Dans le cadre de la saga consacrée aux footballeurs d’Algérie qui ont joué au plus haut niveau en France, La Gazette du Fennec s’est rapprochée de l’ex-international et meilleur buteur de la sélection, Abdelhafid Tasfaout (79 sélections, 36 buts). Le buteur d’Oran a notamment évolué à l’AJ Auxerre où il a remporté deux titres puis à l’EA Guingamp durant cinq saisons.
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Abdelhafid Tasfaout, le renard d’Oran à l’assaut d’Auxerre et Guingamp
>> Le témoignage d’Abdelhafid Tasfaout
LGDF : Salam waleykoum Monsieur Tasfaout, merci d’avoir répondu à notre sollicitation, comment allez-vous?
Abdelhafid Tasfaout : Je vous en prie, avec plaisir. Ça va très bien al Hamdoulilah. Nous vivons au rythme du coronavirus !
Pour commencer, que devient Abdelhafid Tasfaout?
Après mon aventure avec Vahid à la Coupe du monde 2014, il y a eu un changement de staff avec l’arrivée de Christian Gourcuff. Ensuite, Mohamed Raouraoua (président de la FAF jusqu’en 2017) m’a demandé d’intégrer le staff de l’Équipe Nationale U23. J’accompagnais le sélectionneur suisse Pierre-André Schürmann. Nous avons été finalistes du CHAN 2015, ce qui nous a permis d’être qualifié pour les Jeux Olympiques de Rio en 2016, une première depuis 36 ans. Au sortir de ces JO, je suis resté membre du bureau fédéral. Mon travail avec la FAF s’est achevé avec le mandat de Mohamed Raouraoua, en décembre 2017. Depuis, je me consacre à ma famille et à d’autres choses, mais je suis toujours le football.
Dans le cadre d’une saga consacrée aux joueurs locaux algériens ayant évolué en D1/Ligue 1 française, nous venons vous solliciter car vous avez évolué à Auxerre puis Guingamp. Tout d’abord, pouvez-vous revenir sur votre début de carrière en Algérie ?
Mes débuts dans le football se sont fait au SONATIBA d’Oran. Ma première licence date de la saison 1981-1982, au sein de la catégorie minimes. Durant cette saison-là, j’ai joué face à l’équipe minime du MC Oran qui était sous la houlette du coach Gasbaoui. J’ai effectué un très bon match et l’entraîneur du MCO est venu à la maison le soir-même pour me demander d’intégrer le Mouloudia la saison suivante. J’ai donc effectué deux ans avec les minimes du MCO et j’ai, par la suite, eu quelques problèmes avec le coach des cadets, alors je suis parti.
Pour rejoindre l’ASM Oran, c’est bien ça ?
Non, pas encore. J’ai d’abord effectué huit mois avec le IRSHO, le club des chemins de fer d’Oran durant la saison 1985/1986. En 1986, c’est là que j’ai été contacté par l’ASM Oran. À l’époque, il y avait deux entraîneurs, le coach principal était Monsieur Kasayri Houari, avec qui j’ai remporté le championnat et la Coupe d’Algérie Juniors deux ans plus tard, et mon frère, Ahmed Tasfaout, était son adjoint. J’ai évolué avec les Juniors durant toute la saison 1986-1987 et c’était l’époque où les Juniors jouaient en levée de rideau des Seniors, donc nous nous déplacions avec l’équipe première. Ensuite, j’ai de nouveau joué trois mois avec l’équipe Juniors lors de la saison d’après puis j’ai effectué mon premier match avec l’équipe première le 17 décembre 1987 au stade Ahmed Zabana face à L’ES Collo. Après une autre saison à l’ASM Oran, le MCO m’a contacté durant l’été 1989. À ce moment-là, le Mouloudia était une très grande équipe, finaliste de la Coupe des clubs champions africains face au Raja Casablanca. Il y avait des grands joueurs tels que Belloumi, Karim Maroc, El Ouazzani etc… Moi, je n’avais que 20 ans et une aussi grande équipe m’a contacté pour les rejoindre. À l’époque, ce n’était pas un système professionnel, nous étions encore dans un système associatif. Nous avions des licences et aucun contrat avec le club. Si quelqu’un voulait quitter son club c’était au bon vouloir de la direction et le joueur n’avait pas son mot à dire. L’ASMO n’a pas voulu me laisser partir, dans ma tête je me disais qu’ils voulaient tout simplement me briser. Je n’ai pas re-signé de licence avec eux et j’ai dû attendre une saison entière (1989-1990) avant de signer avec le Mouloudia. Je ne pouvais que m’entraîner et participer aux matchs amicaux.
