Il a longtemps été l’homme fort du Comité Olympique algérien (COA). On parle d’un homme qui a cumulé près de 20 ans comme président de l’instance. Mustapha Berraf (67 ans) est naturellement un acteur majeur du sport Dz. Dans cette interview exclusive accordée à La Gazette du Fennec, il revient sur son départ brusque du COA et la participation algérienne désastreuse aux JO-2020 de Tokyo dont il se lave les mains. Aussi, l’ancien basketteur et toujours membre du CIO essaye de diagnostiquer les défaillances tout en défendant, tant bien que mal, son « héritage ».
LGDF : Vous n’êtes plus président du COA depuis 1 an et demi. Mais vous avez, inévitablement et compte-tenu de la mission qui vous avez été confié en 2017, une part de responsabilité dans la participation algérienne aux JO 2020 de Tokyo. Comment jugez-vous cette dernière ?
J’ai déjà fait une mise au point par un communiqué qui affichait les réalisations du COA durant la période où je l’ai dirigé. Pour la précision, ce n’est pas une mission qui m’a été confiée mais c’est une élection que j’ai remportée par la force des choses et grâce à la confiance qui m’a été accordée par les Fédérations et les personnalités du sport algérien.
Durant cette période, j’ai connu des moments très difficiles sur le plan de la santé puisque j’ai eu un AVC. Cet AVC je l’ai eu en faisant des dizaines de vols et missions d’allégeance auprès de mes pairs européens et africains pour obtenir l’organisation des Jeux Méditerranéens. Ce dont je suis particulièrement fier. Et si vous considérez que le COA a une responsabilité dans les résultats de Tokyo, il est inutile que je vous dise que l’on nous a jamais laissé l’occasion d’appliquer une quelconque politique sportive en Algérie. Celle-ci est des prérogatives d’autres intervenants dans le mouvement sportif.
« Je n’ose même pas vous dire combien il y avait dans le compte du COA quand je suis arrivé… j’ai travaillé pour mon pays ! »
Ayant fait partie de l’appareil de gestion du sport algérien, quelles sont, selon vous, les défaillances qui ont engendré ce net recul dans les performances du sport algérien au niveau international ?
Je crois que vous êtes au courant des difficultés que nous avons eues en 2017 et avant 2017. Avant cela en 2013, c’est l’ensemble du mouvement sportif qui a fait appel à moi pour reprendre les rênes du COA où j’étais un simple bénévole qui n’a pas été désigné par qui que ce soit. Il y a une confusion dans les appréciations des uns et des autres.
Lorsque j’ai pris le COA la première fois. Il y avait 4 pièces à Dely Brahim là où siège actuellement le conseil des sports au 4e étage. Il y avait deux voitures dont une accidentée. Et je n’ose même pas vous dire combien il y avait dans le compte. Mais il y a eu les résultats de Sydney (JO 2000) avec les 5 médailles. On n’a pas pu continuer la mission car il y a eu des enclaves.
Pour l’obtention des JM, l’actuel ministre des Affaires étrangères, Son Excellence Monsieur Lamamra à qui je voue un grand respect, a joué un énorme rôle en suivant le dossier du début jusqu’à la fin. J’ai voulu quitter en 2015 avant les JO de Rio. Mes camarades m’ont demandé de rester. En 2017 aussi j’ai voulu partir. J’ai même tenu une réunion quasi-officielle et ils ont refusé de me laisser partir me demandant de poursuivre le mandat. J’ai continué pour mon pays. Quand je vois que certains critiquent et insultent sans savoir vraiment ce qui s’est passé, je trouve cela déplorable.
Ne pensez-vous pas que le sport politique a primé sur la politique sportive véritable ?
De mon propre avis, la politique a toujours essayé d’influer sur le sport. Du temps où j’étais président, beaucoup de tentatives ont été avortées par la résistance que nous avons affichée par rapport aux convictions et l’intérêt de nos athlètes. Aujourd’hui, je peux dire qu’il y a un aspect qui fait que la politique influe beaucoup moins sur le monde sportif. Les dispositions actuelles qui font défaut sont relevées par la plus haute autorité du pays.
