Mohamed El Morro, candidat déclaré à la présidence de la Fédération algérienne de football (FAF), nous a accordé cet entretien dans lequel il a dressé son projet axé principalement sur le dossier épineux du professionnalisme. Aussi, le président de l’ASM Oran donne son avis sur le mandat de Kheireddine Zetchi, président sortant, et le rôle que pourrait avoir le sélectionneur Djamel Belmadi dans la désignation du prochain patron de la FAF.
>>Entretien avec El Morro en audio :
LGDF: Monsieur El Morro vous avez décidé de vous présenter aux élections de la FAF. Qu’est-ce qui a motivé votre décision ?
El Morro: Il y a deux raisons fondamentales. La première est à la demande d’un certain nombre d’amis et de parties prenantes dans la famille du football. La deuxième raison, qui est à mon sens la plus importante, c’est qu’il y a beaucoup d’observateurs qui pensent que l’échec du professionnalisme est dû à l’incompétence des présidents de clubs. Cette approche est très dangereuse et irresponsable. En fait, elle cache les véritables raisons de ce qu’on pourrait, peut-être, appeler l’échec.
C’est une expérience qui a très mal commencé dans la mesure où ce projet n’est pas né d’une relation entre l’offre et la demande. Ce n’est pas quelque chose qui est venu naturellement. Comme tout le monde le sait, c’est une injonction de la FIFA qui nous a, entre guillemets, imposé le professionnalisme parce qu’elle l’a demandé, bien avant, en 2004 je crois, quand il y a eu un bras de fer entre la FIFA et le ministère de l’époque pour mettre en place le professionnalisme. La FIFA a édicté beaucoup de règles. A un certain moment on s’est retrouvés obligés de répondre à l’injonction. C’était en 2010. Je veux montrer que cette défaillance n’est pas seulement due aux présidents de clubs. Même si c’est vrai que ça peut être l’un des facteurs mais le problème est beaucoup plus profond. C’est beaucoup plus grave que ça.
« Je me sens responsable de l’échec du professionnalisme »
Vous êtes dans le diagnostic du problème. Pensez-vous avoir les solutions pour y remédier ? Que ce soit sur le court ou le long terme…
Oui. Établir le bon diagnostic c’est déjà régler le problème à moitié. La globalisation a fait que le football soit est devenu un levier économique. Notre passage sur le projet du professionnalisme a été entamé sur deux mauvaises lectures. Celle des textes qui régissent le football professionnel en Algérie qui est de 2006. Pour la deuxième lecture erronée, il s’agit de la fameuse circulaire de la FIFA portant sur les critères exigés, qui sont au nombre de quatre, pour le professionnalisme et auxquels nous ne répondons pas. Mais vu le temps qui nous a été impartis nous étions entrés de plein pied.
Sur les 10 ou 11 années de professionnalisme, il n’y a pas eu une rectification de trajectoire du modèle sportif prôné par les dirigeants…
Oui. Tout le monde est un peu responsable. Le ministère, la fédération ou l’ensemble des parties prenantes dans le football. Même moi je me sens responsable. Comme dans tout projet il y a un paradoxe. Et le paradoxe a été de commencer le projet sans études. On n’a pas d’expérience et on pense avoir du temps et au bout d’un certain temps on acquiert l’expérience et on voit que le temps est passé.
« Le football n’est plus un jeu. C’est un enjeu »
Pensez-vous que nous avons pris les mauvaises habitudes par rapport à ça ?
Effectivement, la première mauvaise habitude c’est que nous n’arrivons pas à raisonner en termes de gestion. C’est encore du jeu pour nous. On considère que le football est un jeu. On a oublié que maintenant il s’agit d’enjeu. Ce n’est plus du jeu.
Sur le plan théorique, tout cela a l’air facile. Mais, en pratique, quelles sont les difficultés auxquelles les clubs sont confrontés ?
Pratiquement, il faut respecter les normes de gestion de projet. Dans tout projet nous avons des objectifs et les moyens de sa concrétisation. Le premier objectif du sport en manière générale et du foot en particulier c’est de servir de facteur de cohésion nationale et de régulation sociale mais aussi de promotion de la jeunesse. Maintenant, comme je l’ai déjà dit, c’est un levier économique.
