International algérien au début des années 80, Abdelmadjid Bourebbou a vécu l’épopée de la Coupe du Monde 1982 en Espagne. Titulaire face au Chili lors du dernier match de poule, avant le match de la honte Allemagne-Autriche (1-0), le natif d’Arris s’est remémoré quelques souvenirs du Mondial 82. Pour La Gazette du Fennec, l’ancien ailier droit de Laval s’est confié comme jamais sur son histoire personnelle et sur l’épisode douloureux de sa sortie prématurée face au Chili (3-2) qui constitue aujourd’hui encore une énigme pour les puristes !
LGDF : Bonjour Abdelmadjid Bourebbou, pouvez-vous vous présenter pour la nouvelle génération qui ne vous connaît pas ?
Abdelmadjid Bourebbou : Donc je m’appelle Abdelmadjid Bourebbou. Je suis né à Arris, dans les Aurès, près de Batna en Algérie, le 16 mars 1951. J’ai joué principalement à l’US Quevilly, au FC Rouen et au Stade Lavallois. J’ai aussi été international algérien. J’ai fait partie de l’équipe d’Algérie 1982. Je ne sais plus le nombre de sélections mais j’ai joué essentiellement les matchs de préparation pour la Coupe du Monde 82 et bien sûr, j’étais dans la liste des joueurs sélectionnés pour cette compétition. Lors de ce championnat du monde, je n’ai participé qu’à un seul match, celui contre le Chili (NDLR : victoire 3-2, Bourebbou passeur décisif pour Assad). En club, j’ai été champion Cadet puis Junior de toute la Normandie, huitième de finaliste de la coupe de France avec Rouen contre Saint-Étienne. Le meilleur buteur de la deuxième division avec Rouen. Je suis parti à Laval lors de la saison 1978/1979. Une saison plus tard j’ai été désigné meilleur ailier de D1 avec Laval devant les meilleurs joueurs français de l’époque comme Didier Six ou Dominique Rocheteau. Je fus aussi meilleur passeur de l’équipe avec 17 ou 18 passes. Même si je marquais pas mal de buts, j’adorais faire marquer aussi. C’était deux sensations différentes mais l’une équivaut à l’autre. On avait une bonne équipe, à l’époque, avec les « Tangos » de Laval sous la houlette de Michel Le Millénaire.
A quel poste jouiez-vous ?
J’ai commencé par jouer en avant-centre à Rouen puis mon coach de l’époque m’a remis au poste d’ailier droit. Il pensait que j’avais les qualités sur le côté droit, avec un seul adversaire au lieu de deux, comme ceux de la charnière centrale.
Appréhendiez-vous ce changement de poste ?
Non, et même, il m’a été très bénéfique. Il faut dire que les qualités requises à l’époque ne sont pas les mêmes que celles d’aujourd’hui. On nous demandait juste d’attaquer et non pas de défendre comme maintenant. On revenait jusqu’à la ligne médiane pour garder nos forces afin de ré-attaquer. Cela m’allait bien comme ça (rire).
“J’ai fais mon jubilé à Arris en 2011 en présence des anciens comme Fergani, Belloumi, Assad ou Kouici. Tout cela m’a fait chaud au coeur”
Vous retournez en Algérie de temps en temps ?
Avant j’y allais tous les ans. Mais cela fait quatre ans que je n’y suis pas retourné. J’ai même fait mon jubilé à Arris en 2011. J’avais été reçu avec les honneurs par les autorités locales. A la descente de l’avion, mais aussi sur tout le chemin jusqu’à Arris où j’ai été escorté par les motards de la gendarmerie et beaucoup de voitures d’officiels. Lors de ce match de jubilé, il y avait du beau monde. Beaucoup d’amis, qui avaient joué avec moi en Équipe nationale dans les années 80 étaient présents comme Belloumi, Fergani, Assad ou encore Kouici. Tout cela m’a fait chaud au cœur. Cela dénote du souvenir qu’on a laissé, nous, les anciens joueurs. On se rend compte qu’on est considéré, qu’on ne nous oublie pas pour tout ce qu’on a fait pour le pays et l’Équipe nationale.
Vous avez incorporé l’Équipe nationale alors que vous n’êtes pas sorti d’un centre de formation. Vous aviez un parcours atypique ?
