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Allemagne 1982, de la honte à la honte

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La RFA a traversé la Coupe du monde 1982 dans une drôle de confusion des sentiments. Vice-champions du monde après leur demi-finale victorieuse et tellement épique contre les Bleus, les Allemands avaient auparavant suscité lors du 1er tour un profond ressentiment. En deux actes : une défaite, puis une victoire. Aussi honteuse l’une que l’autre. Un magnifique récit signé Eurosport.fr !

 

Cette Coupe du monde 1982, un temps dont les moins de 40 ans n’ont aucun souvenir, est vraiment un cas. A la fois merveilleuse et pathétique. Mal fagotée mais sublime. Scandaleuse, fiévreuse, déroutante car saupoudrée de surprises colossales. Inoubliable, à coup sûr.

Ce fut celle de la résurrection de Paolo Rossi, de l’émergence des Bleus de Platini, de la Seleçao brillantissime de Zico et Socrates. Une orgie de grand football. Les deux seuls duels de Sarria entre l’Italie et le Brésil et l’inégalable thriller franco-allemand de Séville suffisent à l’ancrer dans la postérité.

Mais sa part d’ombre n’est pas moins imposante. Une équipe, une seule, porte l’essentiel de ce voile. Sportivement, 1982 demeure une cuvée plus qu’honorable pour la RFA. Vice-championne du monde, la Nationalmannschaft n’a pas à rougir de son bilan. Elle va pourtant quitter l’Espagne couverte de quolibets après avoir porté son arrogance en bandoulière tout au long du tournoi et hissé le cynisme sur des cimes jamais atteintes.

Le onze allemand avant la rencontre contre l'Algérie, à Gijon.Le onze allemand avant la rencontre contre l’Algérie, à Gijon.Imago

Dix années fastes

Cette Allemagne-là est efficace jusqu’à la nausée. Et si elle ne triomphe pas à la fin, elle gagne suffisamment pour susciter de multiples ressentiments. Avant la tragédie grecque de Séville face aux Français, Gijon sera le tombeau de son honneur. En deux actes. De l’Algérie à l’Autriche, d’une défaite sportive à un naufrage moral. De la honte à la honte. Le mythe de “l’Ugly Germany”, celle que tout le monde adore détester, naît au cours de cet été 82. Il aura la peau dure.

Depuis plus de dix ans, la sélection ouest-allemande force pourtant l’admiration. Elle a beaucoup gagné (Euro 1972, Coupe du monde 1974, Euro 1980), et quand elle n’a pas ramené la coupe à la maison, elle en a rarement été loin (demi-finale du Mondial mexicain en 1970, finale de l’Euro 1976). En prime, elle n’oublie pas de séduire. Si les 70’s restent à jamais marquées sur le plan esthétique par la révolution oranje et son football total, le jeu allemand est lui aussi imprégné d’une indéniable qualité.

Forte de son passé récent et de ses certitudes de toujours, la Mannschaft débarque en Espagne avec une bonne tête de candidate au titre. La seule qui lui sied. D’autant qu’elle a marché sur son groupe lors de la phase qualificative : huit matches, huit victoires, 33 buts marqués, 3 concédés. Parmi ses victimes, le voisin autrichien, que les Allemands retrouvent lors de la phase finale espagnole, en compagnie de l’Algérie et du Chili, dans un groupe II qu’ils doivent à coup sûr survoler.

Nous avions besoin d’une main de fer mais nous n’avions que le gant de velours

Elle a de la gueule, cette Allemagne. Avec son double Ballon d’Or en titre, Karl-Heinz Rummenigge, un des meilleurs gardiens du monde, Harald Schumacher et, globalement, du gratin mondial dans toutes les lignes, de Karl-Heinz Forster à Pierre Littbarski, de Wolfgang Dremmler à Uli Stielike ou Hans-Pieter Briegel.

Elle peut même se payer le luxe de laisser au bercail son jeune prodige Bernd Schuster, star de l’Euro 1980 mais en conflit ouvert avec le revenant Paul Breitner. Après trois années d’absence, l’ultra-charismatique leader barbu a décidé de reprendre du service. Breitner, Schuster, ou le double symbole d’une Allemagne peuplée de talents individualistes et de (trop) fortes personnalités. “Je préfère encore jouer du Bach au piano chez moi que de supporter mes coéquipiers“, souffle le génial soliste blondinet pour justifier sa désertion.

