Après la disparition de la légende du football algérien Saïd Amara (87 ans), le site spécialisé sur le RC Strasbourg, RacingStub, a consacré un bel article à son ancien joueur au parcours mouvementé.
La disparition de cet inter algérien, Racingman en 1956/57, représente une occasion idoine pour évoquer la mythique formation du FLN, montée en pleine guerre d’Algérie à des fins de propagande.
Avec Amara s’éteint un pionnier du football algérien, témoin de la fin de l’ère coloniale, acteur de son émancipation puis figure tutélaire d’une fédération au fonctionnement souvent turbulent.
De Dunkerque à Tamanrasset
Natif de Saïda, en Oranie, comme Bernard Amsalem (ancien président de la Fédération Française d’Athlétisme) ou le chanteur de raï Cheb Mami, le jeune Saïd Amara fait ses classes de footballeur au sein de la Gaieté Club de Saïda. Il s’agit d’un club d’essence européenne, mais où les colons n’ont pas le monopole. Dans cette grande fiction qu’est l’Algérie fraternelle de l’époque, de nombreuses villes comptent leur club colon et leur club « musulman ».
Lieu d’installation d’un régiment de la Légion étrangère, la ville de Saïda attendra 1947 pour accueillir le Mouloudia Club de Saïda, son club indigène.
Après trois saisons à l’USM Sidi-Bel-Abbès, place forte du piémont oranais, le milieu offensif ou inter selon les déclinaisons de l’époque effectue le grand saut en rejoignant la « mère patrie » ou plutôt l’Alsace.
Nous sommes en 1956 et le RC Strasbourg reste sur un exercice mitigé, achevé en 14ème position sur 18. L’attaque emmenée par Ernst Stojaspal a toujours fière allure, en compagnie du parfois décrié Henri Skiba ou de l’étoile montante Lucien Muller.
Les « événements » ou opérations de maintien de l’ordre dans les départements français d’Algérie auront un impact non négligeable sur cette saison. En effet, le Racing est condamné à devoir se passer des appelés du contingent Wendling, Muller et Barthelmebs. Un milieu offensif créatif, un solide défenseur droit et un gardien de but (qui avait déjà passé du temps sous les drapeaux la saison précédente) manquent à l’appel.
Saïd Amara intègre le onze de Jean Avellaneda (citoyen de Sidi-Bel-Abbès, cela ne s’invente pas), tout à tour comme inter gauche, inter droit, voire plus rarement ailier. Régulièrement aligné durant le cycle aller – 17 matchs sur 19 (que des titularisations car les remplacements n’existent pas) –, il disparaît peu à peu de l’équipe pour se contenter de 24 apparitions au total, pour 3 buts. Englué dans la zone de relégation, le RCS essaye diverses recettes pour sortir de l’ornière : l’arrière Louis Schweitzer replacé à l’aile, un retour d’Edmond Haan qui s’était retiré chez les amateurs, le jeune Raymond Fenus débarqué des SR Colmar… le chef Avellaneda pédale dans la semoule et Strasbourg tombe en deuxième division.
Après cet exercice mi-figue, mi-raisin (de Corinthe), Saïd Amara rebondit à Béziers, promu en D1. La ville n’est pas encore devenue capitale de la Nostalgérie ni du ballon ovale. Le grand artisan de cet essor se nomme Josef “Pepi” Humpal, qui fit remonter le Racing en 1953 avant de le mener à deux saisons florissantes bouclées en 6ème puis 4ème position.
Le Tchécoslovaque fut toutefois congédié sans ménagement afin de laisser la place au légendaire Oscar Heisserer, qui ne fera pas de vieux os à la Meinau. Humpal rapatrie Amara et un autre offensif strasbourgeois, Michel Luzi. Son coup de maître intervient fin octobre, lorsqu’il obtient la signature d’Ernst Stojaspal. En dépit de cette belle opération, Béziers passe toute la saison à fond de cale et retrouve la D2.
Le Coup de sirocco
Pendant que Humpal retourne à Strasbourg, Saïd Amara s’épanouit lors des deux saisons suivantes, ce qui attire l’intérêt des Girondins de Bordeaux, qu’il rejoint en 1960.