Mon centre de formation c’était la rue ! On n’avait pas de ballon. Mon ballon c’était les boites de conserve entourées de chiffons pour ne pas se faire mal. Nos stades étaient les rues.
À quel âge êtes-vous arrivés en France?
Je suis arrivé en France en 1963, j’avais 12 ans. J’avais passé une enfance heureuse à Arris et je m’en souviens très bien. Quand je suis arrivé en France, j’ai intégré l’équipe de l’US Quevilly. L’équipe de Quevilly a été trois fois championne de National. Cette équipe était connue pour son parcours en coupe de France. Je me rappelle quand je suis parti la voir lors de leur première demi-finale au Parc Des Princes, contre Bordeaux, ils avaient perdu 2-1. L’entraîneur des jeunes à l’époque, m’avait payé le voyage et la place au stade parce que je n’avais pas d’argent. C’est un souvenir inoubliable.
“Avant de rejoindre l’EN d’Algérie, Michel Hidalgo m’avait contacté. Il m’avait demandé de me tenir prêt à être appelé en Équipe de France”
Les belles performances avec l’équipe « les Tangos » de Laval vous ont permis d’intégrer l’Équipe nationale d’Algérie ?
Oui exactement ! Mais ce n’était pas la 1ère fois. Je m’étais déjà fait remarquer avec l’équipe de “l’Amicale des Algériens d’Europe”. Avec mon ami Ben Drama, on avait joué quelques matchs en Algérie avec cette équipe-là. Les autorités de l’époque, nous ont demandé, pour certains d’entre nous, et si bien sûr le sélectionneur nous jugeait bons, si on voulait incorporer l’Équipe nationale. Tout est parti de là. Puis effectivement, avec le Stade Lavallois, j’ai eu beaucoup d’éloges et de commentaires positifs dans la presse. Ces prestations m’ont permis de me faire connaître. Mais ce qu’il faut savoir, avant même Laval, quand je jouais avec l’équipe de Rouen, et je faisais aussi de belles prestations, l’entraîneur de l’équipe de France de l’époque, Michel Hidalgo, qui vient de décéder, paix à son âme, m’avait contacté. Il m’avait demandé de me tenir prêt à être appelé en Équipe de France. Mais cela ne s’est pas fait pour la simple raison que j’étais en concurrence avec Dominique Rocheteau. Appeler un Bourebbou, qui jouait à Rouen, ou un Dominique Rocheteau, qui jouait à Saint-Étienne, la différence s’est faite sur cela. Ce n’est pas Rocheteau qui a fait la différence mais le club de l’AS Saint-Étienne, le club phare du championnat de France de l’époque.
Imaginez que Michel Hidalgo vous avait appelé, qu’auriez-vous fait ?
Franchement aujourd’hui encore je me pose la question. Je me suis posé la question X et X fois et je n’ai toujours pas la réponse. Beaucoup de gens m’ont demandé, même avec le recul, honnêtement, je ne sais pas.
Aujourd’hui la polémique est d’autant plus importante avec les binationaux qui intègrent ou ne veulent pas intégrer l’équipe d’Algérie. Certains ont intégré l’équipe d’Algérie par défaut, d’autres par le choix du cœur, qu’en pensez-vous ?
(Il coupe la question)… il n’y a pas de raison de cœur ou de défaut. Je vais vous dire la seule vérité. Si le joueur se sent capable de jouer longtemps et titulaire avec l’équipe de France : il ira chez « Les Bleus ». S’il se dit je vais jouer un ou deux matchs puis cela s’arrêtera là, donc je passerai sûrement à côté d’une carrière avec l’équipe d’Algérie. Alors, il viendra chez « Les Verts ». Par conséquent, mais ce n’est que mon avis, cela s’apparente à des choix par défaut. Ma réflexion est sur la durée. Aurais-je la chance de vivre une carrière en équipe de France ou des moments merveilleux avec l’équipe d’Algérie ? Elle est là, la seule question qu’on se pose.
Si Hidalgo vous avait appelé, vous auriez été dans ce cas ?
Déjà cela aurait été un exploit d’intégrer cette équipe avec toutes les stars qui la composait. Mais on ne m’a jamais donné ce choix-là, donc la question ne se pose pas. Aujourd’hui je ne peux pas vous répondre honnêtement parce que je n’ai pas eu ce choix. Mais effectivement, cela aurait été un dilemme.
