En 2009, il avait réussi à emmener l’équipe nationale U17 jusqu’en finale de la CAN-2009 abritée par l’Algérie. Suffisant pour assurer aux cadets algériens une place dans la Coupe du Monde 2009 jouée au Nigéria. Otmane Ibrir a signé une performance jamais égalée jusqu’à aujourd’hui. Dans cette interview, l’entraîneur algéro-canadien de 59 ans revient sur cette aventure mémorable avec ses protégés. Et, en tant que spécialiste, il nous dresse une analyse limpide de la balle ronde chez nos sélections jeunes.
LGDF : Nos U17 n’ont malheureusement pas pu se qualifier pour la prochaine Coupe du Monde de la catégorie. Par conséquent, vous restez, avec votre équipe de 2009, les seuls à avoir réussi cet exploit. Pouvez-vous nous parler de cette expérience ?
C’était 3 ans de travail, 7 stages et 7 matchs internationaux avant la mise en place de la 1ère Académie FAF. Après la création de celle-ci, 434 séances d’entraînement, 58 matchs amicaux contre des équipes algériennes et 39 matchs internationaux. Au-delà de ces chiffres, qui démontrent l’étendue du travail accompli, on avait surtout longuement réfléchi sur le projet avant d’aboutir sur une VISION CLAIRE sur le genre d’équipe qu’on voulait avoir.
Même si les conditions de travail étaient limites la plupart du temps (on avait rarement un terrain complet pour s’entraîner. Le terrain annexe du 5 juillet en synthétique, qui ne représente même pas une moitié de terrain, était notre lieu d’entraînement), on a toujours fait de notre mieux. Avec les moyens mis à notre disposition. Quelle belle expérience c’était avec un staff complémentaire et dévoué, ainsi que des jeunes en or respectueux du staff et du projet qu’on leur a proposé ! Ce fut très enrichissant sur les plans sportif et humain.
« L’échec c’est l’absence d’un système de prise en charge de jeunes de 17 ans avec du talent »
D’ailleurs, j’ai lu l’interview de Houssem-Eddine Ferkous, mon ancien joueur, qui a déclaré qu’« on a besoin d’être accompagnés pour progresser et surpasser ces échecs…on se sent abandonnés ». Vice-champion d’Afrique et la seule sélection nationale chez les jeunes (chez les cadets puisque nos juniors ont joué la CDM 1979 au Japon, NDLR) à avoir participé à une Coupe du Monde en plus de 60 ans. Comment peut-on appeler cela un échec ? L’échec, c’est l’absence d’un système qui n’a pas pris en charge des jeunes de 17 ans avec du talent afin de les accompagner dans leur développement.
Quelle est la recette qui vous a permis d’aller chercher la qualification après avoir terminé vice-champions d’Afrique derrière la Gambie ?
Les deux questions qui doivent être à la base de notre MODÈLE DE JEU sont les suivantes : « Qui sommes-nous ? » et « dans quel contexte doit-on nous qualifier ? ». La première question nous renvoie au PROFIL du jeune joueur algérien (ses qualités/ses manques). L’Algérie a eu du succès grâce à son jeu offensif rapide, technique, en mouvement et une organisation défensive intelligente et rigoureuse. Ce sont nos cartes gagnantes !
« Le surplus d’intérêt des autorités et du public peut jouer en défaveur des jeunes »
Quant à la deuxième, elle nous rappelle l’importance de prendre en considération le contexte de nos confrontations continentales : adversaires plus forts physiquement, température et « ambiance africaine » (si on joue à l’extérieur). Éviter les duels était notre principal axe de travail avec les U17 de 2009. Un jeu offensif basé sur un jeu rapide à base de passes et grande disponibilité autour du porteur du ballon afin que celui-ci évite le un contre un.
Défensivement, on avait opté pour une organisation en zone. Nous étions toujours en supériorité numérique autour du ballon. Le plan de match était à l’essai pendant toute l’année 2007-2008. On évoluait dans le championnat des U19 (contre des joueurs trois ans plus vieux). Devant notre déficit physique, il fallait trouver des solutions pour gagner. Les solutions étaient d’ordres mental, tactique, technique et physique.
« Une vraie DTN, ça n’a jamais existé en Algérie »
Est-ce qu’avec plus de moyens, d’intérêt des autorités et d’engouement du public, comme ce fut le cas pour l’édition 2023, vous et vos joueurs auriez pu réaliser une meilleure performance ?
