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Amar Rouaï, un pionner de la première vague s'en va

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amar rouai fln

L’ancienne gloire de l’équipe du FLN, Amar Rouai est décédé samedi à l’âge de 85 ans en France. Natif de la région de Sétif, cet attaquant de poche a porté 78 fois le maillot de l’équipe du FLN qu’il a rejoint dès la première vague et une fois le maillot de l’équipe nationale de l’Algérie indépendante en 1963 à Alger. Après une carrière de joueur à Besançon et au SCO d’Angers, Rouai s’est reconverti avec succès en tant qu’entraineur (champion d’Algérie avec le MC Oran en 1988 et finaliste de la Ligue des Champions africaine la saison suivante) ainsi que sélectionneur olympique de 1975 à 1980. Après avoir servi loyalement son pays, ce grand Monsieur a décidé de retourner en France pour y passer sa retraite non sans dénoncer, en 2014 à Liberté, l’ingratitude du système algérien. « Si c’était à refaire, je dirais non au FLN ! Les vrais héros, l’Algérie officielle les oublie au moment où d’autres profitent des richesses du pays avec leurs cartes de moudjahidine et autres mensonges ! Des gens se sont illégalement enrichis alors qu’ils n’avaient rien fait. Ils jouent avec des milliards au moment où les veuves des regrettés Zitouni et Ben Tifour sont oubliées, abandonnées et laissées à leur triste sort ». Pour lui rendre hommage La Gazette du Fennec vous propose ce récit inédit de son parcours grâce aux propos recueillis, chez lui à Annemasse en octobre 2007, par notre ami Stanislas Frenkiel, historien du sport et auteur d’une thèse sur le football algérien et l’émigration.

Amar Rouaï naît à Sétif en 1932 et rejoint la petite ville de El Eulma (Saint-Arnaud) – distante d’une trentaine de kilomètres – avec ses parents et sa petite sœur, alors qu’il est âgé de 6-7 ans. Orphelin d’un père sergent-chef dans l’armée française mort en 1939 – « ils l’avaient gazé lors de la guerre 14-18 » -, il est élevé avec ses cousins (eux aussi orphelins) par sa mère illettrée. Ils évoluent ainsi à six dans un deux pièces alors que le chômage ronge la population musulmane de Saint-Arnaud. Pour tenter de lutter contre cette misérable condition, toute la famille est mise à contribution. D’un côté, sa mère et sa sœur tissent des tapis qu’elles vendent. De l’autre, le petit Amar travaille « l’été ou pendant la semence, pendant le labour »… Ils bénéficient néanmoins tous des maigres mais indispensables ressources provenant d’un bain maure dont ils possèdent des parts. Au cœur du foyer où est parlée majoritairement la langue arabe (dialectal), l’éducation religieuse est « normale : les gens ne faisaient pas la prière mais le plus sacré, c’était le ramadan ». De plus, les différentes formes de modernité occidentale comme le « fait sportif » semblent dépasser Madame Rouaï, très réticente par exemple aux débuts footballistiques de son fils dans la rue. Amar Rouaï lui, fréquente les scouts musulmans avec qu’il dit avoir « appris pas mal de choses (le savoir-vivre, le respect, la politique) » et a quelques très bons amis (« des frères ») « Français d’Algérie ». Pourtant, autour de lui, il a la franche sensation d’avoir affaire à un « Etat dans l’Etat », un Etat où dominent avec arrogance les colons. « On était mis de coté, on n’avait aucun droit » ajoute-t-il…

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L’école qu’il fréquente (et où il perfectionne son français) est un parfait analyseur des discriminations qu’il subit avec les autres « indigènes » ou « franco-musulmans ». « C’était une école « indigène. » Non, il n’y avait que des Arabes, des Algériens… Et nos professeurs, c’était des Français qui étaient venus de France. Certainement qu’ils étaient mieux payés en Algérie. Mais on a eu des maîtres et des maîtresses gentils puis, on a eu des directeurs, comme Monsieur Pierron, qui étaient des racistes… Il avait la cravache. Et en 1943, ils ont fermé l’école parce que les Américains avaient fait leur hôpital militaire. Il leur fallait de la place ». Il s’identifie alors aux exploits de son idole la « perle noire » Larbi Ben Barek, exploits relayés en Algérie par la radio, la presse (qu’on se prêtait) et aussi par le cinéma où il est « fan » des films étrangers, notamment américains (« films cow-boys »). Bien avant donc d’être exempté du service militaire (« pendant la guerre d’Indochine, ils cherchaient à réduire les dépenses. Je suis resté 15 jours dans la caserne et ils nous ont libéré »), il découvre donc le football dans la rue, avec son « équipe de la rue sans dirigeants » constituée par des garçons musulmans et européens puis est capté en 1948 par les dirigeants du Mouloudia El Eulma. « Ils venaient nous voir dans les quartiers et tout ça. Et puis là, ils te disent : « allez viens, tu signes. » On signe et puis c’est tout. Et moi, j’ai commencé à jouer en première à l’âge de 16 ans et demi… Donc, je n’ai pas fait l’école de football, il n’y avait pas les minimes, il n’y avait pas les cadets, il n’y avait pas les juniors, il n’y avait que les seniors » ! Même s’il n’est pas rémunéré (à l’inverse des footballeurs de l’équipe européenne à qui l’on offrait « un travail et des primes »), il reste fidèlement attaché à ce club. Son éducation patriotique se renforce -« le seul moment où on pouvait leur donner la tannée aux colons, c’était sur un terrain de football »- et les propositions alléchantes du club européen n’y feront rien : il compte dans un premier temps mûrir en Algérie avant peut-être d’atteindre l’autre rive de la Méditerranée.