Pour régler tout ça, il faut mettre à jour les textes car certains sont, aujourd’hui, dépassés par la situation. Ils répondent bien à la politique nationale mais pas aux exigences de la globalisation. Il faut aller aux urgences, revoir le statut du joueur qui est erroné actuellement pour mettre la machine sur rails. C’est un chantier lourd. Et c’est peut-être pour ça que chacun comptait sur l’autre.
Vous évoquiez le statut des joueurs. Que pensez-vous des salaires ?
C’est dans cette optique que je parle du statut du joueur. On considère que le joueur professionnel est un travailleur. Or, nous savons très bien que même à travers nos lois et la décision de la Cour Suprême algérienne, le joueur professionnel est considéré comme un prestataire de services. A partir du moment où on se met d’accord que c’est un prestataire de services, on va voir les mécanismes du salaire et comment on va organiser l’indemnité. Il faudra définir les ressources, d’où vient l’argent. On sait que c’est les sponsors, l’aide de l’Etat ainsi que la commercialisation de l’image.
Ainsi, on aura la structure du salaire qui est la convention entre la Fédération, le joueur ou le collectif de joueurs, à conditions qu’on définisse ce dernier, et le club concerné. La structure ne peut être ni élevée ni basse. Elle doit répondre à cette exigence et être équivalente à toutes ces ressources. De cette manière, on établira plus d’équilibre afin que certains clubs ne reçoivent pas des milliards pendant que d’autres se contentent de quelques centimes.
« Nos clubs ont fait faillite et c’est grave ! »
Selon vous, actuellement, quel est le club algérien qui se rapproche le plus de ce modèle économique ?
Il n’y en a pas. Tout simplement. Nous commençons à avoir une certaine prise de conscience. Déjà, on pose le problème. On débat. J’ai été agréablement surpris de voir que l’USM Alger a mis en place un nouveau maillot avec une nouvelle conception. Mais on est encore loin de la protection de la marque. On met un maillot sur le marché à 12.000 dinars pour le trouver à 1000 dinars.
On est en train d’impliquer les supporters dans l’équation du professionnalisme. Ce n’est pas pour demain. Mais c’est déjà une bonne chose. Moi, l’intérêt de ma campagne ce n’est pas d’être le prochain président seulement mais poser les premières pierres du débat.
Vous semblez être dans une approche transitoire par rapport au foot professionnel. Vous évoquez de nouveaux mécanismes. Quelles seraient les premières décisions à prendre dans ce sens ?
D’abord, il s’agit d’arrêter l’hémorragie. Vous savez très bien que tous nos clubs ont fait faillite. Et c’est très grave car ils sont porteurs d’un registre de commerce. De ce fait, ils sont passibles des répercussions de la loi. C’est même assez grave.
Pensez-vous que l’Etat doit sévir par rapport à ces entreprises en banqueroute ?
Je le redis encore une fois, tout le monde est responsable. Il faut dépénaliser cet acte de gestion tant la responsabilité est partagée. Cela permettra aux clubs professionnels de première et seconde division qui ne peuvent pas assurer leur propre survie de devenir ou redevenir amateurs à travers une dépénalisation car on ne peut pas les jeter en pâture. Ce n’est pas très gentleman. C’est des clubs qui ont été obligés d’avoir un registre de commerce…
« Je souhaite qu’il y ait une prise de conscience sur l’unité »
En considérant l’état actuel des lieux et la gestion anachronique du football algérien, pensez-vous avoir les gens qui seront compatibles avec votre perception des faits ?
Ça va être difficile. C’est pour ça que je dis que je me suffirai de dire que j’étais parmi ceux qui ont posé les premières pierres du débat. Je n’irai pas plus loin que ça. Maintenant, s’il y aura un miracle c’est tant mieux.
Pensez-vous que ces gens là pourraient voter pour vous ?
