Le transfert de Youcef Belaïli est susceptible d’accentuer les tensions entre la SSPA/Le Doyen et le Club sportif amateur (CSA)/MC Alger. Si la section foot semble en bonne santé économique pour s’offrir une recrue du calibre du Fennec, les autres disciplines, affiliées au CSA, connaissent des soucis financiers aigus. Responsable de la section handball, l’emblématique Mohamed Aziz Derouaz connaît parfaitement les tenants et aboutissants de la crise que traverse les autres sections. Dans cette interview accordée à La Gazette du Fennec, l’ancien Ministre de la Jeunesse et des Sports a tenu à mettre les choses au clair avec des propos fermes et explicites.
LGDF : Monsieur Derouaz on commencera avec l’info qui fait l’actu. En tant que membre du CSA/MC Alger quel est votre avis personnel sur l’arrivée de Youcef Belaïli au Mouloudia ?
Derouaz : Mon avis personnel est effectivement seulement personnel. Parce que je ne peux pas engager le CSA/MC Alger. Je suis responsable de la section handball du CSA. En tant que supporter de tout ce qui touche à l’élite du sport algérien je m’intéresse à cet évènement comme à d’autres. Je suis supporter de toutes les équipes nationales dont celle du football. A ce titre là, j’ai toujours admiré Youcef Belaïli comme joueur au sein de l’équipe nationale. Je trouve normal que le club ait l’ambition d’avoir des joueurs de très haut niveau voire des stars du football national et même étrangères.
« Je suis curieux de voir ce qu’il va advenir de ce projet »
Si ça s’inscrit dans un processus et une ambition pour que le sport algérien et le football en particulier se dote enfin de grands clubs pour rivaliser sur le plan régional et continental, je trouve ça légitime. Le fait de vouloir recruter des athlètes de haut niveau est une excellente chose pour moi. Je ne m’attarderai pas sur le cas Belaïli. Même s’il faut admettre qu’il reste un cas dès lors qu’on parle d’un athlète qui n’a pas trouvé son équilibre au niveau des clubs. Même si, en équipe nationale, il a performé et démontré de la stabilité. Je suis curieux de voir ce qu’il va advenir de ce projet. Puisque c’est un véritable projet dont Belaïli fait partie. Je resterai attentif.
Peut-on comprendre la scandalisation des handballeurs et autres par rapport à la subvention du foot qui reste très budgétivore et permet de signer de gros contrats au détriment des autres disciplines ?
Ça c’est une autre question. Ce n’est pas un problème sur lequel les athlètes eux-mêmes peuvent avoir un jugement. le véritable jugement qu’il faut avoir aujourd’hui c’est : comment se fait-il qu’il y ait à ce point un déséquilibre aussi important entre ce qui est consenti pour le haut niveau dans le football algérien et dans les autres disciplines ?
En effet, je pense qu’il y a une faute majeure qui est faite au niveau de certains responsables de l’entreprise SONATRACH qui a toujours financé le Mouloudia d’Alger depuis la réforme sportive à ce jour. Même lors du passage au GS Pétroliers qui regroupait la plupart des disciplines sauf le football. Il était admis que la SONATRACH ait un rôle particulier dans le sport de haut niveau.
« Le propriétaire du MC Alger restera le CSA »
Ce que les gens ne comprennent pas, tout comme certains responsables de la SONATRACH, c’est que le Mouloudia c’est le Club sportif amateur/MC Alger. De par la loi algérienne. En aucun cas la SSPA/Le Doyen n’est le Mouloudia. Elle loue, chaque saison, les couleurs et le sigle du MCA. Bien entendu, certaines personnes peuvent penser que ça n’est pas la mission de la SONATRACH ou d’autres entreprises de financer les clubs sportifs amateurs. En fait, depuis la réforme sportive en 1989, les associations sont dénommées CSA. Il n’est pas normal que la période de transition dans les réformes dure depuis plus de 30 ans.
Cependant, pour certaines d’entre elles, c’est de prendre en charge du sport de haut niveau. Pour cela, elles doivent payer des salaires et/ou des indemnités et primes à ses athlètes. Même si la SSPA augmente le capital à 1 milliard de dinars, le propriétaire du MC Alger restera le CSA. C’est la loi algérienne qui le dit. Jusqu’à preuve du contraire.
Là, il y a une erreur majeure. En vérité, les CSA, il y en a deux, voire trois catégories. La réforme sportive avait établi des niveaux de pratique sportive. Et cette hiérarchisation avait déterminé les sports de performances et en-dessous, il y avait des compétitions d’intensité moyenne, puis le sport de loisirs. Par la suite, tout a été remis à plat. Et si le sport algérien produit un professionnalisme en football, qui est plus que critiquable, il n’en est pas de même pour les autres disciplines, qui ont pourtant la responsabilité du haut niveau.
