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Rabah Gamouh : « J’ai fini meilleur passeur de D1 devant Michel Platini »

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Dans le cadre de la saga consacrée aux footballeurs d’Algérie qui ont joué au plus haut niveau en France, La Gazette du Fennec s’est rapprochée de l’ex-international Rabah Gamouh (33 sélections, 7 buts). Le sexagénaire a évolué au sein du Nîmes Olympique pendant cinq saisons avant de rejoindre, par la suite, Grenoble puis Guingamp.

Lire le portrait : 

Top 10 : Rabah Gamouh, l’exil clandestin à Nîmes

 

Le témoignage de Rabah Gamouh :

LGDF : Salam Waaleykoum Monsieur Gamouh, merci d’avoir répondu à notre sollicitation. Comment allez-vous et que devenez-vous?

Rabah Gamouh : Waaleykoum salam, avec plaisir. Ça va très bien, je suis désormais à la retraite et actuellement à Nîmes, en confinement (NDLR : Entretien réalisé le 22 avril 2020).

Dans le cadre d’une saga consacrée aux joueurs locaux algériens ayant évolué en Division 1/Ligue 1 française, nous venons vous solliciter car vous avez fait partie de ces Algériens qui ont pu atteindre l’hexagone à un moment où ce n’était pas aussi simple. Tout d’abord, pouvez-vous nous décrire votre début de carrière en Algérie?

J’ai commencé au Red Star Annaba puis très vite j’ai reçu des sollicitations de plus grands clubs. Le CSC, le NAHD et le MOC voulaient me recruter. J’ai finalement choisi d’aller au Mouloudia de Constantine.

Rabah Gamouh MOC

Au sein du MOC vous avez marqué votre époque avec notamment Abdelhafid Fendi. Sur un plan personnel, vous avez été meilleur buteur à de nombreuses reprises, c’est bien ça? 

(Sur un ton nostalgique) Ah oui! Une grande équipe. Fendi était un grand joueur, il jouait numéro 10 à mes côtés. J’arrive au Mouloudia en 1970 et je finis meilleur buteur de la D2 (NDLR : 25 buts) puis de la D1 (NDLR : 24 buts).

« Le patron de l’homme qui m’hébergeait, travaillait dans les fruits et légumes et côtoyait le président du Nîmes Olympique, il lui a parlé de moi et le club m’a contacté! »

Quel style de joueur étiez-vous ?

Je jouais ailier gauche. Mon jeu était beaucoup basé sur la vitesse et l’imprévisibilité.

Comment qualifieriez-vous le niveau du football algérien de l’époque ?

Un niveau très élevé ! Surtout dans les années 70. Je n’ai jamais vu autant de joueurs aussi talentueux. Il y avait des artistes à la pelle et nous étions en difficulté à chaque match.

Après votre passage au MOC, vous ralliez la France et le Nîmes Olympique, à 24 ans. Comment avez-pu quitter le territoire national à une époque où il était très difficile de quitter le championnat algérien?

Je suis parti en vacances en France avec Saïd Zoghmar et Abdelmadjid Krokro Allah y rahmo. Nous nous sommes rendus dans un petit village près d’Avignon, chez le frère de notre entraineur Rabir Zekri Allah y rahmo. Au bout d’une semaine, Zoghmar et Krokro sont rentrés en Algérie car ils n’avaient plus d’argent et moi je suis resté un peu plus longtemps. Le frère de Zekri travaillait comme chauffeur dans une entreprise de fruits et légumes, et m’a proposé de faire un essai en France, plus précisément à Nîmes, j’ai dis « ok, pourquoi pas ». Il en a parlé à son patron et à cette époque là, le président de Nîmes (Ndlr : Paul Calabro) travaillait aussi dans les fruits et légumes, il achetait en gros et les revendait en ville. Du coup, le patron du frère de Zekri m’a proposé au président nîmois et le club m’a contacté. Je suis arrivé là-bas avec mes chaussures et un sac plastique (Rires). J’étais assez décontracté ce jour-là, ils m’ont fait faire un test avec l’équipe junior, en levée de rideau des professionnels. J’ai fait un bon match, marquer un beau but et les dirigeants ont décidé de me garder.