Dans les années 80, l’Équipe nationale était composée essentiellement de joueurs locaux. Peu de joueurs binationaux étaient dans cette équipe. Comment étaient vu ces joueurs tels que vous, Nordine Kourichi ou Mustapha Dahleb ?
La majorité des joueurs ou du staff nous ont accueilli à bras ouverts et sans polémiques. C’était un état d’esprit que beaucoup de personnes avaient. Mais c’est vrai qu’il y avait aussi d’autres gens qui nous voyaient autrement. Certaines personnes avaient peut-être peur pour leur place et donc ne voyaient pas nos arrivées d’un bon œil.
Quand vous dites d’autres personnes, moi je pense à de fortes têtes comme Guendouz…
Oui c’est vrai pour Guendouz. Il était une forte tête, il avait sa personnalité. Mais il était aussi très gentil. Il faut dire que nous aussi, on arrivait comme un cheveu sur la soupe.
Vous n’aviez pas fait les Éliminatoires, votre intégration a dû être difficile ?
Un peu c’est vrai. Mais étant donné mon caractère réservé, je ne m’affichais pas. Je ne cherchais pas de polémique, donc cela s’est plutôt bien passé.
“Lors du match amical contre le Pérou (1-1), le sélectionneur péruvien m’a demandé de changer de nationalité pour jouer avec eux (rires)”
Qui était le patron de l’équipe ?
Il y avait de fortes personnalités dans cette équipe tels Belloumi, Assad, Madjer, mais celui qui donnait de la voix, celui qui était le patron sur le terrain, c’était le capitaine : Fergani. Il relayait les consignes de l’entraîneur sur le terrain, c’était vraiment le trait d’union entre les joueurs et le staff.
Vous étiez proche de qui dans cette équipe ?
Il y avait pas mal de joueurs avec qui j’étais proche, en premier lieu Mustapha Dahleb, mais aussi Kourichi, Horr, Merzekane, un super gars, ou encore Karim Maroc dont on partageait des fois la chambre.
Vous souvenez-vous de votre premier match avec l’Algérie ?
En match officiel c’était contre le Chili lors de la coupe du Monde 82. Mais auparavant j’ai participé à quelques matchs de préparation, contre l’Irlande, certains clubs comme Tours, Lyon et même en Suisse. Les souvenirs sont vagues mais je me rappelle que sur les cinq ou six matchs de préparation, j’ai dû en jouer 3 ou 4 en tant que titulaire et 2 ou 3 en tant que remplaçant. Un de mes plus beaux souvenirs était le match amical contre le Pérou. Déjà l’ambiance au stade était magnifique, toute ma famille et mes amis me suivaient d’Arris. J’ai commencé comme titulaire et je reçois un coup de genou dans le dos. Je sors sur blessure et logiquement toute ma famille s’inquiéta. Ils m’ont raconté plus tard, qu’ils ont fait des Duaas et des prières afin que je me rétablisse vite et prendre part à la coupe du monde. Pour la petite anecdote, à la fin du match, l’entraîneur du Pérou est venu me voir me demandant de changer de nationalité afin de jouer pour le Pérou. On a bien rigolé et bien sûr je lui ai dit que c’était inconcevable. Il a insisté en me disant que j’avais le talent pour jouer dans son équipe (rire).
Arrive la Coupe du Monde 1982, l’Algérie est dans un groupe difficile avec la RFA, l’Autriche et le Chili. Quels étaient les sentiments des joueurs à la vue de ce groupe et à l’approche de la grande messe du football ?
Je ne vais pas dire qu’on partait la fleur au fusil, mais on était un peu inconscient, peu importe l’adversaire. On se disait qu’on n’avait rien à perdre et que si les Allemands voulaient nous mettre beaucoup de buts, il fallait qu’ils viennent les chercher. On voulait simplement montrer qu’on était des hommes, qu’on savait jouer au football.
“Contre la RFA on a fait le match parfait. Pour l’anecdote, je devais entrer en jeu avant le but victorieux de Belloumi”
Le 16 juin 1982 se déroula match RFA-Algérie. Raconter nous un peu ce que c’est passé.
On fait le match parfait. On a joué simple, vu la qualité de nos joueurs, de la composition d’équipe qui, techniquement, était très forte. De toute façon on n’avait que ça à faire contre un adversaire qui était très fort physiquement. Ils ont été surpris par notre jeu. On finit par gagner 2-1 ce match. Une victoire méritée. Une autre petite histoire, à 1-1, je devais rentrer sur le terrain. Finalement Belloumi marque, tout le monde éclate de joie, alors l’entraîneur, tout naturellement, me dit de me rasseoir.