Paul Breitner et Bernd Schuster, au sommet du swag des 80's.Paul Breitner et Bernd Schuster, au sommet du swag des 80’s.Imago

Elle n’a au fond qu’un seul vrai défaut, cette équipe bardée de figures tutélaires : c’est une armée de généraux menée par le moins autoritaire de tous ses soldats. Le sélectionneur Jupp Derwall, dit-on, ne tient pas son groupe. “Nous avions besoin d’une main de fer mais nous n’avions que le gant de velours“, résumera Horst Hrubesch. “Il manquait cruellement d’autorité“, confirme dans un regret Harald Schumacher dans son indispensable autobiographie en forme de mise en abime parue en 1987.

Un constat qui culminera dans un caricatural épilogue la veille de la finale contre l’Italie. Interrogée par la télé allemande, Derwall affirme que Rummenigge, toujours diminué par sa blessure à la cuisse, débutera sur le banc. Le même Rummenigge prend la suite de son sélectionneur devant la même caméra, pour annoncer qu’il sera bien titulaire. Le lendemain, Derwall l’alignera d’entrée.

Karl-Heinz Rummenigge et Jupp Derwall.Karl-Heinz Rummenigge et Jupp Derwall.Imago

Beuverie, orgie et poker

Derwall a si peu de poigne que le stage terminal de la préparation tourne à l’orgie et à la beuverie. Au cœur de la Forêt Noire, sur les bords du charmant lac de Schluch, la vie de groupe vire au grand n’importe quoi à la fin du mois de mai. Le Schluchsee est rebaptisé le Schlucksee, soit “le lac de la picole”. Le whisky et la bière coulent à flots. Le gardien remplaçant, Eike Immel, déjà accroc au poker, organise des soirées tripot où le montant des mises grimpent parfois jusqu’à 20 000 deutschemarks. Les joueurs dorment peu : leurs compagnes sont avec eux.

Faut-il voir derrière ce joyeux bordel l’influence du débauché Breitner ? Sans aucun doute. Après tout, c’est bien lui qui a convaincu Derwall de laisser à ses troupes une liberté maximale. C’est peu dire que le message a été entendu. Sauf que, comme le rappelle Harald Schumacher : “Breitner était le pire de tous, il ne manquait jamais une occasion de faire la bringue. Mais, à l’énorme différence de tous les autres, lui tournait comme une horloge le lendemain à l’entraînement. Il ne ratait pas une passe, ne perdait aucun duel… C’était fou. Ses compagnons de fête se traînaient lamentablement. Lui, jamais !”

Le gardien de but du FC Cologne est un des rares à ne pas sombrer. Consterné par ce à quoi il assiste, il finit par appeler son agent, Rüdiger Schmitz. “Viens me chercher, je veux rentrer, lui dit Schumacher. Ce qui se passe ici n’a rien à voir avec une préparation de Coupe du monde. C’est l’enfer, la plus grande pagaille que j’ai jamais vécue !” Pour éviter la promiscuité avec ce qu’il qualifie “d’ignoble troupeau“, le moustachu cerbère reste la plupart du temps cloîtré dans sa chambre.

Harald Schumacher dubitatif au balcon de sa chambre lors de la préparation sur les bords du lac de Schluch.Harald Schumacher dubitatif au balcon de sa chambre lors de la préparation sur les bords du lac de Schluch.Imago

Jupp Derwall, lui, est content. Son groupe a bien bossé, assure-t-il. Mieux, ce stage a permis de resserrer les liens et de dissiper les tensions au sein de l’effectif. “Je suis très satisfait, la semaine a été apaisante“, lance-t-il devant la presse. Bouffée par son orgueil, la Mannschaft fonce dans le mur sans klaxonner. A l’Estadio El Molinon de Gijon, l’Algérie, dont ce sera le tout premier match en Coupe du monde, lui est proposée en amuse-bouche. Une formalité, bien sûr.

Après tout, qui pouvait imaginer que l’équipe d’Allemagne ne préparait pas un match de Coupe du monde avec minutie ?

Lors des deux journées précédant la rencontre, les Allemands rivalisent de bons mots devant la presse. “Nous dédierons notre 7e but à nos femmes et le 8e à nos chiens“, promet Paul Breitner. Un autre joueur se dit prêt à jouer avec un cigare à la bouche. Jupp Derwall n’est pas en reste : “Si nous perdons ce match, je n’aurai plus qu’à prendre le premier train pour Munich“, dit-il, avant d’offrir une variante où il se jetterait dans la Méditerranée en cas de défaite.