 « Après un an sans jouer, j’ai été performant à Nîmes en étant meilleur passeur de D1 devant Michel Platini. Les Girondins de Bordeaux voulaient me recruter mais le président nîmois n’a pas voulu me céder »

Et, du coup, comment avez-vous pu avoir l’autorisation de jouer en France ?

La FAF n’a pas voulu me donner l’autorisation de jouer en France. J’ai dû patienter un an avant de jouer des matchs officiels avec Nîmes. Je m’entraînais et je ne jouais que les matchs amicaux. Après la saison 1976-1977, la FIFA m’a autorisé à jouer. Je ne dépendais plus de la Fédération Algérienne de football.

Au sein du Nîmes Olympique vous effectuez quatre saisons et 111 matchs en D1, pouvez-vous nous parler de votre époque nîmoise?

Oui plus de 100 matchs, et pourtant je suis un peu arrivé en retard puisque j’avais 24 ans, imaginez si j’étais arrivé à 17 ans (rires) ! Mais bon, je suis content de ce que j’ai fait durant ma carrière. J’étais ailier gauche et avec Nîmes je suis passé numéro 10. J’ai réussi à finir meilleur passeur sur une saison de D1 devant d’autres comme Michel Platini ou Alain Giresse.

Rabah Gamouh Nîmes

Quelle est la principale différence entre le championnat algérien et l’élite française?

En France, c’est carré. Il n’y a ni favoritisme ni rien. C’est le travail qui paie. Physiquement c’est beaucoup plus dur. En Algérie, il y avait beaucoup de « piston », alors qu’en France, à mon époque, les meilleurs jouaient, tout simplement.

Que retenez-vous de vos années nîmoises ?

Que du bien! Je me suis régalé! J’ai passé six ans au sein du Nîmes Olympique et ce fut top. Grâce à mes performances, j’ai failli signer aux Girondins de Bordeaux, mais le président nîmois n’a pas voulu me lâcher car j’avais signé un contrat de 5 ans avec Nîmes. Moi, je n’en savais rien sur le moment, ce sont les deux présidents qui ont discuté entre eux et je n’avais pas le pouvoir de décision.

Surtout qu’à l’époque, Bordeaux était l’un des meilleurs clubs de l’hexagone..

Oui déjà sportivement et financièrement c’était intéressant d’aller à Bordeaux. Mais bon, je ne regrette rien.

« Ça m’a fait mal au coeur de ne pas participer à la Coupe du monde. Mais bon, j’ai la conscience tranquille car j’ai fait mon job. Celui qui n’a pas été honnête le paiera un jour ou l’autre »

Parallèlement à votre parcours nîmois, vous participez à l’intégralité des qualifications pour la Coupe du Monde 1982 avec l’Algérie..

(Il nous coupe) Ah là, vous me parlez d’un sujet qui me touche le cœur.

Oui, car finalement vous êtes absent de la liste finale pour la Coupe du Monde 1982 alors que vous aviez été décisif dans les matchs de qualifications (Buteur au Soudan, déterminant en aller-retour face au Nigéria). Avez-vous eu une explication après cette non-convocation?

(Il nous coupe) Vous voyez, ces questions ce ne sont pas à moi qu’il faut les poser mais aux décideurs de l’époque. Mais je vais quand même vous répondre. Jusqu’à présent, je ne sais pas pourquoi je n’ai pas été sélectionné pour ce mondial. À l’époque, ça m’avait vraiment brisé le cœur. Les gens disent « c’est Mekhloufi, c’est Khalef », moi je ne veux pas incriminer ces gens, je ne sais pas du tout.

Rabah Gamouh Algérie

Et votre explication à vous ?

Je devais être dans la liste mais, au dernier moment, ils ont simplement préféré incorporer un autre joueur à ma place. Et pourtant, j’ai effectué pas mal de matchs avec l’EN (33 sélections, 7 buts), dont les matchs de qualification à la Coupe du monde 1982, je jouais en Europe et j’étais performant à Nîmes. Si ça ce n’est pas assez pour être sélectionné.. Ça fait mal, mais bon, moi j’ai fait mon job et j’ai fait cela pour l’Algérie et tous les Algériens. J’ai la conscience tranquille car j’ai rempli mon contrat, et celui qui n’a pas été honnête le paiera un jour ou l’autre.

Beaucoup disent qu’il y a eu une forme de régionalisme, qu’en pensez-vous? 