Cerbah dans les buts a été très bon malgré son petit gabarit face aux ogres allemands.
Cerbah a fait le match qu’il fallait, grandiose ! Ce qu’il a fait, il l’a fait magnifiquement. Mais ce qu’il faut souligner c’est qu’il était protégé par une grande défense. La charnière centrale Kourichi/Guendouz, qui culminait à 1m90, rivalisait physiquement avec l’avant-centre allemand, Hrubesch. Sur les côtés, Merzekane et Mansouri ont très bien travaillé. Cerbah a fait le reste.
Cette victoire fait partie de l’histoire, vous faites partie de l’histoire. Que ressentez-vous?
Je ressens un sentiment de fierté mais aussi de dignité parce que nous avons représenté un pays d’Afrique que beaucoup ont sous-estimé. La meilleure des réponses était notre prestation sur le terrain. Notre victoire a permis de rendre heureux tout le pays. Un sentiment de travail accompli, une grande satisfaction. Il y a peut-être des gens qui ne se parlaient pas, cette victoire leur a permis de passer des moments de réconciliations, de convivialités, de joies, de retrouvailles.
Les déclarations des Allemands, d’avant match, vous ont-elles touchées ?
Oui bien sûr ! Quand des joueurs se gargarisaient de nous battre 8-0, c’est sous-estimer l’adversaire. C’était irrespectueux. L’exemple de Breitner, qui voulait dédier le huitième but à sa femme enceinte à l’époque, était déplacé. Je comprends qu’une équipe aussi forte que l’Allemagne veuille battre par un grand score une petite équipe comme l’Algérie, mais la moindre des choses est le respect. Ils ont été irrespectueux et prétentieux. Ils voulaient nous battre 8-0, OK ! Mettez les huit buts si vous voulez, mais au moins il fallait nous respecter. Au final ils ont perdu le match. Ils sont rentrés directement au vestiaire, têtes basses. Je peux même vous dire qu’il y a eu une bagarre dans le vestiaire allemand après le match. Les deux clans pro-Rummenigge et pro-Breitner se sont affrontés. Les uns reprochaient aux autres la défaite face à l’Algérie. La police espagnole a dû intervenir pour les séparer et calmer les esprits. La victoire de notre équipe nationale a semé un grand trouble chez les Allemands.
L’entraîneur allemand, aussi, avait mis du sien, avec sa déclaration ?
Oui ! Jupp Derwall avait déclaré que si l’Algérie gagnait, il rentrerait directement, par train, en Allemagne. Une petite anecdote avant la coupe du monde, je jouais, à Laval, avec un joueur allemand du nom d’Erwin Kotedde. Cette année-là, il finit meilleur buteur de Laval. Un journaliste allemand, de Der Spiegel, est venu l’interviewer. Le joueur allemand a tenu que je sois présent lors de l’interview. Pour lui, je faisais partie de son succès. Je fis donc connaissance avec le journaliste. Au lendemain de notre victoire contre l’Allemagne, je retrouvais ce journaliste. Il me sort un billet de train et il me dit : « voilà le billet de train ! Je vais aller le donner à l’entraîneur allemand afin qu’il rentre directement en Allemagne » ! (rire).
Après les Allemands, vous rencontrez les Autrichiens. Cela ne se passe pas du tout comme voulu : une défaite 2-0.
Un match catastrophique sur le point de vue du résultat. Nous n’avons pas du tout été bons. J’étais sur le banc des remplaçants. Il n’était pas prévu que je rentre. On s’est cru arriver parce que nous avions battu l’Allemagne auparavant. Une très grosse erreur. Pourtant le sélectionneur, Khalef, nous avait averti. Certains joueurs se sont vus trop beaux suite au grand match effectué contre l’Allemagne. Des joueurs, comme l’Autrichien Krankl, il ne faut pas les laisser seul dans la surface.
“Je ne sais pas du tout pourquoi Khalef m’a sorti alors qu’on menait 3-0. Je reste persuadé que ma sortie a fait basculé le match !”
Avec le recul, vous pensez qu’on était meilleur que l’Autriche ?