Près de 50% des médailles de l’Algérie aux derniers Jeux Panarabes 2023 ont été remportées par des athlètes du Mouloudia d’Alger. C’est le véritable poids du MC Alger et sa véritable mission. Aujourd’hui, il y a confusion. Il y a le statut professionnel en football. C’est bien qu’il soit structuré ou pas, réel ou bien fictif. Cela veut dire que les athlètes, pour le temps qu’ils donnent à leur préparation, la récupération, au travail théorique perçoivent un salaire, des indemnités et des primes de matchs.
« Des athlètes sont obligés de faire taxieurs clandestins pour nourrir leurs familles ! »
Pour les autres disciplines, qui ont les mêmes exigences et parfois plus de temps accordé à la préparation qui est plus importante avec des souffrances physiques pour les athlètes dans certaines disciplines, comment peut-on envisager qu’ils n’aient pas des salaires, des indemnités et des primes. Ce sont aussi des pères de familles.
Au MCA, il y a des sections qui ont de graves problèmes. Les athlètes de sports collectifs ne peuvent même plus participer aux compétitions continentales, régionales et internationales, ce qui est un véritable scandale. Une bonne partie d’entre eux sont des chefs de familles. Actuellement, ils sont obligés de faire taxieurs clandestins pour nourrir leurs familles. Est-ce que c’est normal ?
Pendant longtemps, sous l’appellation GS Pétroliers, le club a brillé dans les autres disciplines. On peut constater que le retour sous l’égide MCA a brisé ce qui était une domination claire. Pensez-vous que le re-fusionnement, à la forte symbolique, ait porté préjudice ?
Pas du tout. C’est d’abord un juste retour des sections à leur propriétaire. Il faut bien que tout le monde sache honnêtement que lorsque les athlètes en question étaient sous les couleurs du GSP, ils étaient payés normalement. Le problème c’est que, cette année, la SONATRACH a abandonné le CSA/Mouloudia d’Alger. C’est au bout de huit mois seulement que les dirigeants ont été informés qu’ils n’auraient pas la somme qu’ils percevaient l’année d’avant ou que le GSP percevait chaque année pour assurer sa mission.
« Le montant de la SONATRACH a été divisé par trois ! »
… Peut-on savoir quel est le montant en question ?
Non, je ne veux pas rentrer dans ses détails. Si le président du club veut donner ces détails, il les donne. Je dirai simplement que le montant a été divisé par trois. Voilà.
Quel était le changement après cette opération ? Le financement était-il différent et est-ce que le budget a été revu ? Car on a comme l’impression que les autres sections en ont pâti sensiblement (grèves, salaires impayés et régression des performances).
Bien entendu. C’est une somme qui a été versée au bout de huit mois. Donc les athlètes ont passé tout ce temps sans pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles. Ce qui a fait naître des crises. Personnellement, en tant que responsable de la section handball, j’ai dû affronter la grève des joueurs et on a terminé la saison avec les U21.
Aujourd’hui, les gens s’étonnent que l’équipe de basketball ne puisse pas participer à la Coupe arabe. Mais l’équipe de handball ne peut pas participer à la Coupe arabe non plus. L’équipe d’Aïn Touta pourra le faire alors que nous, qui sommes vainqueurs de la Coupe d’Algérie, ne pourrons pas y participer. C’est toutes les équipes de sports collectifs du Mouloudia d’Alger qui ne peuvent pas participer aux compétitions internationales. Ce qui est un précèdent historique et regrettable.
« Comme partout dans le monde, le foot a sa grosse part mais… »
En toute sincérité, espériez-vous un meilleur sort pour les autres sports sachant que l’opulente Sonatrach pilote financièrement le Doyen ?
Bien entendu on espérait plus que ça. J’avais un véritable projet. J’ai toujours un véritable projet pour le handball au MCA pour servir de levier pour le renouveau du handball algérien. Mais encore faut-il pouvoir le mener et assumer les obligations vis-à-vis de nos athlètes. En plus de l’effectif actuel, s’il n’y a pas de départ compte tenu de la situation, d’ailleurs, il faut recruter encore pour pouvoir rivaliser avec les plus grands clubs Egyptiens et Tunisiens pour ne citer que ceux-là.
Il n’est pas normal que nous soyons en dehors des compétitions internationales. Et je voudrais rappeler ce que j’ai dit précédemment: la SSPA/Le Doyen, de par la loi algérienne, n’est pas le MC Alger.