La RFA n’était pourtant pas la plus mal placée pour se méfier. Quatre ans plus tôt, en Argentine, elle a été le témoin de la montée en puissance du football africain. La Tunisie y avait signé un exploit inédit en devenant la première équipe du continent africain à remporter un match en phase finale de Coupe du monde, contre le Mexique (3-1), avant d’accrocher le tenant du titre ouest-allemand (0-0). Jupp Derwall aurait aussi pu voir un signe dans l’émergence algérienne. Les Fennecs ont atteint la finale de la Coupe d’Afrique des Nations en 1980 puis les demies deux ans plus tard, quelques mois avant le Mundial espagnol.

Les Algériens n’en reviennent pas et finissent par se demander si cette arrogance n’est que de façade et un tel mépris trop gros pour ne pas être surjoué. “Certains d’entre nous pensaient que c’était un piège psychologique de leur part, qu’ils disaient juste tout ça pour que l’on pense qu’ils ne nous prenaient pas au sérieux mais on n’y croyait pas vraiment, a confié le défenseur Chabane Merzekane il y a quelques années au quotidien anglais The Guardian. Après tout, qui pouvait imaginer que l’équipe d’Allemagne ne préparait pas un match de Coupe du monde avec minutie ?”.

La superbe équipe algérienne des années 80.La superbe équipe algérienne des années 80.Getty Images

Ribbeck et Vogts, un rapport pour rien

Mais non. Il ne fallait voir ni stratégie ni malice derrière la morgue allemande. Juste une aveuglante négligence. La préparation du match a bien été snobée par la Mannschaft. Jupp Derwall a pourtant mandaté ses adjoints, Erich Ribbeck et Berti Vogts, installés en tribune lors des deux derniers matches de préparation de l’Algérie, face au Pérou et l’Irlande du Nord. Deux autres qualifiés pour le Mondial. Résultat, un nul et une victoire.

Ribbeck et Vogts livrent leur rapport et un montage vidéo dans lequel ils insistent sur la vitesse du jeu algérien. Leur message : attention danger. Mais Derwall ne la montrera jamais à ses joueurs. “Si je l’avais fait, ils m’auraient ri au nez“, justifiera-t-il. Par son invraisemblable suffisance, la grande Allemagne creuse elle-même sa tombe.

Le piège va se refermer sur la bande à Breitner le 16 juin, par une chaude fin d’après-midi asturienne. Au même moment, à Bilbao, l’équipe de France cède face à l’Angleterre (3-1) dans une rencontre marquée par le but le plus rapide jamais inscrit alors en Coupe du monde, signé Bryan Robson après seulement 27 secondes de jeu. Mais l’histoire, c’est surtout l’Algérie qui va l’écrire à Gijon.

Derwall ravale sa morgue

Dirigée par Mahieddine Khalef et Rachid Mekhloufi (“nos ‘deuxièmes pères’“, dixit Lakhdar Belloumi), elle repose sur sa tour de contrôle en défense centrale, Nourdine Kourichi, un des rares expatriés (il évolue alors à Bordeaux avant de rejoindre le LOSC), la patte soyeuse de son meneur de jeu Belloumi, inventeur de la passe aveugle, et ses attaquants à la fois rapides et techniques à l’image de Rabah Madjer etSalah Assad.

En ce 20e anniversaire de l’indépendance du pays, l’Algérie puise dans l’engouement et le soutien de tout un peuple un surcroit de motivation, comme l’explique Belloumi : “Nous étions un groupe très soudé et avions tous en tête que c’étaient les 20 ans de notre indépendance. Nous étions déterminés à être dignes de notre peuple.”

Quatre-vingt-dix minutes plus tard, Gijon vient d’être le théâtre d’un des plus gros coups de semonce de toute l’histoire de la Coupe du monde. Un tremblement de terre d’une magnitude comparable à celle des victoires des États-Unis face à l’Angleterre en 1950 ou de la Corée du Nord devant l’Italie en 1966. Punie par la maestria algérienne et ses propres manques, la RFA, battue 2-1, a pris une claque monumentale.

dahleb et kourichi mondial 1982

Penaud et abasourdi, Herr Derwall a ravalé sa morgue lorsqu’il se présente en conférence de presse. “C’est un choc, lâche le technicien rhénan. Je n’arrive toujours pas à croire que nous avons perdu contre l’Algérie. Ils ont joué intelligemment, en nous attendant, en contre-attaquant. Ils ont surpris notre défense par leur vitesse et nous nous sommes écroulés en seconde période.” Mais Derwall songe déjà à la suite : “Maintenant, nous sommes forcés de gagner nos deux derniers matches. Mais je rappelle qu’en 1974, nous avions perdu notre première rencontre face à l’Allemagne de l’Est et nous avions tout de même gagné la compétition.” Sa mémoire lui joue des tours. En 74, le derby allemand avait eu lieu lors du dernier match de poule. Pour le reste, il ne sera pas loin d’avoir bon sur toute la ligne.

