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Entretien Exclusif

Daoud Amirouche : « Je ne peux pas cautionner le massacre du handball algérien ! »

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interview lgdf

Le naufrage de l’équipe nationale au Championnat du Monde de handball 2023 est passé sous silence. Surtout que la campagne désastreuse de nos handballeurs s’est produite au moment où tout le monde était occupé à suivre le CHAN-2022. Cependant, la déroute de notre Sept National, classée à l’avant-dernière place au terme de l’épreuve, n’a rien d’une surprise. Et ce compte tenu du marasme que connaît la petite balle ces dernières années. Daoud Amirouche, ancien gardien de la sélection en ses années glorieuses, nous a accordé cet entretien dans lequel il essaie de dresser un état des lieux avec un œil d’aguerri.

LGDF: L’équipe nationale a livré un Mondial très compliqué (6 défaites et 1 victoire) en terminant à l’avant-dernière place. Ce résultat était attendu compte tenu de plusieurs paramètres. Comment jugez-vous le tournoi des Verts ?

Daoud : C’est le ministère (MJS) qui s’est ingéré. Il a installé un directoire en installant Monsieur Bendjmil. C’est vrai qu’il était un grand joueur et tout. Mais il n’a aucune notion dans la gestion. Le résultat était là. Et pourtant, on a tiré la sonnette d’alarme. J’ai parlé avec M. Sebgag, et j’ai pu comprendre qu’il a été mal-conseillé lors de cette passe.

Depuis l’installation du directoire au mois d’octobre, les échecs se sont succédé avec les U18, U20, les seniors dames sans oublier cette humiliation des seniors garçons aux Jeux Méditerranéens-2022 d’Oran ainsi que cette 5e place au Championnat d’Afrique 2022. Pour ce qui est du Mondial, je n’ai pas vu l’homogénéité et la grinta qui caractérisaient le handball algérien.*

« Même si on ramène les meilleurs entraîneurs… »

La sélection va très mal depuis plusieurs années maintenant. Même des équipes de seconde catégorie comme le Gabon et la RD Congo nous posent des problèmes. D’après vous, quelle est ou quelles sont les principales raisons du recul de la discipline ?

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C’est vrai qu’on n’a plus de grands joueurs. On ne forme plus de grands joueurs en Algérie. Et même si on ramène les meilleurs entraîneurs, ils vont être confrontés aux mêmes difficultés et il n’aura pas l’embarras du choix.

Il n’y a plus de formation en Algérie. On ne donne pas d’importance aux différentes équipes nationales. Aussi, on installe des entraîneurs qui sont inconnus alors que les Egyptiens, qui sont le meilleur exemple, installent d’ex-internationaux et diplômés. Et c’est eux qui sont les mieux placés pour transmettre le savoir s’agissant de la discipline. Clairement, le handball algérien ne poursuit pas un processus de formation adéquat et aux normes.

« C’est grave que l’EN se prépare en jouant en amical face à des clubs »

Et les équipes nationales dignes de ce nom se préparent en Europe et jouent de vraies sélections. Je vous donne un exemple : nos U21 ont été invités à jouer un tournoi à Arzew où il y avait l’équipe locale d’Arzew, une équipe de Libye et celle des anciens joueurs de la Palestine. Est-ce que c’est normal ? C’est grave.

L’entraîneur Rabah Gherbi a repris la sélection dans une passe très compliquée avec une Fédération à la dérive et en proie à des scandales et des problèmes de gestion. Cela a -inévitablement- déteint sur les résultats sportifs. A quel pourcentage estimez-vous la responsabilité du coach dans cet échec ?

Il est responsable à 100%. Rabah Gherbi était un grand joueur. Mais il n’a pas l’expérience pour prendre l’équipe nationale A. Un sélectionneur doit être chevronné en plus d’avoir travaillé dans de grands clubs. Malheureusement, j’ai vu en lui un manque d’expérience. Ce n’est pas facile de gérer un groupe de handballeurs de haut niveau. La grande erreur qu’il a faite c’est qu’il a travaillé tout seul. Je pense qu’il aurait dû composer un staff d’anciens joueurs pour l’épauler dans sa mission et essayer de trouver des solutions.