Carrément, c’est clair. Vous savez, lorsque j’étais à Constantine, je devais signer au NA Hussein Dey, mais bon, j’étais bien à Constantine, j’avais mes amis, le peuple m’aimait bien et j’étais dans une belle équipe. Si j’avais choisi d’aller au NAHD, je peux vous assurer que j’aurais été sélectionné pour le mondial 1982. C’est pour ça que ça fait mal, mais comme je l’ai dis, j’ai fait mon travail pour la nation et le peuple. Les décideurs de l’équipe nationale m’ont fait beaucoup de mal injustement. C’est avec des choses comme cela qu’un joueur peut avoir le moral brisé et rater sa carrière.

Il est aussi utile de rappeler que le sélectionneur avait été remplacé juste avant cette Coupe du monde en Espagne..

Oui et je pense que j’aurais participé à ce mondial si le staff technique n’avait pas été remplacé. Je vais revenir un peu en arrière, à l’entame des qualifications pour cette Coupe du monde, Zdravko Rajkov (sélectionneur entre 1979 et 1981) est venu me voir jouer à Nîmes et m’a sollicité pour cette campagne de qualification. Et pourtant, je n’ai pas joué un an lors de mon arrivée à Nîmes car la FAF avait refusée de me laisser évoluer en France, j’aurais pu garder cette rancœur en moi mais j’ai décidé d’aller aider mon pays car c’est au dessus de mon intérêt personnel. J’ai eu aussi Valentin Makkri à mes débuts en EN. Avec Zdravko Rajkov et Evgueni Rogov, ils ont apporté beaucoup plus de professionnalisme au football algérien. Avant la Coupe du monde 1982, Rogov, Maouche et Saadane étaient à la tête de l’équipe mais ils ont été éjectés (eux aussi) quelques mois avant le mondial. Les instances ont mis des hommes avec beaucoup moins d’expérience, l’occasion était trop belle pour eux, ils avaient une équipe déjà prête.

Malgré cette désillusion, vous avez tout de même supporté vos compères durant cette Coupe du monde?

Bien entendu ! Je ne vais pas supporter l’Allemagne ! (Rires). Non, plus sérieusement, ça m’a vraiment fait chaud au cœur, j’ai pleuré de joie après la victoire contre l’Allemagne, j’avais l’impression d’être sur le terrain avec eux. Bon, après, on aurait pu mieux faire si nous n’avions pas encaissé ces deux buts face au Chili.

Rabah Gamouh Algérie

Après six ans à Nîmes, vous terminez votre parcours professionnel à Grenoble puis à Guingamp en D2 où vous êtes aussi performant.. Quel conseil auriez-vous à donner aux jeunes joueurs?

Oui, j’ai toujours été régulier et sérieux car j’aimais vraiment le football. Je n’avais pas de mauvaises fréquentations. Je n’ai jamais fumé ni bu et al hamdoulilah je suis en parfaite santé à 68 ans. Je m’appuyais beaucoup sur ma vitesse et l’anticipation. Pour les jeunes, je dirai qu’il n’y a pas de secret, il faut travailler, redoubler d’efforts et écouter les conseils des encadrants sportifs pour progresser.

Jouez-vous encore au football de temps en temps?

Non, aujourd’hui je ne cours plus mais je joue à la pétanque! (Rires).

Avez-vous pensé à une reconversion en tant qu’entraîneur ?

J’ai passé les diplômes pour entrainer les catégories de jeunes mais pour les professionnels je n’ai pas pu à cause de problèmes de santé et j’avais pris de l’âge. Après ma carrière, j’ai entraîné une équipe de jeunes pendant cinq ans puis j’ai bricolé, à droite, à gauche, jusqu’à ma retraite.

 « Riyad Mahrez est un monstre. Beaucoup ouvrent leur bouche sur les plateaux TV en Algérie mais ne feront jamais le quart de ce qu’il réalise actuellement »

Avez-vous eu des contacts avec la Fédération Algérienne de football après votre carrière dans le cadre de cérémonies ou autres projets?