C’est d’ailleurs durant cette saison que l’Équipe Nationale remporte sa première Coupe d’Afrique des Nations.. Regrettez-vous de n’avoir pas pu être compétitif cette saison-là alors que vous auriez pu postuler à une place en sélection?
D’un côté oui. Car je débute le championnat au mois d’août 1990 et le sélectionneur Kermali (Allah y rahmo) me convoque pour la première fois en octobre de la même année, c’est à dire deux mois après le début du championnat. Je pense qu’il m’avait déjà dans ses petits papiers car on ne peut pas se faire d’idée sur un joueur qui n’a pas joué depuis une saison en seulement deux mois. Et puis dans le groupe champion d’Afrique il y avait des joueurs de ma génération et j’aurais pu également y figurer. Mais bon, le mektoub est écrit ainsi et j’ai choisi de faire cette saison blanche. Peut-être qu’en ayant des garanties de jouer la CAN 90 je serais resté une année de plus à l’ASMO.
Par la suite, vous êtes deux fois champion d’Algérie avec le MCO…
C’est ça. J’ai effectué cinq saisons au Mouloudia d’Oran, j’ai remporté deux titres de champion, j’ai été deux fois meilleur buteur (1992, 1993) et trois fois meilleur joueur du championnat en 1992, 1993 et à l’issue de ma dernière saison avant de partir à Auxerre, en 1995.
« Pour mon transfert à Auxerre, le MCO avait bénéficié d’un mois de stage de préparation en France. La FAF a gratté dix jours de ce stage pour me délivrer ma lettre de sortie »
Avant de parler de votre passage à l’AJA, est-ce vrai que votre défunt père (qu’Allah lui fasse miséricorde) voulait impérativement vous marier avant votre départ en France ?
Oui c’est vrai. Si vous l’avez entendu ou lu c’est que c’est moi qui l’ai dit quelque part ! (Rires). C’était une obligation de ma part. Après je suis parti assez tard en Europe (26 ans, ndlr) car je devais d’abord passer mon service militaire. D’ailleurs, avant mon départ à l’AJA, j’étais en discussions très très avancées avec l’Espérance de Tunis.
Comment cela s’est déroulé ?
Nous avions joué contre l’Espérance de Tunis en demi-finale de Coupe d’Afrique des clubs champions à la fin de l’année 1994. À l’issue du match aller à Tunis (perdu 3-1 par le MCO, Ndlr), j’ai été invité chez Slim Chiboub, le président de l’Espérance de l’époque. On a bien discuté et c’était presque acté pour la saison d’après. Mais entre-temps, l’AJ Auxerre est entré dans la danse vers le mois de mars 1995 et j’ai discuté avec Monsieur Guy Roux. Et là, vous allez me demander comment l’AJA a pu me repérer ?
C’était l’une de mes prochaines questions !
En fait, c’est tout simple, Moussa Saib était déjà à Auxerre depuis 1992 et Guy Roux suivait de près ses joueurs lorsqu’ils partaient en sélection. Il regardait les matchs de l’Équipe Nationale et c’est par le biais de ces matchs-là que Guy Roux m’a repéré. Par la suite, nous avons reçu une invitation de l’AJ Auxerre avec le défunt président Kacem Belimam (Allah y rahmo) afin de signer là-bas.
Quelle a été l’indemnité de transfert ?
Le MCO a bénéficié d’un stage de préparation d’une durée d’un mois à Auxerre. D’ailleurs, le Mouloudia d’Oran a été obligé de céder dix jours de stage à la Fédération Algérienne de Football afin que j’obtienne ma lettre de sortie. J’avais raté le premier match de championnat à Nantes car la FAF avait, dans un premier temps, bloqué mon transfert. C’est pour vous dire que tout était bien différent à l’époque.
La présence de Moussa Saïb vous a-t-elle aidé dans votre intégration au sein de ce nouveau club, de ce nouvel environnement?