rouai amar sco angers 1957

« Il y avait pas mal de possibilités pour venir en France mais je n’étais pas chaud pour venir… Parce qu’il y avait pas mal de compatriotes qui étaient à Lyon. Parce que le Lyonnais, c’est la région de Sétif où je suis né… Donc, j’avais l’intention de venir en France. Il y avait des possibilités de venir à Lyon mais je n’ai jamais voulu venir à Lyon. Lyon, c’était une ville qui ne m’enchantait pas ». Et puis, le climat politique en Algérie se durcit… D’un côté, un de ses amis musulmans de son équipe d’El Eulma vient travailler sur un chantier à Notre-Dame de Briançon et commence à jouer dans le club amateur de Moutiers en Savoie et propose les services de son ami Amar Rouaï à ses nouveaux dirigeants en quête de jeunes footballeurs de bon niveau, peu prétentieux financièrement. Cet ami lui envoie donc une lettre d’invitation du club… De l’autre, comme il le raconte lui-même, « l’équipe de Saint-Arnaud (El Eulma) de colons voulaient me récupérer. A chaque fois, ils me provoquaient tant que je n’avais pas signé avec eux. J’ai passé pendant une semaine deux ou trois heures en prison. Ils voulaient me faire peur ». Tout s’accélère. Après l’obtention difficile de la part de sa mère de l’autorisation parentale lui permettant de quitter le territoire, il atteint Moutiers en 1953, non sans éprouver « joie et déchirement ».

Zitouni Rouai equipe FLN a Tunis

Un « autre monde » s’ouvre à lui. Il est à la fois peu dépaysé (la présence rassurante de ses amis algériens tout proche) et en même temps découvre un nouveau monde, un nouveau rapport au Français. Il semble ainsi avoir été très bien accueilli et loge « à l’hôtel puis dans une chambre chez le Président ». Se sentant « chouchouté » -grâce à ses performances indiscutables- dans tous ses clubs, il va au bout de quatre mois être transféré à Annemasse après un match opposant les deux formations. Il s’estime alors « payé royalement sans même avoir à travailler ». Il s’entraîne trois fois par semaine. Il est alors heureux de vivre et d’évoluer dans l’Est de la France (il est sélectionné dans l’Equipe de la région), heureux également de constater que sa « stratégie » va fonctionner à merveille. « Si j’arrivais dans un grand club connaissant personne, c’est un peu difficile… Donc, on m’a conseillé de ne pas brûler les étapes. Alors, je suis venu à Moutiers puis Annemasse… Effectivement, en 1955, grâce au footballeur Alpsteg et un essai concluant, il devient professionnel à 23 ans à Besançon en seconde division. Il y épouse sa femme, une Française, et apprécie son nouveau train de vie : une concurrence bien plus importante certes, mais aussi « un salaire plus élevé (10 fois ce que touchait un ouvrier) et des primes plus grandes) ». Au vu de ses performances remarquables (21 buts inscrits en deux saisons), il est transféré à Angers malgré son souhait d’aller à Sochaux. Il y restera quelques mois jusqu’au départ vers Tunis (Équipe du F.L.N.), la première vague du 13 avril 1958 dans laquelle il se trouve…

