Le président de la FIFA Gianni Infantino a accordé une interview exclusive au quotidien suisse «Matin Dimanche». Ce dernier n’est pas inquiet pour la Coupe du monde 2022 au Qatar, même s’il suit la situation politique avec attention.
Gianni Infantino, avec toute l’actualité entourant le football, êtes-vous un président heureux ?
Oui, bien sûr. Mais je suis aussi un président concentré sur son travail, dont l’objectif est toujours d’œuvrer pour l’intérêt supérieur du football, avec sérénité et sang-froid.
Les soucis ne vous perturbent donc pas trop?
Vous me parlez de soucis, moi je vous réponds défi.
Défis ?
Il y en a de nombreux, comme la Coupe des Confédérations qui débute la semaine prochaine, la réalisation des réformes de la FIFA ou la Coupe du monde 2018. Cela fait partie de mes tâches et de mes responsabilités à la tête de l’organisation mondiale du football. Je savais qu’en devenant président de la FIFA, ma vie ne serait pas un long fleuve tranquille.
Comme cette semaine avec la crise du Qatar ? Êtes-vous inquiet ?
Le rôle essentiel de la FIFA, comme je le conçois, est de s’occuper du football et non pas de s’immiscer dans la géopolitique. Néanmoins, il est vrai que la FIFA doit rester attentive à ce qu’il se passe. Nous observons donc avec attention l’évolution de la situation. Nous sommes aussi en contact régulier avec les plus hautes autorités du Qatar et le comité d’organisation.
Est-ce que la Coupe du monde 2022 dans l’Émirat est en danger?
Non. De toute façon, je n’ai pas l’habitude d’entrer dans les spéculations et je ne le ferai pas cette fois non plus.
Il n’empêche. Gouverner, c’est prévoir. Alors avez-vous quand même pensé à un plan B ?
Nous sommes effectivement confrontés à une crise diplomatique. Mais d’un autre côté, je suis confiant dans le fait que la région va revenir à une situation normalisée. La Coupe du monde, c’est en 2022. Dans cinq ans. Évidemment, si le football peut apporter une petite contribution, de quelque manière que ce soit, à une amélioration, je n’hésiterai pas à proposer mon aide.
Peut-on parler d’un autre sujet qui fâche, comme le comité d’éthique?
Allez-y! Je ne suis pas un homme à me dérober.
Élue lors du dernier Congrès à Bahreïn, est-ce que la nouvelle équipe, emmenée par Maria Claudia Rojas, présidente de la Chambre d’investigation, et Vassilios Skouris, président de la Chambre de jugement, est déjà au travail?
Oui. Mais cela dit, je rappelle que le Comité d’éthique de la FIFA est un organe indépendant et je n’ai pas à interférer dans leur travail et encore moins à le surveiller. La seule chose que je sais, c’est que ces deux personnalités sont de très grande qualité. Elles ont su le démontrer dans leurs carrières respectives. Monsieur Skouris était quand même le président de la Cour de justice européenne. Aujourd’hui, il est à la tête de la Commission d’éthique de la FIFA. Je crois que cela dit tout.
Néanmoins, la non-réélection de Cornel Borbély et Hans-Joachim Eckert a créé la polémique en particulier en Suisse, en Allemagne et en Angleterre. La comprenez-vous?
Oui, je peux la comprendre. Car tout le monde a envie de travailler pour la FIFA. C’est une institution tellement prestigieuse… (rires)
Plus sérieusement, au terme du Congrès, vous aviez présenté ce changement comme un processus normal dans la vie de l’organisation. Pourtant si une équipe en place donne satisfaction, personne n’aurait eu l’idée de changer. Y a-t-il eu des pressions?
Pas du tout. La FIFA est une organisation mondiale et je la conçois comme telle. Elle se doit de prendre en considération une représentation géographiquement équitable de la composition de ses commissions et de ses groupes de travail. En outre, les personnes aux compétences requises pour occuper ces postes au Comité d’éthique ne sont pas uniquement concentrées en Allemagne ou en Suisse alémanique.
Remettons les choses en perspectives. Précédemment, le président de la FIFA était suisse; le président de la Commission d’audit et de conformité était suisse; le président de la Commission de discipline était suisse; le président de la Chambre d’investigation de la Commission d’éthique était suisse; le président de la Chambre de jugement de la Commission d’éthique était allemand. Est-ce que c’est représentatif pour le monde?