Oui la présence de Moussa a été un bon appui psychologique. J’avais déjà évolué avec lui en équipe régionale de la wilaya d’Oran en 1988 (Saïb évoluait à la JSM Tiaret et Tasfaout à l’ASM Oran, ndlr) lors d’un tournoi à Montataire (près de Creil, dans l’Oise, NDLR). Après je n’ai pas trop été dépaysé en arrivant en France dans le sens où je savais parler la langue, j’ai très vite pris mes marques. De plus, j’étais marié et ma femme m’a rejoint un mois plus tard. C’est vrai que pour une personne qui a vécu à Oran pendant 25 ans et qui arrive en France ça peut-être difficile au début mais si on est professionnel et on se dit qu’on est là dans le cadre du travail, on est obligé de s’y mettre. Et puis un Algérien est beaucoup moins dépaysé en France qu’en Italie ou en Allemagne au vu de l’importante communauté algérienne qui y réside.
Lors de cette première saison avec Auxerre, vous êtes dans un effectif dans lequel il y a beaucoup de concurrence. Malgré cela, vos entrées en jeu sont très souvent déterminantes. Quelle était votre relation avec Guy Roux ? Comment arrivait-il à vous motiver tout en vous faisant jouer des fins de match ?
Pour être honnête avec vous, je n’attendais pas de motivation supplémentaire. J’avais déjà une motivation personnelle, je venais d’Algérie, les gens ne me connaissaient pas et je voulais m’imposer. De plus, l’effectif de l’AJ Auxerre était de très bonne qualité avec minimum huit internationaux. Bernard Diomède, Christophe Cocard, Corentin Martins, Lilian Laslandes, Moussa Saïb, Sabri Lamouchi, c’était une équipe dans laquelle les places valaient très chères. Le fait d’être sur le banc était déjà très flatteur, c’est comme être sur le banc du Paris Saint-Germain aujourd’hui.
« J’ai réalisé un rêve en jouant la Ligue des Champions. Je me suis retrouvé en face de Van der Sar, Litmanen, De Boer… Des joueurs que je voyais à la télévision »
Un titre de champion remporté dans le sprint final.. Vous inscrivez d’ailleurs trois buts très importants dans l’obtention du titre…
Oui je me souviens de ces trois buts décisifs que je marque dans le dernier quart d’heure. Le premier c’était à Strasbourg, sur un corner de Diomède je place ma tête au premier poteau. Les deux autres contre Rennes et Nice. Celui face à Nice était pas mal non plus, sur une passe de Laurent Blanc je reprends direct le ballon du pied gauche et ça rentre. Ces buts nous ont permis d’avoir neuf points de plus au lieu de trois.
Y’avait-il de grosses différences entre ce que vous aviez connu en Algérie et la première division française (aujourd’hui Ligue 1 Uber Eats)?
La grande différence à cette époque-là est qu’en Algérie, c’était un monde amateur à tous les niveaux, sportif, mais aussi dans l’organisation structurelle des clubs. J’ai découvert un autre monde en France, tout était professionnel que ce soit au niveau des entraînements, des préparations d’avant-saison, même au niveau administratif. Moi, je dis toujours que l’on a des techniciens en Algérie mais si on ne lui donne pas les moyens, c’est compliqué.
Vous venez d’évoquer Laurent Blanc, jouer avec des joueurs de cette trempe ça aide également à hausser son niveau de jeu, non ?
Bien sûr, et puis les gens connaissent Laurent Blanc comme joueur ou comme sélectionneur, moi j’ai pu connaître l’humain. C’est un grand monsieur, avoir Blanc dans notre équipe à cette époque-là c’était vraiment une plus-value. Il y avait aussi Corentin Martins, le « gentleman », c’était notre capitaine, un grand monsieur également. Et dire que trois ans plus tard, quatre joueurs ont été champions du Monde (Guivarc’h, Diomède, Blanc, Charbonnier), ça montre le niveau de l’équipe.
La saison suivante, vous jouez la prestigieuse Ligue des Champions, dans quel état d’esprit étiez-vous ?