« Le gardien de but c’est 80% de l’équipe »

La santé de l’EN va aussi de celle de notre championnat et de jeunes catégories, longtemps pourvoyeur de joueurs pour la sélection. D’ailleurs, vous étiez, en tant qu’ancien gardien de but, derrière l’éclosion de Khelifa Ghedbane. Le potentiel existe concrètement pour aider cette discipline à se relever…

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Je sais et je suis persuadé d’une chose : la pâte existe. Dernièrement, j’ai déniché des gardiens de but qui me dépassent de taille. Malheureusement, ils ne sont pas pris en charge. Les clubs n’ont pas atteint le niveau pour penser à avoir des entraîneurs de gardiens de buts compétent pour former les gardiens de but.

Je donne un exemple : les Égyptiens se sont classés 7es au dernier Mondial. Ils ont compris que leur point faible est le gardien de but. Ils ont créé une cellule de crise pour trouver des solutions. Regardez le Danemark, ils sont champions du monde grâce à leur gardien de but Landin. La France est parvenue jusqu’en finale grâce à son gardien de but Vincent Gérard. L’Espagne a pu compter sur Gonzalo de Vargas pour prendre la médaille de bronze. La Suède a atteint la demi-finale avec un excellent gardien de but. Les Algériens n’ont pas encore compris que le gardien de but c’est 80% d’une équipe de handball.

« Madame Taleb a mal commencé son mandat »

Karima Taleb

J’ai pris l’initiative de vouloir lancer une école de gardiens de but. Mais je n’ai trouvé l’aide de personne et j’ai décidé d’arrêter. Mais je tiens à remercier le Directeur général de l’OCO, M. Bakhti, qui avait mis à ma disposition la salle du CSF, la coupole et un bureau pour créer cette école. Jusqu’à présent, il n’y a que le Comité olympique algérien (COA) qui m’a demandé de faire une lettre pour voir comment ils peuvent m’aider en tant qu’ancien olympien. Même quand on veut aider les jeunes talents, on se retrouve marginalisé.

Pensez-vous que la présidente de la FAHB, Karima Taleb, et son bureau soient capables de relancer la discipline et avoir des résultats immédiats sachant l’urgence et l’approche de la CAN-2024 ?

Elle ne peut pas parce qu’elle a mal commencé son mandat. Installer des entraîneurs par rapport aux quotas de votes n’est pas la meilleure des idées. Ce n’est pas normal. Les sélections de jeunes, que ce soit celle des filles ou des garçons, doivent être prises en charge par des entraîneurs qui ont des compétences et un vécu international.

On ne peut pas placer des entraîneurs qui n’ont jamais fait une compétition internationale ou n’ont même pas pratiqué de handball. Tout cela va se retourner contre l’équipe nationale A.

« Rajeunir avec qui ? »

Il y a aussi le rajeunissement qui doit se faire au niveau des Verts. N’y a-t-il pas de craintes que cela impacte directement sur les résultats pour les court et moyen termes ? Notamment pour la prochaine CAN en Egypte.

Avec qui ? Où sont ces jeunes pour rajeunir. Le problème c’est que les sélections africaines progressent. Je pense au Cap-Vert, la Guinée et aussi le Maroc qui nous a battus au Mondial. Il y a beaucoup de nos internationaux qui vont arrêter car ils dépassent les 32 ans. Même Berkous va faire 34 ans. Heureusement qu’il joue en France et on peut encore tirer quelque chose de lui.

Le problème est qu’on ne peut pas installer des entraîneurs comme DTN. Il fallait installer un DTN compétent et qui a pratiqué le handball. J’insiste sur ça et qui a fait des études et connaît les gens et les handballeurs. Ainsi, il aura une marge d’erreur peu importe les gens autour. Par-dessus tout, il ne faudra pas s’ingérer dans ses affaires. S’il est manipulé, ça ne sert à rien.

« Ce n’est pas un étranger qui nous donnera des solutions ! »

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J’ai eu vent que le MJS a donné des instructions pour ramener un DTN et un entraîneur étrangers. Mais je ne pense pas que ce soit une solution. Il faut installer des gens qui connaissent la mentalité algérienne et le niveau du sport dans notre pays et peuvent trouver des solutions. Je persiste et signe que ce n’est pas un étranger qui nous donnera des solutions.

