes handicapées, afin d’effectuer leurs courses, l’achat de produits pharmaceutiques, ainsi réduire au mieux leurs déplacements, puisque ce sont des personnes encore plus vulnérables. Une fois l’accueil du jour terminé, on recense les messages reçus par ces personnes, avec leur liste. Puis on effectue la tournée auprès de ces personnes. Pour finir, auparavant nos actions étaient principalement dirigées vers les sans-abris. Cela nous tient à cœur de continuer cette action. On a donc un partenariat avec l’action sociale de la ville, qui nous prépare des kits de repas chaud ou froid. On les récupère vers 18h, 18h30 pour les distribuer auprès des sans-abris qui sont sur Ivry ou proche de Paris. On fait cela tous les jours, mais je ne saurai pas vous dire jusqu’à quand. Sans oublier que cette crise engendre d’autres problèmes, de chômage technique donc un manque de moyens pour les familles qui en avait très peu déjà.
Qui effectue tout ce travail ?
En général, ce sont des bénévoles qui font, tous les jours, ce travail. On parle plus de moi, parce que je suis plus médiatisé, étant donné que je suis sportif professionnel. Mais il ne faut pas oublier toutes ces personnes qui sont aussi importante que moi pour le bon fonctionnement de l’association. Il faut aussi souligner qu’à cause de cette crise, on est tous soumis à une charte sanitaire. On s’engage à ce que toute la distribution se fasse dans des conditions idéales. Toutes les denrées sont désinfectées, le personnel est protégé, et il protège les familles qui reçoivent des colis.
“Notre objectif est d’aider les personnes les plus démunies. Si des personnes viennent à tricher c’est qu’elles sont aussi dans le besoin”
Les dons effectués aux familles sont-ils gratuits ?
Oui bien sûr. Ce sont des familles démunies. Elles ne paient pas ces colis. Je sais qu’il y a toujours des personnes qui peuvent profiter de nos dons, mais c’est un pourcentage infime par rapport au grand pourcentage des familles qui sont dans le besoin. On ne filtre pas les personnes, on considère que c’est aux personnes d’être de bonne foi, surtout dans les moments difficiles comme ceux d’aujourd’hui, où la solidarité doit en sortir grandie. Dans tous les cas, notre objectif est d’aider les personnes les plus démunies. Si des personnes viennent à tricher c’est qu’elles sont aussi dans le besoin. Je pense que Si ces personnes sont là, ce n’est pas par plaisir.
Avant de recevoir les dons d’autres associations, de grandes enseignes ou du simples citoyens d’où venait votre financement ?
Comme je l’ai dit plus haut, à la base notre association était dirigée vers les actions humanitaires en Afrique. Par certaines de nos actions, on avait réussi à avoir un financement. Cette crise nous a réorienté vers le quotidien. Nos actions humanitaires sont donc reportées, on espère, à l’été. Par conséquent, on s’est permis de piocher dans cette cagnotte, en attendant que tous nos partenariats se mettent en place. Aujourd’hui la solidarité a le vent en poupe, on reçoit énormément de dons, aussi bien par la mairie qui nous donne aussi les équipements adéquats, mais aussi par les grandes enseignes. Cela fait 5 jours, cela est devenu optimal. On commence à avoir des stocks, et ainsi répondre à tous les besoins, même en fin de service.
D’où vient le nom Solidaritess ?
Ce mot est un mixte de deux autres mots, solidarité et Tess. Il y a quelques années, avant d’être connue avec « Solidarité » tout le monde connaît, et « Tess » vient du verlan de « cité ». Dans le langage de tous les jours, “La Tess” est la cité. C’est le lieu d’où on vient et donc ce mot de Solidaritess représente la solidarité mais aussi nos origines. Il y a un message derrière ce mot qui dit que les jeunes de la cité font aussi des bonnes choses. On cherche à enlever la mauvaise image que certains veulent nous coller. On veut montrer l’exemple et être aussi un exemple pour certaines personnes. C’est un clin d’œil aussi à mon ami Samba Gassama, qui est pleinement impliquer dans l’association depuis ces origines, il y a quelques années. Il avait eu l’idée de ce nom et c’est tout naturellement qu’on l’a repris pour l’association, quand il fallait officialiser tout cela.
Quelles sont les moyens pour vous joindre ?
Nous sommes très présents sur les réseaux sociaux : Instagram, Facebook, Twitter, Snapchat. À chaque fois, il faut mentionner « Solidaritess ». Toutes nos coordonnées sont sur ces moyens de communication.