Les Fennecs ouvrent la porte

Quatre jours après cette catastrophe nationale, la RFA réagit en fessant le faiblard Chili (4-1) avec au passage un triplé de Rummenigge. L’Algérie, elle, chute face à l’Autriche (2-0). Tout est donc relancé avant la dernière salve de matches du groupe.

A l’époque, il n’est pas question de faire jouer les deux ultimes rencontres de chaque poule du premier tour dans le même timing. Cela changera. Bientôt. D’ici là, l’Algérie a l’opportunité de se rapprocher du deuxième tour. Face au Chili, les Fennecs réussissent un festival. Ils mènent 3-0 à la pause. S’ils tiennent ce score, leur qualification sera quasiment acquise. Il faudrait alors une improbable victoire de l’Allemagne avec au moins trois buts autrichiens (4-3, 5-4, etc.) pour les éliminer.

Mais face à une équipe chilienne pourtant déjà dehors, l’Algérie va coincer. Pas au point de laisser filer la victoire, mais en concédant deux buts dont elle ignore encore qu’ils vont ouvrir la porte à l’un des plus grands scandales de l’histoire du football. La courte victoire (3-2) de Belloumi and co les laisse entre espoir et crainte. Leur devoir accompli, les Guerriers du désert n’ont plus qu’à s’installer devant leur télévision pour suivre le derby Allemagne – Autriche, le vendredi 25 juin 1982, sur les coups de 17h15. Non sans une certaine fébrilité.

C’est l’heure des calculs d’épicier. La RFA sera qualifiée en cas de victoire, peu importe le score. Pas une bonne nouvelle pour l’Algérie. D’autant que l’Autriche apparait relativement tranquille : même une défaite par deux buts d’écart lui permettrait de passer elle aussi en compagnie des Allemands de l’Ouest. Dans ce plan à trois, la pauvre Algérie, spectatrice et impuissante, pressent qu’elle pourrait bien tenir le rôle moyennement enviable du cocu.

Hrubesch et c’est tout

Beaucoup n’osent pas croire à la pantalonnade. Après tout, c’est la Coupe du monde. En mondovision, chacun a sa fierté. Puis ces deux-là ont beau être voisins, ils s’apprécient modérément. Les Autrichiens apparaissent toujours surmotivés face au grand frère germain.

Hans Krankl rappelle que son but victorieux contre la RFA lors du Mondial 1978, le fameux “Miracle de Cordoba” (victoire 3-2 qui avait bouté les Allemands hors d’Argentine), reste le plus grand souvenir de sa carrière. Georg Schmidt, le co-sélectionneur autrichien, jure d’ailleurs que ses joueurs “ont toujours une motivation naturelle et supplémentaire quand il s’agit d’affronter l’Allemagne“. Tout va bien, donc. Rien à craindre.

Sauf que le match va durer dix minutes. Les joueurs de Derwall démarrent fort et trouvent à la 11e minute la récompense de leur entame intense. Sur un centre venu de la gauche, Horst Hrubesch pique sa tête au premier poteau pour tromper Friedrich Koncilia. Faisons les comptes : A 1-0, la RFA est qualifiée, l’Autriche aussi, l’Algérie n’a que ses yeux pour pleurer. Circulez, il n’y a plus rien à voir. L’Allemagne aura une autre occasion de marquer en première période, par l’intermédiaire de Dremmler. Puis, plus rien.

Si les 35 dernières minutes du premier acte perdent en intensité mais demeurent dans les clous de l’acceptable, la seconde période va virer au grotesque. Plus personne n’a intérêt à marquer. Même si le but de Hrubesch confisque la première place du groupe aux Autrichiens, ils n’en sont pas fâchés : sur le papier, elle ouvre un second tour de poule plus abordable, avec la France et l’Irlande du Nord, alors que la Mannschaft va se diriger vers l’Angleterre et l’Espagne. Bref, tout le monde est content.