La FIFA est une organisation mondiale et le caractère universaliste est son ADN. C’est comme pour l’organisation d’une Coupe du monde. On ne peut pas toujours jouer au même endroit. Je pense que le Congrès, plus que jamais, a tenu compte de ce principe dans ces nominations à une majorité écrasante.
Il y a donc eu un travail en amont. Une préparation a été nécessaire pour pouvoir présenter des candidats nouveaux, ne serait-ce que pour obtenir leur consentement. Par qui les contacts ont été pris et qui a procédé à cette sélection? Vous?
Contrairement à ce qui a été écrit, ce n’est pas moi, le président de la FIFA, qui nomme tout seul, dans son coin, les nouveaux membres. Ces personnes ont été proposées, selon la procédure, par les confédérations. En passant, je dirais même qu’on a ici un modèle de fonctionnement démocratique. On demande à tout le monde de proposer des candidats. Les profils sont ensuite examinés par le Conseil qui fait des propositions au Congrès. Différents critères sont pris en compte: les qualifications professionnelles, les connaissances linguistiques et, enfin, une répartition géographique équilibrée. Ce dernier critère était ardemment souhaité par le Conseil. Objectivement, il n’avait pas été suffisamment respecté dans le passé.
Cornel Borbély et Hans-Joachim Eckert n’ont pas caché qu’ils vous en voulaient. Dans ces colonnes mêmes, M. Borbély a appelé une intervention politique, suisse ou internationale. Qu’en pensez-vous?
Et puis quoi encore? Demander mon exécution en place publique? Sérieusement, il faut remettre les choses à leur place. Après quatre ans, leurs mandats arrivaient à leur terme. Ces messieurs savaient, quand ils sont arrivés à la FIFA, qu’ils n’y siégeraient pas à vie. Les seuls propriétaires de la FIFA sont les fédérations. Ce n’est ni le président, ni le Conseil, ni des membres des commissions. Ce sont les fédérations qui décident.
À votre connaissance, comment se déroule la transition entre les deux équipes? Selon Cornel Borbély, des «centaines de dossiers» sont ouverts…
Je ne sais pas. Je le répète: je ne fais pas d’ingérence dans le travail de la commission d’éthique.
Comment réagissez-vous quand Cornel Borbély, comme d’autres, affirment que leurs évictions constituent «la fin du processus de réformes de la FIFA»?
Franchement, je ne peux pas imaginer qu’il ait pu dire cela. Comment peut-on se croire seul dépositaire des réformes de la FIFA? Un homme de sa qualité ne peut se laisser aller à autant d’immodestie. Et en plus, ce serait faire un bien mauvais procès à ses successeurs, à qui il ne daignerait pas la possibilité d’être aussi bon que lui.
Le fait que le Comité d’éthique a ouvert plusieurs pré-enquêtes contre vous a-t-il influencé votre position dans cette affaire?
Ces pré-enquêtes sont bien la meilleure preuve de l’indépendance de ce comité! À la fin, c’est la position du Conseil, puis du Congrès, qui a prévalu. Et non pas la mienne.
Avec les changements à la Commission d’éthique, pensez-vous que le fameux rapport Garcia, sur l’attribution des Coupes du monde 2018 à la Russie et 2022 au Qatar, a plus de chances d’être publié?
Personnellement, j’ai déjà demandé à maintes reprises, y compris avec l’appui du Conseil, la publication de ce rapport. J’espère vraiment qu’une fois les réserves juridiques résolues, celle-ci aura lieu. Tout en sachant, évidemment, que c’est une décision qui appartient à la Commission d’éthique.
Quelques jours avant le Congrès de Manama, le nom du cheikh Ahmad Al-Sabah, membre influent du Conseil de la FIFA et du CIO, est apparu en marge d’une nouvelle enquête du FBI sur des faits de corruption à la FIFA. Même s’il n’est pas nommé dans l’acte d’accusation, sa démission du Conseil a été très rapide. Savez-vous pourquoi? Lui avez-vous parlé?