Aussi, le connaissant, je peux vous dire que le Premier responsable du pays (M. Abdelmadjid Tebboune NDLR) est très au fait du sport. Son ambition est de faire de l’Algérie, une Algérie nouvelle basée sur des idéaux et une éducation qui se rapproche de l’esprit “olympique”. Il voudrait aussi mettre un terme au trafic d’influence et les perpétuelles tensions qui existent entre différentes fractions affiliées et attachées à des politiciens qui pour la plupart veulent utiliser le sport pour leurs intérêts et de sinistres desseins.
« Je ne suis pas l’homme fort du COA et je ne crois pas que quelqu’un ait quelque chose à apprendre à Hammad »
Justement en parlant de politique et de sport, vous avez été contraint de céder la présidence du COA après un incident protocolaire en lien avec l’occupant de la Palestine. Aux JO de Tokyo, il y a eu le retrait de Nourine qui a, lui aussi, été motivé par la position de l’Algérie par rapport à la cause palestinienne. Que pensez-vous du rapport entre le sport et la politique qui ne font pas bon ménage selon la charte olympique ?
Je crois que cette question est inopportune pour moi. Il y a un fait : l’Algérie est un pays lié aux droits fondamentaux et à la légalité internationale. Elle a adhéré à la Charte olympique et celle des Nations unies. Les convictions des uns et des autres sont profondément attachées à une seule chose : la défense de l’Algérie. Il est nécessaire de rappeler que de tous temps et à chaque seconde de ma vie j’ai défendu mon pays. J’ai pu le faire grâce à ma détermination et au soutien que j’ai pu obtenir de gens de grande notoriété qu’ils soient Algériens ou étrangers.
La démarche de Nourine a mis la participation algérienne en danger parce qu’il y a eu transgression de la charte. Hassiba Boulmerka, cheffe de la délégation a même été convoquée par le CIO. Est-ce vrai que Berraf était venu à la rescousse de la délégation à Tokyo pour essayer de régler cette affaire ? D’ailleurs, certains disent que vous êtes toujours le réel homme fort du COA. Que dites-vous à ces personnes ?
Je suis désolé de ne pas pouvoir répondre à cette question qui attrait à Monsieur Nourine. C’est un bel athlète. Un grand athlète qui n’a pas eu suffisamment de moyens pour se préparer. Je ne lui souhaite que du bien et j’espère que son devenir et sa carrière sera à la hauteur de ses ambitions.
Quant à dire que je suis l’homme fort du COA, je n’ai rien à voir. Je suis un simple membre de l’Assemblée générale, membre du Comité exécutif de par ma position de membre du CIO. Et je vous prie de croire que les décisions sont prises de la manière la plus collégiale qui soit.
Le président c’est Monsieur Hammad Abderrahmane qui a exercé pendant deux mandats comme vice-président et comme président de la Commission des athlètes du COA. Il connaît donc bien le fonctionnement et toutes les règles ainsi que les dispositions de la Charte olympique. Je ne crois pas que quelqu’un ait quelconque chose à lui apprendre.
« Le COA dispose d’un bien immobilier évalué à plus de 500 milliards de centimes et j’ai laissé plus de 2 millions de dollars dans les caisses »
Vous avez dirigé le COA entre 2013 et 2020. Sur cette période, il y a eu les deux médailles d’argent de Makhloufi aux JO-2016 à Rio. Ce dernier avait insisté que le COA n’avait pas joué de rôle dans sa performance. Quand on prend les éditions 2016 et 2020 des Olympiades, on peut penser que l’Algérie a pris 0 médaille. Peut-on dire que votre passage soit un échec ?
Makhloufi est un grand champion. ll a travaillé dur pour arriver là où il est. Et je peux dire que nous sommes fiers de lui. Personnellement, j’ai toujours eu de l’affection pour lui. Je crois qu’il n’est pas utile de dire que le COA fonctionne suivant des règles bien établies qui sont celles d’une association sportive.
Quand j’étais président du COA, chaque année, les bilans moral et financier étaient approuvés à l’unanimité. En toute modestie, lors de mon départ à la fin 2019, j’ai fait un communiqué clair qui comportait nos réalisations. Le COA dispose d’un bien immobilier évalué à 500 milliards de centimes. J’ai laissé près de 34 milliards de centimes dans les comptes et plus de 2 millions de dollars dans les caisses.