Autre sujet, après tout le travail effectué avec l’association, tu trouves le temps d’être au cabinet médical ?
Ce n’est qu’une question d’organisation, j’ai appris très tôt à être organisé. Il y a d’autres personnes qui gèrent quand je ne suis pas là, ce sont des frères de cœur. Je ne suis pas seul, d’autres personnes prennent le relai. Monsieur Buret, qui m’a aidé à monter cette structure, aussi bien financièrement que juridiquement, s’en occupe quand je ne suis pas là. J’essaye de passer au moins une fois par jour pour avoir un œil dessus et quand cela le permet de prendre un ou deux patients.
Quelle est ta cible de clientèle ?
Dans la santé il n’y a pas de cible. On cherche à soigner les personnes atteintes d’une pathologie. Ce centre n’est pas réservé qu’aux sportifs, c’est un centre de santé pour tout le monde.
Ta reconversion après le sport de haut niveau est toute trouvée ?
Exactement, j’y ai pensé très tôt. Mais il vaut mieux y penser tôt parce que dans le milieu du sport tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Il y a bien sûr les blessures, mais il y a aussi les aléas du changement de club. Aujourd’hui je suis tranquille sur ce point de vue. Quand on est bien dans sa tête, on est bien sur le terrain.
Revenons à ton activité principale, le handball. Avant l’arrêt du championnat avec ton club l’US Ivry, comment cela se passait-il ?
La moitié de l’équipe était blessée, et malgré cette conjoncture, on était sur une bonne trajectoire puisque on sortait de trois victoires à domicile contre des gros clubs du championnat : Montpellier, Saint-Raphaël, et Toulouse. Le fait qu’il ait beaucoup de blessés a permis à certains de sortir du lot et de s’exprimer un peu plus que lors de la première partie de saison. Cette conjecture a été un paramètre fédérateur qui nous a permis d’être sur une bonne dynamique.
“Je suis demi-centre de formation mais aussi ailier gauche avec des qualités de vivacité. A Ivry je suis chez moi, c’est ma maison !”
Vous était quand même 12ème sur 14 équipes.
Oui c’est vrai mais cette année beaucoup d’équipes se suivent à 2 ou 3 points. Je pense que notre véritable classement est au milieu du tableau et non pas à la fin.
Si le championnat est gelé par la fédération, vous vous maintenez en Division 1, la Lidl Starligue ?
Vu tous les efforts fournis, c’est un moindre mal pour nous. On ne mérite pas de descendre. Par souvenir, durant toute la saison, on n’a jamais été dans la zone de relégation. Je ne pense pas que ça soit un vol si on se maintient aujourd’hui.
A quel poste jouez-vous?
Pendant toutes mes années de formation, j’ai joué en demi-centre. Par contre quand j’ai commencé à jouer en professionnel, j’ai été placé sur l’aile gauche. A la vue de mes qualités de vivacité, j’ai joué pratiquement comme un faux ailier. Alors le coach m’a remplacé en demi-centre. Aujourd’hui j’alterne entre l’aile gauche et demi-centre.
Ivry est votre ville, votre club. Est-ce que vous vous voyez jouer ailleurs ? Si demain un club plus huppé veut vous recruter est-ce que vous changerez d’air ?
À Ivry, je me sens très bien, c’est ma maison. Je ne me pose pas cette question. Chaque sportif a sa motivation dans le sport, et chacun a son équilibre. Certains sont attirés par la renommée, d’autres par l’argent, d’autres par les trophées, et moi je suis toujours attiré par un équilibre et la stabilité. Il y a beaucoup de personnes qui sont autour de moi, des proches, ma famille. Toutes ces personnes comptent beaucoup pour moi et j’aimerais les rendre fier. À Ivry, j’ai tout cela et tant que j’aurais tout cela, je ne pense pas partir. Le jour où il n’y aura pas tout cela, je me poserai la question. C’est peut-être moi qui joue sur le terrain, mais je ne joue pas que pour moi, je joue pour ma famille, pour mes amis et généralement pour ma ville. Tout cela me tient à cœur.
En tant que joueur professionnel tu as forcément des ambitions, quels sont-elles ?
Oui bien sûr comme beaucoup de sportifs, j’ai beaucoup d’ambitions. Après il faut avoir les moyens de ses ambitions et je suis encore jeune. Il faut aussi être prêt et trouver l’équilibre parfait afin d’atteindre ses ambitions. Pour l’instant je me sens bien à Ivry.
Comme des ambitions internationales : Algérie ou France?