En 2009, on a réalisé une très bonne CAN avec les moyens mis à notre disposition ! Certes, on a perdu en finale contre une équipe beaucoup plus forte que nous physiquement. Mais force est de reconnaître qu’on n’avait pas fait le match qu’il fallait. Notamment sur le plan mental. À la Coupe du Monde, notre prestation est honorable malgré les trois défaites ! Il nous a manqué un finisseur qui pouvait convertir notre qualité de jeu en buts et donner par la même occasion une certaine confiance au groupe. Cet élément est tellement primordial au haut niveau. (NDLR: Pour rappel le buteur prolifiques Nadir Bendahmane qui avait brillé lors de la CAN avec ses 4 buts était absent au Mondial au Nigeria).
En rapport avec votre question, Il est important de mentionner que si les jeunes ne sont pas habitués à un surplus d’intérêt de la part des autorités et du public, ceci peut jouer en leur défaveur (stress, perte de concentration). Pour terminer sur ce point, le haut niveau exige certes des moyens. Cependant, le succès n’est pas juste une question de moyens ! La qualité du projet, la qualité des gens impliqués dans le projet, la qualité des joueurs, l’état d’esprit du groupe, la chance, sont aussi des critères qui peuvent peser sur le résultat final.
« La DTN doit avoir un plan d’action pluriannuel avec des échéances précises »
D’après vous, quelles sont les raisons techniques de ces désillusions répétitives chez nos jeunes ?
Il faut d’abord et avant tout mettre en place une vraie Direction Technique Nationale, chose qui n’a jamais existé en Algérie ! Cette DTN doit être composée par des gens compétents. Ils doivent, en premier lieu, faire un DIAGNOSTIC de la situation. S’en suivra une VISION À LONG TERME du développement de notre sport de la base au plus haut niveau. Plus concrètement, cette DTN doit avoir un PLAN D’ACTION pluriannuel avec des échéances précises et des moyens matériels et financiers à la hauteur des ambitions du plan.
Avant de parler de FORMATION DES JEUNES, il faut d’abord STRUCTURER le football algérien afin que tout le monde, à tous les niveaux du pays, travaille dans le même sens. Il faut aussi assurer une FORMATION DE QUALITÉ des éducateurs qui auront la charge de cette formation des jeunes. C’est seulement en remplissant ces deux premières étapes qu’on pourra réellement aborder la formation des jeunes. Il faudra alors se mettre au travail en sachant que le processus est long et demande un souci réel de l’excellence : souci du détail, souci de progresser, souci de rester à jour.
« L’évaluation d’un travail auprès des jeunes catégories doit aller au-delà des résultats »
En Algérie, on manque de vision et le court terme est ROI ! Plusieurs de nos décideurs sont pour la plupart des flambeurs qui aiment les raccourcis et le gain rapide. Ils sont prêts à investir gros … dans le court terme ! Bâtir sur le long terme ne les intéresse pas. Leur devise, l’adage algérien : « Laisse-moi vivre aujourd’hui, tue-moi demain ». Les exigences pressantes de la « rue » et la complicité de certains médias en recherche quasi-permanente de sensationnel n’aident pas la cause.
En 1998, Aimé Jacquet, qui venait de gagner la Coupe du Monde, a dit : « Ce titre, je le dois à tous les éducateurs. C’est le fruit de 30 ans de travail ! ». On est loin de cette réalité ! Nous on préfère « recruter » et continuer de dépendre du travail des autres.
Quelles sont les spécificités d’un travail avec des jeunes footballeurs ?
Il faut tout d’abord définir une IDENTITÉ DE JEU. On doit tout simplement préciser le plus clairement possible le genre de footballeur qu’on veut former. Dans ce contexte, les enseignements tirés du haut niveau restent une référence incontournable. En harmonie avec cette identité, le rôle de l’éducateur, par l’intermédiaire de pédagogies différentes et variées, est de justement préparer le jeune footballeur aux exigences du football de haut niveau en adéquation avec l’identité mise de l’avant au début du processus.
« Après la Coupe du Monde 2009, les clubs n’avaient pas pris le relais comme il se doit »
Patience, compétence, exigence, réflexion, complicité, affection sont les maîtres mots dans l’encadrement des jeunes. Plus important, l’évaluation d’un travail auprès des jeunes catégories doit aller au-delà des résultats (qui reste un critère !). Pour revenir à nos jeunes U17, il ne faut pas forcément crier à l’échec vu qu’on ne s’est pas qualifié, mais plutôt répondre aux véritables questions : Est-ce que l’équipe a démontré une qualité de jeu ? Le plan de match mis en place a-t-il permis de valoriser les qualités de nos joueurs ? A-t-on enregistré une progression chez nos jeunes depuis leur arrivée sur la sélection ? Est-ce qu’on a des jeunes qui ont démontré un potentiel qui leur permettra d’évoluer un jour au haut niveau ? C’est de cela qu’il s’agit.