Un rêve qui se réalise. Je me suis retrouvé à jouer contre Van der Sar, De Boer, Litmanen, Bogarde, tous ces joueurs, je les voyais à la télévision auparavant. À ce moment-là je me dis que j’ai atteint un bon niveau, que c’est un palier supérieur. Et c’est justement pour des matchs comme ça que je suis venu jouer en Europe.
Surtout que dans les années 90, il n’y avait pas beaucoup d’Algériens issus du championnat local évoluant dans le circuit européen..
Oui c’est vrai qu’après la première vague qui a disputé la Coupe du Monde 1982, les Majder, Assad etc, il y a eu un grand vide jusqu’en 92 avec l’arrivée et les performances de Moussa Saïb à Auxerre. Ça a été une locomotive pour mon arrivée, celle de Bilel Dziri à Sedan même si il n’est pas resté longtemps et puis Rafik Saïfi ensuite aussi qui a fait une belle carrière en France. Farid Ghazi également qui était venu en même temps que lui à Troyes.
« Quand tu aimes le football et que tu veux côtoyer le haut niveau, il faut venir en Europe »
À l’issue de la saison 96-97, vous décidez de partir à Guingamp. Le but était d’avoir plus de temps de jeu ?
Oui c’était un peu pour ça. Je commençais à bien connaître le championnat de France et le monde professionnel, j’ai voulu découvrir autre chose. Quand l’opportunité d’un prêt à Guingamp s’est présentée, je me suis dis pourquoi pas, on va voir ce que ça donne. Je me sentais très à l’aise de bouger en France vu que j’étais bien installé avec ma femme et ma première fille. Et l’aventure guingampaise a commencé avec le défunt Francis Smerecki.
En arrivant à Guingamp, vous n’êtes plus le même joueur, votre expérience à Auxerre vous a forcément aidé à vite vous intégrer au sein de l’équipe bretonne ?
On va dire que pour ma première saison, on a effectué une saison moyenne. Nous avons fait un beau parcours en Coupe de France en allant jusqu’en demi-finale face au PSG de Raí et Simone. Nous perdons au Parc des Princes sur un but de Simone d’ailleurs. Après en championnat, ça a été moyen puisque nous avons été relégués à la toute dernière journée de Division 1. Notre victoire à Cannes n’a pas été suffisante car dans le même temps, Rennes avait aussi gagné son match. L’avantage pour moi c’est que j’ai beaucoup plus joué à Guingamp et j’ai également marqué quelques buts (25 matchs de D1, 6 buts, ndlr). On avait un bon groupe sans pour autant avoir de stars mais il y avait des joueurs comme Claude Michel, Laurent Guyot, Lionel Rouxel.
Après deux saisons en D2, vous remontez en D1 en étant élu meilleur joueur du club..
Oui exactement, et je pense que c’est Guy Lacombe qui m’a permis d’effectuer une bonne saison. Il trouvait que j’avais les capacités pour jouer sur le côté, j’ai donc joué excentré côté droit toute la saison avec lui. C’était un rôle qui me convenait très très bien, je suis élu meilleur joueur du club grâce au travail que j’ai fourni bien sûr mais aussi grâce à Guy Lacombe (31 matchs, 9 buts, ndlr).
Retour en Division 1, vous évoluez notamment avec des joueurs comme Florent Malouda et Didier Drogba..
Malouda est arrivé bien avant Drogba, il venait de Châteauroux. Drogba est arrivé à l’hiver 2001 du Mans, et l’histoire de son arrivée est assez cocasse. À l’époque, il y avait Fabrice Fiorèse à Guingamp, il a reçu une offre du PSG mais la direction ne voulait pas le laisser partir, ils ne voulaient rien savoir. Du coup, il a fait le forcing et on ne l’a plus vu à l’entraînement pendant trois jours. Finalement il a trouvé un terrain d’entente avec les dirigeants et a réussi à partir. Guingamp s’est donc mis à chercher un attaquant de pointe et a pris Drogba au Mans. Alors oui après il est devenu l’un des meilleurs joueurs au monde mais sans le forcing de Fiorèse, Drogba ne serait pas venu à Guingamp et l’histoire aurait peut-être été différente.
Vous côtoyez également l’Algérien Hakim Saci qui arrive en 2001…
Oui Hakim, un bon joueur, il venait de la région parisienne, du Red Star. Un gars sympa. Je n’ai pas eu de nouvelles de lui depuis Guingamp, je crois qu’il est parti à l’étranger après.