Effectivement les équipes internationales m’intéressent beaucoup et plus particulièrement celle de l’Algérie. J’étais en contact depuis 2016 avec la fédération algérienne. Ma première convocation était en 2016, mais je n’ai pas pu y aller à cause d’une blessure.
“Je suis en contact avec le sélectionneur Alain Portes et j’espère faire partie du groupe de l’Algérie pour les prochaines échéances”
As-tu eu des contacts récemment avec le sélectionneur Alain Portes ?
Oui, il m’a contacté avant la CAN 2020. J’étais présélectionné dans une liste élargie. Mais j’ai eu un trou dans la saison, à cause d’une blessure aux adducteurs. Quand le sélectionneur m’a contacté, je lui ai expliqué ma situation. Pour lui, le fait que je sois resté sur une longue période sans m’entraîner, 1 mois et demi sans compétition, n’était pas adéquat pour ma sélection. Il m’a expliqué qu’avec ce manque de rythme pour une coupe d’Afrique qui est intense, il n’était pas possible de me sélectionner. Il y a d’autres compétitions qui arrivent après la CAN, comme la coupe du Monde, et donc nous restons en contact. Cela sera une grande fierté de porter le maillot vert.
As-tu suivi cette coupe d’Afrique ?
L’Algérie fini troisième, c’est une bonne place. L’équipe était en reconstruction donc le fait d’engranger ces victoires a fait du bien. De plus, je pense que l’objectif était de se qualifier pour le Mondial, ce qui a été fait. Finir troisième derrière la Tunisie et l’Égypte, qui sont des équipes costauds du continent, c’est une belle performance. Rajouter à cela que la Tunisie joue à domicile, que le sélectionneur Alain Portes avait pris ses fonctions peu de temps avant la CAN, que c’est sa première compétition, avec l’Algérie et l’équipe n’était pas au complet. Tout cela mis bout-à-bout, on comprend que cette troisième place est de bon augure pour l’avenir.
Les prochaines compétitions pour l’équipe d’Algérie sont le tournoi qualificatif pour les jeux olympiques (TQO) et la coupe du monde en Égypte. As-tu eu l’ambition d’y jouer avec l’Algérie ?
Oui bien sûr. Toutes les compétitions auxquelles l’Algérie prétend jouer, je suis ambitieux d’y participer. Ce sont de belles expériences. C’est une ambiance différente du championnat. Je le répète encore une fois, je serai très fier de porter le maillot algérien.
Dans le championnat français il y a d’autres internationaux algériens. Est-ce que vous en parlez entre vous quand vous vous croisez ?
Je suis déjà en contact avec beaucoup de joueurs algériens, en dehors des compétitions. Je pense à des joueurs comme Kader Rahim avec qui je discute souvent. Dernièrement, Ivry a joué contre Toulouse, le club d’Ayoub Abdi. Mais j’étais en tribune, à cause de ma blessure. On s’est salué, mais je n’ai pas eu l’occasion de discuter avec lui.
“Cette équipe d’Algérie a un gros potentiel pour les prochaines années. Il faut qu’on réussisse à construire une équipe solide et stable”
Tu fais partie de la nouvelle génération du handball algérien, qui sera amenée à jouer les prochaines compétitions. Penses-tu que l’Algérie aura de meilleurs résultats ?
En tant que compétiteur, avec l’Algérie on jouera toutes les compétitions pour les gagner. Mais en TQO ou en coupe du Monde, nous allons jouer contre des grosses équipes européennes, des équipes majeures du hand mondial. Notre objectif sera de faire la meilleure compétition possible et de jouer les trouble-fêtes. Cette équipe d’Algérie a un gros potentiel pour les prochaines années. Il faut qu’on réussisse à construire une équipe solide et stable. Après cela on pourra revoir nos objectifs à la hausse. Il faut avancer étape par étape.
Un dernier mot pour les supporters et pour notre ami en commun, Farouk ?
Merci à tous de me suivre. Merci à tous pour vos aides. Il faut continuer parce qu’il y a encore beaucoup de familles qui en ont besoin. Pour Farouk, c’est un vieil ami, on se connaît depuis notre enfance. Un joueur de hand aussi qui ne lâche rien. Ce sont des personnes pour lesquelles j’ai beaucoup d’estime. C’est une personne combattante avec pas mal de principe et d’honneur. Un gros big-up à lui et à toutes les personnes qui se battent, au jour le jour, pour celles qui en ont besoin. Merci à tous.
Entretien réalisé par Fateh Le Coach pour La Gazette du Fennec