En toute sincérité, avez-vous l’impression que ce que vous aviez bâti a été détruit avec la venue du nouveau Bureau Fédéral à l’époque ?
NON ! La CM U17 était la ligne d’arrivée du projet ! Ce sont les clubs qui n’avaient pas pris le relais comme il se doit ! En revanche, la grande bêtise du bureau fédéral de l’époque était de congédier le premier entraîneur qui a su qualifier avec la manière une sélection nationale de jeunes à une Coupe du monde.
« Tout le monde était complice de mon départ »
Le pire dans tout ça, personne, vraiment personne, n’a contesté. Pas un éducateur, pas un club, pas un journaliste. Tout le monde était complice, et hypocritement, après chaque déboire de nos jeunes sélections, et sous le coup des émotions, on ressort le dossier FORMATION avant de le refermer après quelques débats TV qui ne changeront rien à la donne ! Pathétique !!!
L’EN U17 n’a postulé pour le tournoi africain que deux fois en quinze éditions depuis son lancement en 1995 par la CAF. Il a fallu que l’Algérie soit hôte de la CAN, qui est le tournoi qualificatif, pour avoir l’opportunité d’aller chercher le billet en Coupe du Monde. Qu’est-ce que cela signifie selon vous ?
Il y a certes un avantage à organiser la CAN chez soi. Mais il faut arrêter de surestimer ce dernier. On peut faire constater que l’Égypte a organisé la CAN U20 cette année. Ils n’ont pas dépassé le 1er tour ! Notre équipe nationale U20 a organisé la CAN en 2013 sans parvenir à se qualifier à la Coupe du Monde échouant âge lent au premier tour. Aussi, notre équipe nationale A a été éliminée, en Algérie, de la Coupe du Monde 2022. Donc…
Que devient Monsieur Ibrir aujourd’hui ?
Début novembre 2010, je suis retourné au Québec (Canada). J’ai repris le même poste que j’avais laissé en juillet 2006 (date de mon retour en Algérie pour travailler avec la FAF), à savoir Directeur Technique Régional dans une région d’une quinzaine de clubs, environ 11 000 jeunes et 1 200 entraîneurs. Je suis toujours en poste. Il y a environ 2 ans, j’avais aussi assuré l’intérim (8 mois) comme Entraîneur de l’équipe réserve du club professionnel du CF Montréal (MLS, ex Impact Montréal).
« Si la FAF me propose un contrat long terme, j’étudierais la proposition avec beaucoup d’intérêt »
En tant que technicien qui a déjà fait ses preuves concrètement, êtes-vous disposé à aider la balle ronde algérienne à se relever et se mettre au diapason avec les exigences du football d’aujourd’hui. D’autant plus que la discipline connaît une constante évolution avec des catégories jeunes de plus en plus médiatisées et déterminantes dans la santé d’une sélection et pour son avenir ?
Si la FAF me propose un mandat à long terme au niveau de la DTN, j’étudierais la proposition avec beaucoup d’intérêt.
Votre regretté père Abderrahmane Ibrir était gardien de but de l’Olympique de Marseille et de la glorieuse équipe du FLN. Est-ce-que cela vous incite à vous investir plus pour tenter de redorer l’image de l’Algérie à l’international ?
Mon père Allah yarahmou était un grand homme. Son héritage : des valeurs comme l’honnêteté, le travail bien fait, l’amour de l’Algérie et -bien sûr- le football. Aujourd’hui j’essaye de faire de mon mieux pour être à la hauteur de cet héritage.
Il y avait mon père (Abderrahmane), mon oncle Smaïn (alias Omar) et mes deux cousins Abderrahmane et Mohamed Soukane (leur mère était la sœur de mon père). C’est pour vous dire que j’ai baigné dans un environnement très foot. Après, je ne suis pas un magicien qui fait des miracles. Mais je suis un éducateur passionné qui croit aux valeurs du travail de qualité.
Je partage ça! Cet homme est exceptionnel, c’est lui qui a donné à ma fille toute son assurance sur le terrain! C’est grâce à lui si elle est dans le AAA. Elle a aimé le fait qu’il soit si exigeant et sévère.C’est bien pour dire. Bravo 👏 Professeur Ibrir https://t.co/J0UxfY8Mp8
— Stephane E. Roy (@StephaneERoy) May 12, 2021