En 2002, vous décidez de rejoindre Al Rayyan. Vous raccrochez les crampons une saison plus tard. C’était le bon moment selon vous ?
Oui dans ma tête c’était acté. Déjà à Guingamp, dans mes déclarations, je disais que je voulais arrêter le football. Après je suis allé au Qatar, j’ai vécu une petite expérience au sein du continent asiatique, c’était un autre football. Une dernière saison pour finir en beauté.
Au final, que retenez-vous de votre carrière dans l’élite française ?
C’était une continuité par rapport à mon début à Oran. Je me suis fixé des objectifs à chaque instant de ma carrière. En étant à l’ASMO, j’avais pour objectif de jouer au Mouloudia d’Oran. Une fois arrivé au MCO, mon objectif était de devenir un joueur important du club, j’ai réussi à le devenir. Ensuite l’étape suivante était de taper à la porte de l’Équipe Nationale, j’ai pu l’intégrer à l’âge de 21 ans au sein du groupe qui venait d’être champion d’Afrique huit mois plus tôt. Et puis il fallait jouer en Europe, c’était un véritable objectif sportif pour moi. Pourtant, j’aurais pu gagner deux à trois fois plus en signant en Tunisie par exemple. Mais quand tu aimes le football et que tu veux côtoyer le haut niveau, tu vas en Europe.
« Un jour, nous avons été expulsés d’un hôtel à Alger car la FAF n’avait pas payé la note »
Avez-vous des regrets dans votre carrière ?
Non, aucun. Si je devais en avoir un même si ce n’est pas vraiment un regret car c’est écrit ainsi, c’est le service national qui m’a fait perdre deux années lorsque j’avais 24 ans. Mais bon, ça a été décidé comme ça.
Passons désormais à l’Équipe Nationale, ne pensez-vous pas que votre génération méritait mieux au vu du potentiel ?
Le problème est qu’il n’y avait pas de moyens. Tout à l’heure je vous ai un peu dressé le tableau en vous expliquant que la Fédération avait gratté dix jours de stage au MCO afin de me donner ma lettre de sortie. Je me souviens de ce stage, nous sommes allés à Montpellier avec l’Équipe Nationale et nous avons fait un match amical contre le MHSC. À cette époque-là, on jouait avec des maillots et shorts Cirta Sport mais les chaussettes n’étaient pas fournies. Du coup, on avait acheté des chaussettes Adidas dans une boutique. Nous avions même été expulsés d’un hôtel à Alger car la FAF n’avait pas payé la note. Alors oui, il y avait des joueurs avec du potentiel, mais il n’y avait aucune structure autour. Nous pouvions rivaliser avec les grosses équipes sur un match, mais pas sur la continuité. Et puis c’était la décennie noire, il y avait beaucoup de problèmes à gérer. Le football n’était pas une priorité.
Aujourd’hui l’Équipe Nationale est sur le toit de l’Afrique, qu’est-ce qui vous a plu dans cette équipe victorieuse ?
Elle a du talent. Parce qu’on parle souvent de motivation, de volonté, c’est vrai que c’est important, mais pour bâtir une équipe compétitive, il faut des joueurs de talent. Après il ne faut pas se reposer sur le sacre de 2019, le football va très très vite, il faut être constant car la vérité d’aujourd’hui ne sera peut-être pas celle du lendemain. L’Algérie est sur le toit de l’Afrique, mais il faut travailler pour rester à ce niveau. La régularité et le travail sont très importants dans le football de haut niveau, c’est ce qui a notamment permis à Messi et Cristiano Ronaldo de rester au sommet pendant toutes ces années.
Vous avez été dans le staff de Vahid Halilhodzić, que retenez-vous de cette expérience ? Votre relation avec les joueurs ?
Au-delà des résultats, Vahid a amené de l’organisation dans cette équipe nationale, beaucoup plus de discipline et de travail pour les joueurs. Les résultats ont automatiquement suivi. On a fait une bonne Coupe du Monde 2014 avec ce match face au futur champion allemand. Cette expérience a été très bénéfique pour moi, j’étais très proche des joueurs, tout s’est vraiment bien passé.