Je ne sais pas si on était meilleur qu’eux, mais ce qui est sûr, c’est qu’on n’était pas plus mauvais qu’eux. Ce que j’ai appris dans le football, quand on ne peut pas gagner un match, il faut savoir ne pas le perdre. Voilà mon avis. Honnêtement contre l’Autriche, c’était nous qui avions sous-estimé l’adversaire. Il n’y avait pas de respect des consignes. Les défenseurs qui avaient fait un match héroïque et de guerriers, contre l’Allemagne, ont été en dessous de leurs valeurs. Même nos attaquants, virevoltants, n’ont pas fait le travail contre l’Autriche.
Lors du troisième match contre le Chili, vous avez été titulaire. Lorsque vous avez su votre titularisation, quel était votre sentiment ? Y a-t-il eu des voix contre votre titularisation ?
Tout le monde attendait la composition d’équipe. Quand j’ai su que j’étais titulaire, c’était un soulagement. Donc je me suis mis rapidement au travail pour me préparer de la meilleure des façons. Je voulais réussir à tout prix mon entrée dans la compétition. Je me suis mis dans les meilleurs conditions aussi bien aux entraînements que pendant les repos afin d’aborder de la meilleure des façons ce match. Concernant des possibles voix qui se seraient levées contre ma titularisation, en tout cas officiellement il n’y en avait aucune. Le sélectionneur annonçait l’équipe qui allait rentrer et tout le monde se taisait.
Khalef annonçait seul l’équipe ? Quel était le rôle de Mekhloufi par exemple ?
Khalef était le sélectionneur en chef. C’était lui qui prenait les décisions finales. Bien sûr ils avaient des adjoints comme Mekhloufi, Sâadane ou les frères Soukhane. Tous les adjoints étaient sur le banc, avec nous. Mais comme tout être humain, quand Khalef était sans solution, il avait besoin d’eux. Ce qui était sûr, c’est qu’il Il y avait beaucoup de monde sur le banc de touche.
Vous n’aviez joué que 30 minutes. Est-ce que vous savez aujourd’hui pourquoi ?
Franchement, aujourd’hui encore, je ne sais pas du tout pourquoi ! Je me sentais bien sur le terrain, j’étais sur l’aile droite. J’étais à l’origine de 2 des 3 buts. Je sors à la 33e minute, alors qu’on menait 3-0. Quelques années plus tard, on en a rediscuté avec Mustapha Dahleb ou d’autres joueurs, eux-mêmes ne savent pas pourquoi. Je suis sorti. Je n’ai jamais eu d’explications. Je n’ai jamais su ce qu’il m’a reproché.
“Je n’ai jamais eu d’explications de Khalef. On ne s’est plus revu depuis le Mondial. Je l’avais invité pour mon jubilé, mais il n’est pas venu…”
Est-ce que vous avez déjà eu une discussion sur ce sujet avec le sélectionneur Khalef ?
On n’a pas eu l’occasion d’en discuter après le match. Je ne lui ai rien demandé parce que je considérais que c’était à lui de me donner les explications de sa prise de décision de me sortir. Même des années plus tard, on n’a jamais eu l’occasion puisqu’on ne s’est plus revu après le Mondial. Je l’avais invité pour mon jubilé, mais il n’est pas venu, peut-être avait-il un empêchement. Pour ma sortie prématurée, cela restera une interrogation dans ce match.
Il y a des personnes et beaucoup de voix, qu’elles soient en France ou en Algérie, disent que le match a basculé à votre sortie. Certains même disent qu’on aurait pu gagner plus largement, et sûrement se qualifier, si vous étiez resté sur le terrain. Qu’en pensez-vous de ces déclarations ?
C’est aussi mon sentiment profond. Je le redis encore aujourd’hui, oui, on aurait pu gagner largement si je serais resté sur le terrain. On était bien en place. Le match se déroulait à merveille. Chaque joueur était conscient du travail qu’il avait à faire. Mon rôle, défini au tableau noir, était effectué à la perfection. J’ai joué comme je l’avais imaginé, comme je m’étais préparé. Honnêtement, je ne sais pas ce qui est arrivé dans la tête du sélectionneur, parce que tout allait bien jusqu’à ma sortie.
Lors de ce match, Assad a marqué 2 buts, Bensaoula 1 but. Bensaoula a ensuite quitté l’Algérie pour une carrière professionnelle. Que pensez-vous de lui ?