(Rires)… Ce n’est pas suffisant. Je souhaite qu’il y ait une prise de conscience sur l’unité, comme a dit Constant (Omari) lors de la dernière réunion de la CAF. Mais je ne vais pas refaire la même bêtise que lui. Parce que lui, ce qu’il a dit c’est très grave. Il a dit qu’il y a eu beaucoup de candidats ce qui prouve qu’il y a une démocratie. Une prise de conscience sur la nécessité de l’union a finalement prévalu et nous avons cogité tout ça depuis une année avec Infantino (président de la FIFA NDLR) qu’il a désigné de son doigt.
Ne craignez-vous pas pareil scénario pour les élections de la FAF avec la désignation de personne ou la mise en place d’un collectif qui fait l’unanimité ?
Cela me paraît très peu probable mais ce n’est pas impossible.
Donc vous savez que c’est un milieu imprévisible…
C’est vraiment imprévisible. Je ne vois pas de candidats déclarés ce qui est extrêmement grave. Parce que si on ne voit pas de candidats déclarés on ne voit pas de programmes, on ne voit pas de projets. On ne voit rien.
« Zetchi a manqué d’expérience et s’est peut-être un peu isolé »
En toute objectivité, vous pensez quoi du mandat de Zetchi ?
Le mandat de Zetchi dans sa globalité ressemble à celui de Raouraoua à partir de 2010. On ne peut pas lui nier d’avoir gagné la Coupe d’Afrique. Comme on ne peut pas lui nier d’avoir fait de son club un modèle. Ce qu’on peut lui reprocher c’est que l’expérience de son club aurait dû, par le fait qu’il soit représentant du football en Algérie, être généralisée à travers les clubs. Ce qui n’a pas été le cas.
On a eu le regard braqué sur l’équipe nationale. C’est très important car le succès méritoire de l’équipe nationale devait être utilisé comme un catalyseur pour la refondation du football. Le football amateur bien sûr et celui professionnel viendra après. La véritable ressource est dans le football amateur dans les centaines de milliers ou les millions de jeunes à travers tout le pays. Quand on aura fait de la formation un axe prioritaire, sur quelques centaines de milliers on aura quand-même de très bons joueurs.
Si jamais vous reprenez la Fédération, vous pensez que vous allez reprendre une équipe nationale en bon état ?
Il faut la préserver, la consolider. Il y a une ligne rouge à ne pas franchir. Il ne faut pas s’immiscer dans les affaires de l’équipe nationale et de l’entraîneur qui a été honoré et acclamé par tout le peuple algérien. Il faut le laisser sur cette lancée. Par contre, il faut faire de cette réussite un catalyseur pour aller faire la refondation du football. Avec pareil élan, il y a de quoi faire démarrer la machine.
Zetchi avec toute sa réussite avec son club n’a pas pu transposer ce modèle sur le football algérien en général. Quelles sont les raisons qui ont fait capoter cette mission ?
C’est peut-être un manque d’expérience. C’est peut-être qu’il s’est un peu isolé. Il n’a pas fait appel aux compétences. Peu importe, l’essentiel c’est qu’il faut prendre cette expérience. Même les mauvaises choses sont à prendre en considération parce qu’à travers ça on peut investir sur les erreurs des autres et ça coûte moins cher que de refaire les mêmes erreurs.
« J’ai des exigences électoralistes et de compétences »
Quelles sont les erreurs de Zetchi selon vous ?
Eh bien c’est ça. C’est d’avoir omis de donner suffisamment d’importance au développement du football amateur…
Est-ce qu’avoir quatre années pour cela est suffisant ?
Ce n’est pas suffisant. C’est juste pour poser la première pierre. C’est un peu le reproche objectif et amical que je pourrais lui faire. Parce que quand on met les assises, après les autres sont obligés de continuer. Soit on continue, soit on démolît. Et il est presque impossible de démolir quand il y a les bases. Un mandat, ce n’est suffisant que pour mettre les bases après, on s’en fout de qui viendra après une fois les bases sont en place.
Mais ne pensez-vous pas qu’un président, qui a cumulé du retard sur les deux premières années de gouvernance avec des problèmes de casting au niveau des sélectionneurs, soit quelque peu pénalisé ? Ça l’a peut-être obligé de se focaliser sur la sélection tout en délaissant le football national…
C’est ce que j’ai appelé le paradoxe de la gestion de projet. Quand on ne sait pas ce qu’on veut dès le départ et qu’on ne respecte pas les règles de gestion de projet et qu’on commence sans expérience on se retrouve avec deux années de perdues. C’est pour ça que j’insiste sur la mise en place des règles dès le départ. Même si tu ne réussis pas, tu gagnes le fait d’avoir posé des bases. Là, on doit recommencer à zéro.