“Slimani peut battre mon record de 36 buts en sélection. C’est un buteur et un grand monsieur !”
En parlant des joueurs, il y en a un qui est très proche de votre record de buts marqués avec l’Équipe Nationale, pensez-vous qu’Islam Slimani peut battre ce record ?
Oui c’est jouable. Je me suis arrêté à 36 buts et cela m’a été authentifié par Monsieur Serhani qui détient les archives de l’Équipe Nationale. J’ai vu dernièrement que le but d’Islam Slimani face à la Mauritanie lors du match joué à huis-clos à Sidi Moussa a été comptabilisé alors qu’il n’y avait pas de feuille de match et que la FIFA avait envoyé une amende à la FAF pour ce match là! (Rires). Plus sérieusement, Islam Slimani est un buteur, il a fait ses preuves que ce soit ici en Algérie ou au Portugal avec le Sporting Lisbonne. Après il a eu un peu de mal avec Leicester notamment mais il a fait une saison exceptionnelle avec l’AS Monaco. C’est un grand monsieur en tant qu’avant-centre et c’est tout à fait normal qu’il veuille battre des records.
Dans cette sélection nationale, il y a également des joueurs du cru, issus de la formation locale qui s’exportent de plus en plus.. qu’en pensez-vous?
Oui grâce à la formation du PAC. La différence avec le Paradou c’est qu’ils ont investi de leur propre poche dans un modèle de formation de qualité. Ils ont amené des formateurs de qualité et cela a permis aux joueurs de grandir dans un environnement propice au travail et à la progression. Ils ont réussi à monter une cellule de recrutement, de prospection performante à travers le pays.
Pensez-vous que cette méthode initiée par le Paradou AC puisse se développer au sein d’autres clubs où la pression populaire est beaucoup plus importante ?
Le problème en Algérie, c’est qu’on a le statut de professionnel mais c’est l’État qui paye et qui gère tout. La plupart des investisseurs ne mettent rien de leurs poches alors pourquoi voulez-vous qu’ils se cassent la tête à monter un centre de formation et espérer un retour sur investissement ? Dans chaque club il y a 15-20 milliards injectés directement par l’État chaque année, le solde est créditeur en début de saison et devient débiteur en fin de saison et c’est toujours l’État qui remplit les caisses. A contrario, les Zetchi ont mis leur propre argent, ils attendent un retour sur investissement donc ils font tout pour que leur modèle fonctionne.
Que pensez-vous de ce qui se passe en ce moment au Mouloudia d’Oran ?
La situation est la même depuis vingt ans. Les actionnaires et les problèmes sont toujours les mêmes. Le Mouloudia est actuellement dans un tunnel et on ne voit pas le bout de ce tunnel. Il n’y a pas d’organisation, le club est géré par la rue.
« M’investir au MC Oran ? Cela ne m’intéresse pas, je ne veux pas entrer dans la gueule du loup »
Seriez-vous tenter de vous investir dans le club ?
Ça ne m’intéresse pas car je vis en Algérie et je connais la société algérienne. Pour l’Équipe Nationale j’avais dit oui sans réfléchir car les choses étaient bien organisées. Mais pour le MCO, dans l’état actuel des choses, ce n’est pas possible. Je ne veux pas entrer dans la gueule du loup. Il faut monter un réel projet pour le club sur le long terme et je ne vois pas les choses aller dans ce sens. Il manque de l’organisation et de la compétence. Le Mouloudia n’a pas gagné le moindre titre national depuis 1996 (Coupe d’Algérie) et si je m’investis dans le club on va nous demander de gagner des titres tout de suite. Ce n’est pas comme ça qu’on doit voir les choses, il faut monter un projet sur le moyen-long terme que ce soit sur la formation ou l’équipe première.
Un dernier message pour le public algérien ?
Au-delà du public algérien qui suit le football, je souhaite m’adresser à l’ensemble de la population. Ça a été une immense fierté de porter le maillot vert et de représenter l’Algérie. Je pense sincèrement que les Algériens méritent une vie meilleure. Qu’Allah nous permette d’avoir un meilleur pays surtout pour nos enfants, la génération future.
La Gazette du Fennec vous remercie, Monsieur Tasfaout.
Je vous en prie. Tout le plaisir était pour moi, à la prochaine inshaAllah!