Horst Hrubesch marque l'unique but de la rencontre.Horst Hrubesch marque l’unique but de la rencontre.Imago

Doucement, monsieur l’arbitre !”

Quand plus personne n’a intérêt à jouer, plus personne ne joue. Pendant 45 minutes, les cousins germains attendent gentiment la fin du match. Seul le malheureux Walter Schachner tente de s’engager. Un peu. Mauvaise pioche. Il récolte un carton jaune pour une charge sur Schumacher. L’attaquant autrichien est à l’origine d’un des… trois tirs de ce second acte. Aucun cadré. Selon les statistiques d’Opta, les Allemands ne commettent que huit tacles sur l’ensemble de ces 45 minutes. Environ un toutes les sept-huit minutes.

Mieux, les deux équipes vont dépasser les 90% de réussite aux passes, un taux qui atteint 99% pour les Autrichiens dans leur propre moitié de terrain, 98% pour les Allemands. C’est dire la vigueur du pressing adverse. Il n’y a plus de match. La seconde période n’est qu’une interminable passe à dix à la limite du ridicule. “Ma plus belle ‘parade’, c’est à la suite d’un ‘tir’ commis par un de mes défenseurs. Risible“, témoigne Schumacher.

Cette rencontre est spéciale pour Bob Valentine. L’arbitre écossais officie pour la toute première fois en Coupe du monde. “La seule fois de ma carrière où j’ai ressenti de la pression en entrant sur le terrain“, a-t-il confié en 2018 à l’hebdomadaire The Sunday Post. C’est pourtant, et de loin, celui où il aura eu le moins de travail.

Témoin aux premières loges de la mascarade, lui aussi a trouvé le temps long après la pause. “C’était comme un échauffement, beaucoup de petites passes, mais aucune initiative, se souvient-il. Le plus fou, c’est quand il y a eu un corner, un moment donné. Le ballon a rebondi sur un panneau publicitaire avant de revenir jusqu’à moi. Je l’ai récupéré et envoyé vers le poteau de corner. Un joueur allemand m’a dit : ‘doucement, monsieur l’arbitre !‘”

Au micro, silence et indignation

Lorsque les Algériens protesteront officiellement après le match, Hadj Sekkal, le président de la Fédération déposera une réserve contre les deux équipes mais aussi envers l’arbitre, coupable à ses yeux de ne pas avoir réagi. “Beaucoup m’ont dit que j’aurais dû faire quelque chose, mais personne ne m’a jamais dit quoi, sourit Bob Valentine. Le rôle de l’arbitre en football n’est pas le même qu’en boxe, par exemple. Je ne pouvais pas arrêter le match, dire aux deux capitaines ‘écoutez, maintenant, il va falloir tacler un peu plus fort’. Ce n’était pas mon boulot. Mon boulot, c’était de gérer ce qu’il se passait sur le terrain. C’est-à-dire pas grand-chose, pour être honnête.”

Le sentiment de malaise est total. En tribune de presse, les commentateurs oscillent entre consternation et indignation. “On devrait leur retirer leurs licences à ces 22-là“, plaide Michel Denisot sur TF1. Au micro pour ITV, Hugh Johns exprime son écœurement : “Il reste quelques secondes sur la montre de Bob Valentine avant la fin. Et ce sera un énorme soulagement. Breitner pour Briegel, Stielike, pour Briegel… des noms qui sortent de ma bouche en laissant un goût très amer. C’est un des matches les plus honteux auxquels j’ai pu assister.”

Les journalistes allemands et autrichiens ne sont pas en reste. A dix minutes du terme, Robert Segger conseille carrément aux téléspectateurs autrichiens d’éteindre leur télé. Certains membres de la sélection tenteront d’obtenir sa tête après le Mondial, révèlera-t-il.

Mais la plus fameuse tirade reste celle de Eberhard Stanjek, le commentateur de la chaine allemande ARD : “On ne peut pas appeler ça du football. Ça n’a rien à voir avec un match de Coupe du monde. Vous pouvez dire ce que vous voulez, mais la fin ne justifie pas de tels moyens“. Puis il choisit de se taire : “Vous m’autoriserez maintenant à ne plus commenter ce que nous voyons sur le terrain car ce que les deux équipes nous offrent est un moment honteux.” Et il ne soufflera plus un mot jusqu’au coup de sifflet final.