Non. Il s’agit d’une décision personnelle, qui n’a pas dû être facile à prendre pour lui. Mais c’est aussi un acte qui l’honore. Parce qu’en agissant ainsi, il a évité toute polémique de nature à nuire à la FIFA.
Jusqu’à présent, les investigations du FBI se limitaient au continent américain. Avec cette nouvelle affaire, elles débordent sur l’Asie. Craignez-vous qu’elles ne s’étendent encore?
On a vu par le passé que tout était possible. Mais quoiqu’il arrive, nous sommes prêts à collaborer avec les différentes autorités. Je l’ai d’ailleurs dit au dernier Congrès. Je continuerai à être ferme dans la lutte contre la corruption: les gens de ce type n’ont plus leur place à la FIFA. Et je remercie vraiment les autorités suisses, américaines et du reste du monde pour le travail assidu dans ce sens.
Après quinze mois de présidence, le public et les médias vous comparent de plus en plus à Sepp Blatter, votre prédécesseur. Est-ce que cela vous agace?
Oui, car je suis originaire de Brigue et lui de Viège. (Rires.)
Formulons la question autrement: comment réagissez-vous quand on vous dit: «De toute façon, rien n’a changé!»?
Ça, cela m’agace, oui. Mais je pense que c’est une question de perception et de temps. Beaucoup de changements ont été opérés à l’intérieur de la FIFA et ne sont peut-être pas encore visibles par le grand public. À nous d’effectuer un travail de pédagogie pour montrer ce qui a été accompli. Avec le temps et le travail, je suis convaincu que la confiance sera renforcée. Les réformes portent déjà leur fruit et, je vous le dis, l’avenir s’annonce radieux.
Diriez-vous qu’il n’est pas facile de se faire accepter à Zurich quand on vient de Suisse romande, et, de surcroît, de l’UEFA. Vous confirmez?
C’est un peu cliché. J’ai reçu ici un accueil formidable. Et je trouve la région, que je ne connaissais pas bien, magnifique avec des gens chaleureux. En interne, évidemment, les personnes ont dû se conformer à un changement culturel. Il y a une nouvelle forme de management. Et là, il faut toujours un temps d’adaptation, d’un côté comme de l’autre. On apprend.
En 2016, la FIFA avait révélé un système de bonus de plusieurs dizaines de millions de francs, bénéficiant à un petit cercle de dirigeants, comme Messieurs Blatter et Valcke. Au-delà de l’effet d’annonce, des mesures, notamment juridiques, ont-elles été prises?
Oui, bien sûr. Avec les structures du contrôle interne et la séparation des pouvoirs, un tel système n’est plus possible. C’est la première chose. Ensuite, des procédures judiciaires sont en cours.
C’est-à-dire?
Je ne peux pas vous en dire plus.
Et qu’en est-il de l’attribution de la Coupe du monde 2026? Vous semblez favorable à la candidature tri nation (Mexique-USA-Canada)…
Bon… Déjà pour la première fois de l’histoire de la Coupe du monde, c’est le Congrès qui se prononcera sur l’attribution de l’organisation et non pas le Comité exécutif, comme c’était le cas dans le passé. Maintenant voir les États-Unis et le Mexique réunis autour de cette candidature conjointe avec le Canada, c’est déjà un magnifique symbole que seul le football peut offrir. Après, je ne sais pas si ce sera le ticket gagnant. Mais le message est déjà fort.
Et pour 2030? La multiplication des sponsors chinois laisse penser que leur pays sera incontournable. La FIFA se vend-elle à la Chine dans cette optique?
Cette affirmation me fait sourire. Un temps, mes détracteurs me reprochaient de ne pas trouver de nouveaux sponsors pour la FIFA, arguant que la FIFA était devenue une marque toxique. Et maintenant, on nous fait un procès d’intention lorsque l’on en trouve. Au bout du compte, quoiqu’on fasse, on se fait toujours critiquer. (Rires.)
Et le football? Comment sera-t-il dans dix ans?
Je suis convaincu que le football aura renforcé encore beaucoup plus sa place de sport universel numéro un. La technologie aussi tiendra une place de plus en plus importante, dans la préparation des joueurs, mais aussi dans l’arbitrage. Pour donner plus de justice sur le terrain. Et, le monde sera aussi surpris, par l’avancée du football féminin. J’en suis persuadé.
Entretien publié sur Matin Dimanche