Tout à l’heure, vous avez parlé d’entourage. Avez-vous choisi le vôtre ?
C’est extrêmement complexe parce que ça répond à certaines exigences.
Quelles sont les exigences de Monsieur El Morro ?
Alors, vous avez les exigences électoralistes. Ce n’est pas forcément des personnes qui vont comprendre votre programme qui vont vous donner leur voix. Dans votre équipe, vous êtes obligé de passer par cet aspect…
Faire du lobbying quoi ?
Voilà. Vous avez dit le mot. C’est ça. Donc, ce n’est pas forcément des personnes qui vont vous être utiles dans votre programme. C’est pour cette raison là que j’envisage de mettre en place des directions carrément. C’est ça la mise en place de mécanismes et de fondations. C’est de professionnaliser la fédération pour qu’elle ne dépende pas ni de moi ni de personne. C’est mettre des gens compétents et rehausser les statuts de la division juridique et direction juridique, et c’est là que nous avons fauté, en mettant en place des structures permanentes qui ne dépendront plus de l’électorat.
« Belmadi est cartésien. Il me convient et je pense que je lui conviendrai »
Djamel Belmadi espère travailler avec un président de Fédération qui sera compatible avec sa « mentalité ». Que pensez-vous de la sienne ?
Je suis absolument d’accord. Il est cartésien. Il est carré et ça ne me dérange pas du tout. Bien au contraire. C’est ce genre de personnages qui me convient le plus et je pense que je lui conviendrai parce que je ne suis pas quelqu’un qui s’immisce dans les affaires des autres. Je sais ce que je veux et je sais comment le faire. Il faut savoir respecter les compétences.
Pensez-vous qu’il ait son mot à dire puisqu’il a été reçu par les Autorités ?
Il l’a déjà dit puisqu’il a tracé le profil.
Oui mais Belmadi a laissé croire qu’il a un droit de regard mais que le pouvoir décisionnel ne lui revient pas Tout à fait…
Belmadi a un droit de regard. Et il a raison de le dire parce que l’équipe nationale c’est quelque chose d’extrêmement sérieux. Elle est sur une bonne lancée et une pente ascendante. Il a raison de poser certaines conditions parce qu’être sur la pente ascendante et la phase la plus difficile. Il est nécessaire de mettre tous les moyens à la disposition du sélectionneur et le laisser travailler.
« Poser et imposer le débat c’est déjà un gain »
Pour vous, quel serait le candidat le plus redoutable parmi ceux qui sont cités actuellement ?
Moi je pense qu’ils sont tous redoutables. Le plus vulnérable c’est moi (rires). Celui qui a le moins de chances, c’est moi.
Et vous croyez en vos chances ?
Non justement.
Et pourquoi vous vous présentez ?
Je me présente pour essayer de mettre la barre assez haut dans le débat. Pour moi, c’est un gain. Le fait d’avoir posé et imposé le débat à travers tous les médias a fait que les autres a fait que personne ne s’est présenté jusqu’à présent. Mais ça a fait tâche d’huile. Maintenant, il s’agit de présenter le projet. Même si je ne passe pas, j’aurais réussi à mettre en place le débat.
Ne craignez-vous pas que ces candidats passent par-dessus de la barre ? Même si vous l’avez placée haut ?
Bien oui. C’est une pratique courante (rires). Ça peut arrivée. Mais ça fera tâche d’huile comme je l’ai dit. Je parle de manière conceptuelle. Je suis de ceux qui disent que le diable est dans les orientations c’est ses petits fils qui sont dans les détails. Il faut aller dans les grandes orientations et il y en a deux. C’est l’équipe nationale au sommet de la pyramide et avec son élan, on construira la base de telle manière que qui que ce soit viendra par la suite sera obligé de respecter les règles du jeu.
Merci pour la disponibilité Monsieur El Morro…
Merci à vous. Baraka Allahou fikom.