Non, rien du tout depuis la fin de ma carrière. Je n’ai jamais eu un mot ou une invitation. Ils invitent des joueurs étrangers en leur donnant beaucoup d’argent mais nous, anciens joueurs algériens, rien. Mais bon, moi al Hamdoulilah j’ai besoin de rien et quand je me rends en Algérie, le peuple s’occupe de moi, c’est ma plus grande satisfaction. Un médecin que je connais à Constantine m’invite chaque année et m’envoie billet d’avion, hôtel etc… Ah oui, en 2010, Ali Fergani, président de l’Amicale des anciens internationaux algériens, m’a honoré lors d’une cérémonie à Alger. C’était top, et je le remercie pour cela car ça m’a vraiment fait plaisir.

Avez-vous suivi la dernière Coupe d’Afrique des Nations remportée par l’Algérie?

Ya Rabbi! Comment pourrais-je ne pas la suivre? (Rires). (Sur un air enchanté) Cette équipe est formidable! Mais il y a aussi un coach, Djamel Belmadi est très compétent. Il est beaucoup plus performant que ses prédécesseurs.

En tant que gaucher, que pensez-vous du capitaine de l’EN, Riyad Mahrez?

C’est un monstre. Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, beaucoup ouvrent leur bouche sur les plateaux TV en Algérie mais ne feront jamais le quart de ce que Riyad Mahrez fait actuellement. À Manchester City, il fait la différence. Je pense que Guardiola devrait plus le faire jouer.

Selon vous, c’est handicapant d’être Algérien lorsque l’on évolue en Europe?

Non, je ne pense pas. Lorsque tu es performant et que tu as du talent, tu joues. À mon époque, je jouais en D1 à Nîmes car j’avais fait mes preuves et que j’étais talentueux. Après dans le football, il y a beaucoup d’autres paramètres, tu peux tomber sur des entraineurs qui n’apprécient pas trop ton profil. Mais sinon, pour moi, en Europe, il n’y a que la qualité qui prime.

 « Il a fallu qu’un étranger vienne pour que nos pépites puissent exploser en Europe car nos formateurs ne sont pour la plupart, pas très intègres. Au PAC, c’est le talent qui prime »

Dans cette nouvelle génération, quel(s) autre(s) joueur(s) vous impressionne?

Naturellement il y a Riyad Mahrez, mais il est très bien entouré. Bounedjah, Belaïli, Feghouli, Atal, Mandi, Bensebaïni et les autres, ce sont tous des cracks! Dans chaque ligne, il n’y a pas de faille! Et tout ça, ça vient du coach. Il a su créer quelque chose de positif, il les met en valeur, il est à l’écoute de ses joueurs. Ils sont à l’aise avec lui car Belmadi a fait un gros travail sur le plan psychologique et c’est ce qui donne de la force à cette équipe. Il ne fait pas de différence entre les joueurs et a su créer une belle harmonie.

Algérie Belmadi Rabah Gamouh

Après plusieurs années de néant au niveau de la formation, plusieurs joueurs du cru ont pu rejoindre l’Europe, notamment ceux du Paradou AC, qu’en pensez-vous?

Ces joueurs sont pétri de talents. Le travail de l’Académie JMG du Paradou est exceptionnel. Il a fallu qu’un étranger vienne en Algérie pour que nos pépites puissent exploser en Europe car nos formateurs sont, pour la plupart, pas très intègres. Au Paradou, c’est le talent qui prime.

Un dernier message pour les supporters Algériens et pour l’Équipe Nationale?

Je salue tous les Algériens du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest et j’aimerais leur dire que je les aime beaucoup. Concernant l’Équipe nationale, j’espère qu’ils réussiront à se qualifier pour la Coupe du monde 2022, et si ils y parviennent, ils vont faire mal, croyez-moi. J’aimerais également faire passer un petit message pour un ami qui est coach. Il s’appelle Sebastien Choplin et est à la recherche d’une expérience en tant qu’entraîneur principal dans un club en Algérie, il a tous les diplômes au niveau professionnel et il est responsable de l’Académie PSG au Liban. Je l’accompagnerai dans une éventuelle aventure en Algérie.

Très bien, le message est passé. La Gazette du Fennec vous remercie, Monsieur Gamouh.

Avec grand plaisir, merci à vous et à la prochaine inshaAllah!

Entretien réalisé par Abdelkader Zinou pour La Gazette du Fennec

Bonus Vidéo – Passe décisive de Rabah Gamouh pour Zidane face au Nigéria (dernier tour qualificatif au Mondial 1982)

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