Vous connaissez parfaitement l’entourage du handball algérien. Vous avez peut-être une idée sur les noms qui pourraient être utile et remplir cette mission ?

Il y a des entraîneurs comme Harrouche Lakhdar qui mérite d’avoir une chance. Farouk Dehili est extraordinaire. Je pense aussi à Bouanani Djalil qui est une sommité du handball. Il est diplômé, vit en France et peut apporter des solutions. On peut aussi citer El Maouhab Karim.

Maintenant, il faut mettre en place des entraîneurs jeunes qui comprennent les mentalités. Si Dehili accepte de travailler avec Bouanani et Harouche, ils formeront un bon staff. Il faut avant tout un travail collégial où chacun apporte un plus. J’ai vu des sélections avec des staffs composés de 10 ou 12, jusqu’à 18 personnes.

« Un championnat à 27! C’est grave. Ça n’existe nulle part ailleurs ! »

Avez-vous parlé de ça aux responsables actuels ou suggéré ces noms ?

Non. Au début, j’ai soutenu cette présidente. Mais sa démarche ne me plaît pas. Je préfère rester en retrait et ne pas me mêler. Comme ça, on ne m’impute rien. Je pense que les choses n’ont pas été déléguées aux bonnes personnes.  Je ne peux pas cautionner le massacre du handball algérien que j’aime tant. J’ai beaucoup appris grâce au handball, j’ai connu beaucoup de personnes et je suis respecté grâce à ce sport.

C’est malheureux ce qui se passe. Surtout avec le championnat actuel à 27 clubs où les meilleurs joueurs dépassent les 36 ans. Qu’est-ce qu’on peut attendre de ce championnat ? Et j’insiste sur les présidents de clubs qui doivent faire face à la réalité. Ils n’apportent rien au handball algérien et ne pensent qu’à leurs intérêts. D’ailleurs, il faut supprimer l’appellation “excellence”. Ce n’est pas une division excellence. Elle est maudite cette excellence avec 27 clubs ! Ça n’existe nulle part ailleurs dans le monde sauf chez nous. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas normales. Et je ne suis pas d’accord avec ce qui se passe.

J’aurais aimé servir le handball algérien comme je l’ai fait avec Khelifa Ghedbane, Benmenni, Adel Bousmel, Ammoura, Boukhatem et tous les gardiens de buts qui jouent pour les clubs de la première division. Avant, je ne comprenais pas. Mais je suis arrivée à la conclusion qui veut que celui qui travaille, il est marginalisé.

« Je suis resté fidèle à mon pays et j’assume mes choix »

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D’après ce qu’on a compris, vous êtes disposé à aider le handball algérien…

Oui. Mais il n’y a pas avec quoi. Malheureusement, c’est le règne de la médiocrité. Et je dois insister sur un fait : moi, je n’ai jamais quitté le pays et j’ai toujours entraîné des Algériens. Je n’ai pas été dans les pays du Golfe et je n’ai pas levé le camp lors de la décennie noire pour aller m’installer et jouer en Europe pour après revenir travailler en Algérie quand je me retrouve au chômage.

Je suis resté fidèle à mon pays et j’assume mon choix. Il y a des gens qui ne me comprennent pas parce que je vise ce qui se fait de mieux. Et je crois comprendre que ça les dépasse. On n’est pas sur la même longueur d’ondes.

Êtes-vous victime de votre franc-parler ?

Normalement, on écoute les gens sincères qui disent les vérités. Pas les hypocrites qui sont là juste pour leurs intérêts. Je vous défie d’aller sonder tous les gardiens de buts qui sont passés par les équipes nationales, même ceux qui n’ont pas travaillé avec moi, souhaitaient le faire parce qu’ils savent que je suis une grosse gueule mais en termes de travail, c’est toujours sérieux et exigeant.

« Aujourd’hui en Algérie, n’importe qui entraîne les gardiens de but »

Le travail des gardiens de buts c’est ma passion. Dommage que le MJS ne m’ait pas aidé dans ma démarche. Dommage pour les gardiens mais pas pour les responsables. Je vous préviens, il n’y aura pas de gardien de but après Khelifa Ghedbane. D’ailleurs, je suis content que le gardien de Batna, Chahr-Eddine Hachemi, qui a été marginalisé en équipe nationale, puisse quitter le pays et aller jouer en Europe.