La fixette faite sur le foot est clairement préjudiciable pour l’omnisport algérien quand on voit les résultats des autres sports sur le plan continental et international. Sachant que l’Etat met de grosses sommes pour le sport d’Elite, ne pensez-vous pas que c’est plus un problème d’hommes et de dépenses réfléchies ?
Je pense d’abord que c’est normal que l’Etat fasse un investissement financier très important pour le sport. Dans toutes ses dimensions. Maintenant, nous sommes réalistes. Comme dans tous les pays du monde, le football a sa grosse part parce que c’est une question de loi du marché et du rapport offre/demande.
« Le Mouloudia a une place spéciale dans le mouvement sportif algérien »
C’est le sport professionnel. Pour avoir des sportifs de haut niveau, il est nécessaire d’avoir un encadrement de haut niveau qu’il faut payer. Je ne suis pas contre l’idée de faire un grand club au Mouloudia -au contraire- et deux ou trois autres grands clubs en Algérie comme cela se fait chez nos voisins qui sont nos premiers concurrents directs.
Mais les autres disciplines doivent avoir leurs parts aussi. Parce qu’il appartient au club de constituer la base de la préparation de notre élite nationale. Et l’Algérie a naturellement l’ambition d’être une grande nation sportive. Pour cela, il faut mettre les moyens des ambitions générales. Le Mouloudia a une place spéciale dans le mouvement sportif algérien. Et on ne peut pas mettre cela de côté d’un revers de main.
« La souveraineté nationale doit être également respectée »
Au-delà de l’aspect financier, ne pensez-vous pas que l’Etat doit mettre en place les personnes adéquates pour mener à bien les projets et les concrétiser ?
Il y a des textes juridiques qui encadrent le mouvement sportif algérien. Tout le monde dit que les composantes des assemblées générales doivent être revues. Là, il y a des visions différentes. Il y a ceux qui disent qu’on est obligé de respecter les Fédérations internationales et l’autonomie des fédérations. Je pense que tout en prenant en considération l’autonomie des fédérations, la souveraineté nationale peut et doit être également respectée. J’ai mon avis propre.
Je sais que quel que soit l’autonomie qu’on accorde aux fédérations, il y a le droit de regard et d’encadrement du Ministère de la Jeunesse et des Sports (MJS). C’est lui qui donne délégation aux fédérations pour assurer la mission du développement sportif. Ne pensons pas non plus qu’on doit avoir un système figé à l’association du type dont nous avons hérité de l’époque coloniale. Il faut peut-être prendre l’initiative de changer le mode associatif qui est le nôtre ainsi que le mode d’organisation des clubs afin d’avoir l’encadrement humain nécessaire.
« Une question de vie ou de mort »
On va rebondir sur l’aspect hybride et votre appel à un renouveau des institutions sportives. Aujourd’hui, Abderahmane Hammad est à la tête du MJS. Il est ou (était) on ne sait pas trop, président du COA. En tant qu’ancien ministre des Sports, ne pensez-vous que les doubles-casquettes sont à préjudice ? Et est-ce qu’il est légalement apte à assumer les deux fonctions ?
Ce n’est pas à moi qu’il faut poser cette question. Je respecte énormément Hammad qui a été un grand athlète de l’époque où j’étais ministre. Il est médaillé olympique et on ne peut pas l’oublier. Je le respecte aussi en tant que président du COA et ministre de la République. Ce n’est pas à moi de donner un avis.
Peut-on s’attendre à une réaction officielle du CSA/MCA vis-à-vis le transfert de Belaïli ?
Le CSA/MC Alger ne va pas réagir au transfert. Ce n’est pas sa mission. Dès lors que le CSA loue le sigle et les couleurs à la SSPA/Le Doyen et il est supporter du MC Alger “football”. Maintenant, le CSA pose le problème de son propre fonctionnement et comment assurer son budget. Je pense que le problème a été posé. La SSPA/Le Doyen est obligée de fournir la convention signée avec le CSA/MCA pour pouvoir déposer son engagement pour la nouvelle saison. La date limite c’est le 31 août.
« Le CSA/MC Alger a chiffré son budget à la SSPA/MC Alger »
Le CSA/MCA a fait parvenir une correspondance officielle à la SSPA/Le Doyen afin de poser ses conditions pour la location du sigle et des couleurs. Je pense que tout se passera bien pour que la SSPA/Le Doyen poursuive sa mission.
Peut-on craindre un bras de fer par rapport à cette autorisation de prendre les couleurs et le sigle du Mouloudia ?
C’est une question vitale, cruciale et de vie ou de mort pour l’association CSA/MC Alger. Je pense que les dirigeants du CSA/MC Alger prendront leurs responsabilités. Le CSA/MC Alger a adressé une lettre à la SSPA/Le Doyen dans laquelle ils ont chiffré leur budget. Et ils attendent leur réponse.