C’était un grand avant-centre. J’aimais beaucoup sa façon de jouer. Il avait toutes les qualités d’un attaquant moderne. Après le mondial, il est parti au Havre. C’est dommage, on n’a pas eu l’occasion de se rencontrer ici en France.
Au final, ce n’est pas la victoire, seulement 3-2, contre Chili, qui nous élimine, mais bien le match de la honte, entre la RFA et l’Autriche.
Oui tout à fait ! La victoire de l’Allemagne 1-0 a suffi à qualifier la RFA et l’Autriche. Ce qu’il faut savoir, c’est que les deux pays se sont bien entendu. Les journalistes espagnols ont surpris les deux entraîneurs allemands et autrichiens, photo à l’appui, la veille du match, dans un restaurant. Je sais bien qu’on a le droit d’aller dîner ensemble, mais je ne pense pas qu’à la veille d’un match aussi important que celui-là, l’Allemand et l’Autrichien étaient là pour discuter du beau temps.
Suite à cette victoire allemande, c’est la fin du parcours de l’Algérie en coupe du monde 1982. Est-ce que c’était la fin de votre parcours avec l’équipe d’Algérie ou bien aviez-vous été rappelé après, pour d’autres matchs?
Non, je n’ai plus été rappelé en Équipe nationale (le ton de sa voix change, devient plus triste). C’était bien mon dernier match avec les Verts.
Est-ce que cela vous a-t-il affecté ?
Je répondrai par oui et non. C’est la dure loi en sélection. Il y a une nouvelle génération qui était née et qui était là pour prendre la place des anciens. Il ne faut pas non plus s’accrocher à quelque chose qui ne vous appartient pas. Je ne voulais pas m’entêter. J’ai estimé que ce qui ont pris la décision de ne plus m’appeler, c’est qu’ils avaient une bonne raison. Je ne voulais pas rentrer dans des polémiques.
“Après ma carrière, je suis passé par des moments difficiles. Je ne savais rien faire. J’ai galéré mais je m’en suis sorti en créant une société de gardiennage”
Le fait de ne pas jouer la Coupe d’Afrique 1984 ne vous a pas dérangé ?
Si bien sûr, cela m’a beaucoup touché. Mais je n’avais aucun moyen de faire savoir mon désaccord. Pourtant j’étais encore compétitif. Je jouais encore en D1, dans mon club de Laval. J’aurais pu encore apporter mon expérience à l’équipe.
À quel âge avez-vous fini votre carrière et dans quel club ?
J’ai terminé ma carrière à l’âge de 32 ans, dans mon club de Laval. Je sais bien que c’est jeune aujourd’hui, mais il fallait bien un point final.
Est ce qu’on vous a proposé une reconversion après votre carrière ?
On m’a serré la main, on m’a dit merci et au revoir (rire mais un peu agacé), sans savoir ce que j’allais devenir. Personne ne s’est posé la question ce que j’allais devenir, comment j’allais subvenir à ma famille, si je n’allais pas devenir SDF ou clochard, ni à la Laval ni dans mon ancien club de Rouen. Donc je me suis débrouillé tout seul.
Est-ce que la fédération algérienne de football, étant ancien mondialiste et expérimenté, vous a contacté pour une quelconque mission ?
Non pas du tout. À la fin de ma carrière, j’ai passé mes diplômes d’entraîneur à Clairefontaine, sous la houlette d’Aimé Jacquet. Par la suite, on s’est appelé et il m’a aidé à constituer un dossier pour mon projet. Ce projet était destiné à la préformation/formation des jeunes en Algérie. Cela permettrait de déboucher sur des centres de formation en Algérie. J’ai envoyé mon dossier à la fédération, jusqu’à aujourd’hui aucune réponse. Ni oui ni non, aucune réponse.
Suite à ces échecs est-il vrai que vous êtes passé par des moments difficiles mentalement et même médicalement ?
Effectivement, j’ai beaucoup galéré après cela, puisque je ne savais rien faire. Je suis passé par des moments difficiles mais je m’en suis sorti. Quand mon projet n’a pas abouti j’ai acheté un bar, puis j’ai travaillé dans la restauration, puis dans l’immobilier. Finalement avec l’aide d’un ami, j’ai créé ma société de gardiennage et sécurité. J’ai travaillé pendant plus de 20 ans dans mon entreprise, en gagnant bien ma vie, jusqu’à ma retraite, il y a 7-8 ans. Aujourd’hui, je vis tranquillement, dans ma maison, située dans un petit village de Normandie, près de Rouen. Je suis papa, grand-père et arrière-grand-père depuis quelques mois. Je suis très heureux.