Au moins, il sera bien pris en charge, certainement par un ancien gardien de but alors qu’en Algérie, n’importe qui entraîne les gardiens de but. Je dis bien n’importe qui. Il n’y a que Hallal Samir qui a joué en équipe nationale et entraîne les gardiens au MC Alger. Et il coach trois gars qui se sont entraînés avec moi à savoir les frères Toubali et Adel Bousmal. Ce que j’ai fait par amour, les gens veulent le détruire par jalousie.

« On va potentiellement manquer deux autres JO »

D’un point de vue technique, à combien d’années estimez-vous le temps de rémission pour notre handball ?

Je vais relever un fait : depuis la qualification, à laquelle j’ai contribué, de l’équipe nationale aux Jeux Olympiques d’Atlanta 1996, à ce jour, l’Algérie n’a plus participé aux JO. Je vous dis ça parce qu’il y a un travail en amont qui doit se faire dans ce sens. Regardez le président de la Fédération tunisienne de handball, à qui je tire chapeau d’ailleurs. Il a obtenu l’organisation de la CAN-2028 qualificative aux JO-2028. Cela veut dire qu’on devra attendre jusqu’à 2032 pour essayer d’organiser une CAN qualificative aux Olympiades. On va potentiellement manquer deux autres JO.

Aussi, il y aura des Coupes d’Afrique et des coupes arabes en Tunisie. Ils ont aussi des U15 et U17 qui préparent les prochains Jeux Méditerranéens. Nous, à ce jour, on n’a pas d’équipe. Et je l’ai tellement crié sur tous les toits qu’ils ont fini par créer des sélections chapeautées par des entraîneurs inconnus au bataillon.

« La FAHB installe des entraîneurs par quotas »

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La présidente de la FAHB doit penser handball avant de penser à faire un deuxième mandat. On ne peut pas parachuter des techniciens juste parce qu’ils ont voté pour nous. Il s’agit d’installation d’entraîneurs par quota. Et c’est une grosse erreur. Le temps me donnera raison.

Le handball algérien mettra de longues années pour guérir. On accuse un grand retard. Il faut un bon DTN avec une vraie direction et des moyens conséquents à mettre à la disposition des acteurs du hand comme c’est le cas dans le football. Pourtant, ce n’est absolument pas les mêmes moyens financiers.

Ce que vous demandez est normal compte tenu des résultats historiques enregistrés par cette discipline…

Le handball est la discipline la plus titrée en Algérie. On est 7 fois champions d’Afrique, on a des coupes d’Afrique de clubs à foison, Championnats arabe, ce n’est le cas d’aucune autre discipline. Au ministère, il n’y a pas de gens qui ont un lien avec le handball. On ne connaît plus personne.

« Derouaz est responsable et Khaldi aurait dû empêcher Labane de se représenter »

Ne pensez-vous pas que la fois où Derouaz a été empêché de présider la FAHB était un tournant pour notre handball ?

Non, les choses allaient mal bien avant. D’ailleurs, on peut rappeler que c’était lui qui avait proposé l’instauration d’un championnat à 29 équipes. Il a sa part de responsabilité dans tout ça. En plus de ça, l’IHF ne l’avait pas évincé pour rien. Il n’avait pas le droit d’avoir un mandatement puisqu’il fallait qu’il exerce au moins deux ans dans un club. Il ne répondait pas à ce critère.

C’est Tahmi (ministre de jeunesse et des sports à l’époque) qui avait exercé des pressions sur le DJS pour lui signer un mandatement alors qu’il n’était même pas un membre de l’AG de la FAHB. Selon moi, le coup fatal était quand le ministre Khaldi avait laissé Labane briguer un second mandat. Là, on pouvait avoir un nouveau départ…

Est-ce que Daoud travaillera dans l’atmosphère actuelle qui règne dans le handball algérien ?

Jamais ! Je ne suis pas hypocrite. Je sais aussi que madame Taleb donne des postes en contrepartie. Avant le vote, certains ont négocié des postes pour donner des voix. Ces magouilles, je ne les cautionne pas et je le dénonce vigoureusement.

Entretien réalisé par Mohamed Touileb, pour La Gazette du Fennec

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