Il y a eu beaucoup d’actions néfastes pour le sport algérien. Le centre de Tikjda a été une entreprise fabuleuse. Je crois qu’après le stade 5 juillet, c’est l’infrastructure la plus fascinante sur le plan architectural. Malheureusement, on est arrivé à un point où des gens sont entrés sur la piste avec des camions pour la démonter afin de pouvoir toujours aller à l’étranger pour se préparer. C’était aussi pour éviter que ce lieu que nous voulions de prédilection pour les sportifs algériens ne devienne un sanctuaire des athlètes pour qu’ils puissent s’y épanouir. Je rappellerai que Makhloufi a beaucoup travaillé là-bas. C’est pour dire que ces gens là ne voulaient pas reconnaître le bien fondé de la démarche.
Étant président de l’ACNOA, quel est votre regard sur la participation africaine aux JO. Et est-ce que le fait que l’Algérie soit sortie bredouille vous met dans une situation inconfortable par rapports aux autres comités continentaux ?
L’ACNOA se porte bien. La participation africaine aux JO est satisfaisante. L’Afrique a eu 37 médailles. Et on a eu le bonheur de voir deux africains recevoir leurs médailles lors de la cérémonie de clôture avec les Kenyans qui ont valorisé l’Afrique. Il y a eu aussi le Tunisien qui a remporté une médaille d’or en natation prouvant que tout était possible. L’Afrique a été présente malgré toutes les difficultés qu’elle connaît et les contraintes subies. Notamment avec le Coronavirus. Le résultat est très convenable et je voudrais profiter de cette tribune pour féliciter tous les athlètes qui ont obtenu des médailles dans des conditions difficile.
Pour ce qui est de ma situation, je pense qu’elle est très confortable. Le CIO reconnaît à l’Afrique ses compétences, ses qualités et son mode de fonctionnement. L’ACNOA est l’une des plus belles organisations et possède la fondation Olympafrica qui est considérée comme une merveille du genre avec 50 centres répartis à travers le continent. Il y a une cohésion et harmonie totales entre tous les pays africains. Je crois qu’on peut se targuer d’avoir un mode de gestion aux normes internationales et qui nous permet d’aborder l’avenir dans les meilleures dispositions.
« Il y a un problème de stratégie politique sportive en Algérie. Je peux vous dire que nous sommes largement en retard »
D’après vous, où se situe le mal du sport algérien et peut-on rectifier quelque peu le tir avant 2024 ?
Le mal du sport algérien se trouve dans la préparation, l’organisation et le suivi et l’entourage des jeunes talents. Il y a beaucoup de potentiel mais aussi de déperdition. Le mal commence ici. Le dispositif ne permet pas aux jeunes d’étudier et s’entraîner convenablement tout en ayant une vie sociale.
Maintenant, il faut plutôt unir les rangs parce que plus nous avançons plus les choses nous démontrent qu’il y a un problème de perspicacité et d’objectivité mais aussi et très certainement de stratégie politique sportive en Algérie. Il est donc nécessaire de retrousser les manches au lieu de se critiquer mutuellement et se rejeter les fautes. Il faut examiner en profondeur et faire une évaluation objective et sincère qui soit clairvoyante pour que les bons résultats puissent être réalisés dans l’avenir. Il faudra de bons entraîneurs, de bons techniciens tout en mettant les moyens qu’il faut avec le nombre d’heures d’entraînements suffisants pour pouvoir obtenir des résultats. A ce niveau, je peux vous dire que nous sommes largement en retard.
Comme on dit, nous on a fait notre temps. Maintenant, il y a des jeunes dans les institutions et des fédérations qui puissent harmoniser le mouvement des associations sportives nationales afin de réaliser des résultats conséquents.
On vous laisse le soin de clore cette interview…
Je voudrais en conclusion transmettre toutes mes pensées et condoléances à toutes celles et tous ceux qui ont disparus à cause du COVID-19. Aussi, je voudrai témoigner mon soutien indéfectible à ceux qui sont dans la tourmente à Tizi-Ouzou en espérant que les choses rentreront rapidement dans l’ordre.