EQUIPE FLN les 10 fondateurs

« Le premier contact s’est fait en septembre 1957, c’était à Toulouse avec Boumezrag. Les premiers contactés, ça a été Brahimi, Bouchouk et moi. Parce qu’il y a eu un match officiel entre Toulouse où ils jouaient et Angers où j’évoluais… Puis, le départ… Mokthar Arribi me donne le signal quatre jours avant… ». La fuite vers Tunis (sa femme âgée de seulement 19 ans le rejoint), l’arrivée relativement anonyme et puis quatre années d’aventure. « On était payé par le F.L.N. On était très bien logé dans un quartier chic El Menzah, un quartier qui avait été construit pour les hauts fonctionnaires tunisiens et ils nous ont tous hébergé là bas. Donc, on était payé, on gagnait notre vie parce que la paye de 50 dinars là bas, c’est… Le haut fonctionnaire tunisien ne la touchait pas. Et puis, quand on partait en déplacement, on était bien reçu, nos épouses restaient à Tunis. Et là on allait faire des tournées à droite, à gauche un peu partout. D’abord pour amasser de l’argent et surtout, surtout pour la propagande… L’argent, on l’amassait pour le F.L.N. » Et lors d’une tournée au Vietnam en 1960, sa carrière footballistique manque de s’achever : « j’ai mangé un poisson venimeux. Je suis tombé malade six mois ». S’il reconnaît ouvertement que la concurrence entre les footballeurs algériens à Tunis en laissa certains (les derniers arrivés) sur le carreau et que les trois footballeurs (Djebaïli, Firoud et Mahi) qui ont refusé de partir à Tunis n’ont pas été condamné, il se dit fier d’avoir grâce à son engagement fait flotter bien haut « le drapeau algérien ».

Fln football Rouai Amar Vietnam 1960

A l’indépendance de l’Algérie, « il y a eu le cessez-le-feu, Ben Bella nous a reçu, on était libre. Celui qui veut rentrer en Algérie, il rentre. Celui qui veut rejouer en France, il y retourne ». Alors qu’il avait rompu tout contact avec son club, il contacte Angers et s’y rend grâce à de faux papiers tunisiens. Il passe alors par le Consulat de Genève où on lui donne « un truc pour rentrer en France ». Il négocie son contrat avec le club angevin et se sent « bien reçu ». Pourtant, lors de cette saison 1962-1963, atteint par les séquelles de son ancienne maladie, il peine à s’imposer (il joue seulement 15 matchs sur 35). Il décide donc de racheter son contrat avec une clause de non concurrence l’obligeant à aller jouer en Algérie. Il raconte : « moi, je me suis recyclé. J’ai dit : « je rentre en Algérie, c’est un pays neuf pour le sport. Donc, il y a une carrière à faire ». Parce que moi, je me projetais dans l’après. Il fallait que je rentre. Moi, je ne voulais pas faire ma carrière, rester toute ma vie en France. Et puis, je ne retourne pas dans un pays où il y avait encore la dictature avec les colons qui faisaient la loi. C’est pour cette raison… Moi, vivre en France ou en Algérie, c’était pareil. Mais en Algérie, j’avais une carrière possible à faire. Parce qu’être entraîneur en France, ça ne veut pas dire qu’on va vous prendre et vous garder. Tôt ou tard, il fallait trouver un métier. Et même comme j’étais à Angers, je faisais 2 fois par semaine, il y avait Defnoun aussi avec moi, on allait faire des cours avec des profs d’éducation physique en 62… Et après, je suis retourné. J’ai pris un club là bas ».

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Effectivement, dès la saison 1963-1964, International contre l’Egypte, il retourne une année au Mouloudia El Eulma puis prend en main l’U.S.M. Bellabès. Formé à l’entraînement dès 1964 par des Français (tel Lucien Leduc) en Algérie, en France (à Vichy) mais aussi en Italie et en Allemagne, il jouera à Bellabès jusqu’en 1967 et l’entraînera jusqu’en 1977. En 1985, il dirige le Rapid de Relizane en 1985 avant de gagner une Coupe d’Algérie avec le Mouloudia d’Oran en 1985. Il est également détaché dans l’armée algérienne de 1967 à 1987 où il s’occupe avec Rachid Mekhloufi et les frères Soukhane des équipes nationales civiles et militaires dans les catégories espoir et junior. Pourtant, contrairement à de nombreux anciens footballeurs de l’Equipe du F.L.N., il ne passe pas sa retraite en Algérie et rentre en 1995 en France. Il se souvient que sa « femme française a été rapatriée dès 1994 à cause des évènements ». Après que sa demande de nationalité française ait été refusée (!), il obtient un titre de séjour renouvelable tous les dix ans et s’installe dans le Jura tout près de son fils qui travaille à l’O.N.U. en observant de loin et amèrement l’évolution (l’impasse) du football algérien. Et ce, en n’oubliant jamais de rappeler la responsabilité des footballeurs de l’Equipe F.L.N. dans les progrès du football algérien après l’Indépendance…

https://www.youtube.com/watch?v=DYvuDM3mHvg&t=1169s

Un récit de Stanislas Frenkiel, historien du sport à l’Université d’Artois qui prépare un ouvrage sur le football algérien à paraitre prochainement

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