Un événement de portée géopolitique majeur bien qu’intrinsèquement symbolique a entretemps défrayé la chronique : au printemps 1958, alors que le gouvernement Félix Gaillard est renversé par l’Assemblée nationale, on apprend la « disparition » de footballeurs professionnels d’origine algérienne, évoluant dans des formations françaises. A quelques semaines de la Coupe du monde, l’attention se polarise autour du défenseur central Mustapha Zitouni et du meneur de jeu Rachid Mekhloufi.
Le premier avait encore été aligné en mars, lors d’un amical contre l’Espagne, ce qui semblait condamner le vieillissant Robert Jonquet au banc des remplaçants. Avec Ben Tifour et Boubekeur, il laisse l’AS Monaco orpheline alors que le titre de champion était encore accessible. De son côté, le Stéphanois Mekhloufi (21 ans) fait figure d’alternative à Raymond Kopa et avait gagné quelques sélections lorsque le Real Madrid avait refusé de libérer le petit Napoléon.
L’opinion publique se passionne pour cette affaire mêlant deux préoccupations du moment : le football et la pacification en Algérie. Il apparaît très vite que ces footballeurs ont en fait été convaincus par le Front de Libération Nationale, le mouvement indépendantiste algérien, de renoncer à leurs carrières professionnelles en France au profit d’une opération de propagande.
Les stratèges du FLN – dont Ahmed Ben Bella, éphémère joueur de Marseille en 1939-40 – mesurent le rôle crucial du football en Algérie et la capacité d’exploitation du sport à des fins (géo)politiques n’est pas démontrée. Une équipe battant pavillon algérien est donc montée, en dépit de l’interdiction brandie par la FIFA.
Une certaine idée du mektub
Non reconnue par les instances, l’équipe du FLN va faire le tour du monde, affrontant des équipes exotiques en Asie ou de nombreuses sélections émanant du bloc socialiste. Moscou voit dans cette initiative une promotion de la lutte anti-impérialiste et encourage les pays satellites à accueillir des matchs sur leur sol. En effet, il est inenvisageable de jouer en Algérie au vu du rapport de forces entre l’armée française et l’armée de libération nationale…Reste que les représentants algériens tiennent à ce que soient utilisés l’hymne et le drapeau national.
Nous retrouvons Saïd Amara, qui rejoint le FLN en cours de route, sans doute en 1960, après avoir effectué le début de saison avec Bordeaux. Il compilera 21 apparitions (11 buts). A noter que certains footballeurs algériens ont refusé les avances du FLN, comme Kader Firoud, qui deviendra la figure tutélaire du Nîmes Olympique, ou Mahi Khennane, buteur du Stade rennais qui intégrera pour sa part la sélection algérienne naissante, pleinement agréée en 1963, quelques mois après l’indépendance.
Amara disputera quelques matchs pour cette nouvelle entité – comme ce retentissant succès contre la RFA le 1er janvier 1964 –, non sans être retourné en Gironde, moyennant quelques menaces de mort. On imagine que le retour de Mekhloufi à Saint-Etienne ne s’est pas accompagné uniquement de bouquets de fleurs.
Auréolé de sa participation à la glorieuse équipe du Front de Libération Nationale, dont la contribution fut essentielle à l’accomplissement de la nation algérienne, Saïd Amara occupe plusieurs fois la fonction de sélectionneur, puis de DTN et même de président de la Fédération dans les noires années 1990, pour quelques semaines seulement. De la même manière que les moudjahidins, vétérans de la guerre, trustent les places de choix au sommet de l’Etat depuis 1962, le football algérien a longtemps confié son destin à ses pionniers.
Sans vouloir prendre partie quant au « rôle positif de la présence française » outre-Méditerranée, il semble moins hasardeux d’affirmer qu’en matière de football, les deux États se sont enrichis mutuellement, et continuent d’ailleurs à le faire.
Les figures de Mario Zatelli, Kader Firoud, Francis Borelli, d’un organisateur comme Fernand Sastre qui fit ses armes sur sa terre natale, la dernière génération d’internationaux pied-noirs (Soler, Lopez, Larios, Ayache), un natif de Marseille en juin 1972 ou bien les binationaux vainqueurs de la dernière Coupe d’Afrique des Nations – dont un gardien passé par Strasbourg – témoignent de l’imbrication dans le domaine du football entre l’Algérie et la France.
Le destin des Mekhloufi, Zitouni et Amara se situe davantage dans le domaine de l’arrachement, mais il faut croire que la période voulait cela.
Saïd Amara parle de sa carrière :