“OUI, je suis “fils” de Harkis et NON je ne l’ai pas caché en 1982. Mon père qui est décédé, je ne le renie pas !”
Pour ne pas créer d’histoire autour « des Verts », à l’époque de votre passage en Équipe nationale, on aurait caché que vous êtes fils de harkis. Est-il vrai que vous êtes fils de harkis ?
Oui je suis fils de harkis, et non je ne l’ai pas caché. À l’époque on avait appelé Abdelmadjid Bourebbou, parce qu’il était Algérien et bon footballeur. Les autres considérations n’entraient pas en ligne de compte. Si à l’époque, on m’avait posé la question, j’aurais répondu comme je vous réponds aujourd’hui. Oui, je suis “fils” de harki (il insiste sur fils) et non pas harki. Quand je rentre chez moi à Arris, tout le monde le sait. Mon père qui est décédé, je ne le renie pas. Il a élevé sa famille de la meilleure façon possible, dans la joie et la bonne humeur. Je n’ai rien à cacher. Encore une anecdote, Mustapha Ben Boulaïd, le grand Moudjahid algérien était mon voisin. Je l’ai toujours dit, et je vous le dis encore aujourd’hui, si à l’époque de la guerre d’Algérie, j’avais 5 ou 6 ans de plus, j’aurais pris les armes aux côtés de Mustapha Ben Boulaïd.
Quel regard portez-vous sur le football algérien d’aujourd’hui?
Honnêtement je me suis complètement détaché du football en général. Le football d’aujourd’hui ne m’intéresse pas. C’est un football stéréotypé, calculateur, un football d’argent, il ne me convient pas. À partir de là, je me suis mis à l’écart. Aussi bien sur le football algérien que mondial, je connais très peu de noms de joueurs et il y a très peu de joueurs auxquels je pourrais m’attacher.
Vous êtes quand même au courant que l’Algérie a été champion d’Afrique en 2019 ?
J’allais en venir. Par contre j’ai bien suivi le championnat d’Afrique. Une très grande fierté pour cette victoire. L’équipe a fait un bon parcours, ce qui lui a permis de remporter le trophée. Sauf en finale où on a marqué rapidement, un très beau but, puis on a laissé jouer le Sénégal. J’étais tellement stressé parce que c’était chaud, voir très chaud, parfois. Il fallait être très costaud pour tenir pendant tout le match contre des Sénégalais qui, il faut le dire, étaient meilleurs que nous sur ce match. Il y avait des similitudes avec le match contre l’Allemagne. On avait marqué puis on a tenu. J’avais beaucoup de frissons, j’étais insupportable à la maison : je criais, je m’énervais, ma femme est même partie chez la voisine, tellement je l’ai énervée. Au final nous avons remporté le trophée, et bien mérité en plus, sur l’ensemble de la compétition.
Restons sur le parallèle à votre époque. Dans les années 80, l’Équipe nationale était composée essentiellement de joueurs locaux. Aujourd’hui c’est tout l’inverse, l’ossature est formée par des joueurs binationaux, quel est votre avis sur ce changement ?
Personnellement je n’ai qu’un seul avis : qu’on soit à l’étranger ou en Algérie, on est algérien avant tout. Peu importe l’endroit, il n’y a pas de différences entre le joueur local et celui de l’étranger. Pour former la meilleure équipe, il n’y a qu’un seul critère : la compétence. Du moment que le joueur apporte sa pierre à l’édifice, il ne faut pas chercher à savoir d’où il vient.
Cela démontre l’abandon de la formation en Algérie. Il y a quand même un équilibre à trouver.
Le problème est que chez nous, on manque de beaucoup de choses. Il n’y a pas de formations, mais il n’y a pas de discipline non plus. Les autorités ont trouvé des joueurs déjà formés ailleurs donc ils les utilisent. Le revers de la médaille est le délaissement de la formation. En’dham makench fi bledna (il y a un manque d’organisation dans notre pays, dit en arabe).
Aujourd’hui, un club de la banlieue d’Alger, le Paradou, du président actuel de la fédération, Mr. Zetchi, réussit à sortir des joueurs tels Atal, Boudaoui, Bensebaini. Connaissez-vous ce club ?
Non malheureusement, je ne connais pas ce club. C’est déjà très bien qu’il le fasse, mais il ne faut pas qu’il soit le seul. Il faudrait que d’autres clubs s’inspirent de ce que font les clubs en Europe. On peut très bien le faire chez nous, il y a des gens compétents qui sont capables de s’organiser et de former les jeunes. Moi aujourd’hui je suis dépassé, mais j’en suis sûr il y a des gens de la nouvelle génération qui sont capables, qui ont des aptitudes, des connaissances, qui ont des capacités, pour résumer qui sont compétents.
Que pensez-vous de Belmadi ?
Je trouve qu’il a beaucoup d’humilité. Il ne parle que de ce qu’il connaît, il pèse bien ses mots lors des interviews. Il ne dit pas n’importe quoi, il ne s’emballe pas. Ce que j’aime beaucoup en lui, il n’hésite pas à défendre tous ses joueurs lorsqu’ils sont attaqués dans la presse. Par contre il faudrait qu’il fasse attention, aujourd’hui l’équipe fonctionne très bien, donc c’est un très bon sélectionneur. Le jour où les résultats ne seront pas là, beaucoup de gens tourneront leurs vestes. Ils diront qu’il est mauvais. À lui de se remettre en question à chaque fois.
“Entre Kourichi et moi, il y a beaucoup d’amitié. Nous sommes en contact pratiquement tous les jours”
Êtes-vous toujours en contact avec les anciens joueurs ?
Beaucoup d’anciens joueurs, comme Kouici, Assad, Belloumi, ou Fergani vivent en Algérie. Mustapha Dahleb voyage entre les deux pays. Je garde contact de temps en temps avec Djaadaoui. Avec Kourichi, nous sommes en contact pratiquement tous les jours.
Avec Kourichi, vous parlez tous les jours, y a-t-il un projet entre vous deux ?
Non pas du tout. Entre Kourichi et moi, il y a beaucoup d’amitié. C’est un grand blagueur, tous les jours il me fait rire. Cela ne se voit pas beaucoup mais c’est vraiment un grand blagueur. Un ancien très bon footballeur. Il ne faut pas non plus lui retirer sa carrière de footballeur. Il a joué à Bordeaux sous les ordres d’Aimé Jacquet qui l’aimait beaucoup. Il était costaud et Jacquet aimait les grands costauds. Il lui disait, “Kourichi, il ne faut pas qu’il passe” et bien sûr l’attaquant ne passait pas. Puis, il est devenu entraîneur, et même adjoint d’Halilhodzic. Honnêtement, j’aimerais bien savoir comment a-t-il fait pour devenir adjoint du coach Vahid (grand rire).
Merci beaucoup pour cet entretien plein d’anecdotes et de vérités.
C’est moi qui vous remercie d’écouter et de prendre des nouvelles des anciens. Prenez soin de vous en ces moments difficiles.
Entretien réalisé par Fateh LeCoach pour La Gazette du Fennec
Bonus – les buts du match Algérie-Chili (3-2) :
Abdelmadjid Bourebbou
Né le 19 Mars 1951 à Arris (Algérie)
Poste : Attaquant – Ailier droit
Taille : 1m77 – Poids : 70 kg
Carrière de joueur
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- 1982 – 1983 Laval (Division 1): 5 matchs
- 1981 – 1982 Laval (Division 1): 11 matchs, 3 buts
- 1980 – 1981 Laval (Division 1): 10 matchs, 1 but
- 1979 – 1980 Laval (Division 1): 34 matchs, 6 buts
- 1978 – 1979 Laval (Division 1): 31 matchs, 6 buts
- 1977 – 1978 Football Club de Rouen (Division 1): 35 matchs, 4 buts
- 1976 – 1977 Football Club de Rouen (Division 2): 32 matchs, 17 buts
- 1975 – 1976 Football Club de Rouen (Division 2): 10 matchs, 6 buts
- 1974 – 1975 Football Club de Rouen (Division 2): 20 matchs, 8 buts
- 1973 – 1974 Football Club de Rouen (Division 2): 12 matchs, 3 buts
- 1972 – 1973 Football Club de Rouen (Division 2): 29 matchs, 14 buts
- 1971 – 1972 Quevilly (Division 2): 3 matchs
- 1970 – 1971 Quevilly (Division 2): 2 matchs