A l'image de Breitner et Krankl, tout le monde est content.A l’image de Breitner et Krankl, tout le monde est content.Imago

Nous avons réussi à faire monter le sentiment anti-allemand jusque dans notre propre pays

Les critiques venues d’Allemagne sont d’ailleurs les plus virulentes, ce qui fera dire à Toni Schumacher, non sans humour : “Nous avons réussi à faire monter le sentiment anti-allemand jusque dans notre propre pays.” La presse se déchaine, des supporters se rassemblent devant l’hôtel des joueurs pour balancer des œufs et protester. L’ancien défenseur international Willi Schulz, vice-champion du monde en 1966, traite même ses héritiers de “gangsters“.

Après les télés et les radios, la presse écrite s’en donnera à cœur joie elle aussi. “22 cartons rouges“, tirera L’Equipe. “L’Anschluss”, lance Marca. Un autre quotidien espagnol ira jusqu’à évoquer le match dans sa rubrique… fait divers plutôt que dans les pages sport, avec cette manchette : 40 000 personnes arnaquées par 13 Autrichiens et 13 Allemands.

Finalement, le vrai spectacle était dans les tribunes“, ironise Bob Valentine. Il n’a pas tort. Le public conspue les “acteurs”. Beaucoup d’Algériens ont pris place au Molinon. “Dégagez, dégagez“, hurlent-ils. Furieux, ils se mettent à jeter des billets de banque sur la pelouse. Les pesetas volent. Leur manière de dire que, pour eux, ce match a été arrangé.

Bras d'honneur et billets de banque sortis : la colère des supporters algériens pendant le match Allemagne - Autriche.Bras d’honneur et billets de banque sortis : la colère des supporters algériens pendant le match Allemagne – Autriche.Imago

Cynisme teinté de racisme

C’est un des voiles sur ce “match de la honte“. Y a-t-il eu accord préalable entre les deux équipes pour organiser une courte victoire allemande ? Probablement pas. Pas avant la mi-temps, en tout cas. “Il n’y avait pas à proprement parler eu d’accord formel entre les Autrichiens et nous, mais une sorte d’entente tacite“, assure Schumacher dans son autobiographie. Le défenseur autrichien Bernd Krauss ne dira pas autre chose dans les colonnes de Bild, un quart de siècle après : “On n’a pas besoin de passer un accord pour ça. C’était clair sur le terrain. A 1-0, on a tous commencé à faire les comptes, et on a commencé les passes en retrait.”

Ce qui frappe, c’est aussi l’absence de scrupules des intéressés dans leurs propos d’après-match. On pourra y voir une forme d’honnêteté mais cette attitude n’ajoutera que du dégoût à l’embarras. Tout ce petit monde quitte la pelouse de Gijon bras-dessus, bras-dessous avant de s’essuyer gentiment les crampons sur la morale. “On voulait se qualifier, pas jouer au football“, crache Demmler. “Nous sommes qualifiés, je me fous du reste et je me fous des Allemands“, renchérit Hans Krankl.

Mais la palme du cynisme teinté d’un zest de racisme reviendra haut la main Hans Tschak, le responsable de la délégation autrichienne : “Bien sûr que le match a été tactique aujourd’hui, mais si 10 000 fils du désert dans le stade veulent déclencher un scandale à cause de ça, cela prouve juste qu’ils ont trop peu d’écoles chez eux“. Puis, faisant écho dans un drôle d’amalgame à l’intervention du cheikh koweitien sur la pelouse du match France-Koweït quelques jours plus tôt, Tsachak ajoute : “C’est comme ce cheik qui sort de son oasis, est autorisé à respirer l’air de la Coupe du monde pour la première fois depuis 300 ans et pense qu’il a le droit d’ouvrir sa gueule.” A peine sous-entendu, vos gueules les Arabes de tous horizons, et rentrez dans vos pays.

Le tableau d'affichage de la honte.Le tableau d’affichage de la honte.Getty Images

Heureusement, l’Allemagne n’a pas été au bout

Les plus dignes, dans cette triste histoire, sont encore les joueurs algériens. Même déçus, mêmes avec une pointe d’écœurement, ils sauront faire preuve de recul. “Nous n’étions pas encore colère, nous étions tranquilles, a confié au Guardian Chaabane Merzekane, le formidable arrière droit des Fennecs. Voir deux grandes équipes obligées de se comporter comme ça pour nous éliminer, c’était finalement le plus bel hommage rendu à l’Algérie. Ils ont avancé dans le déshonneur, nous sommes partis la tête haute.”

Puis, si aucune sanction ne sera prise contre les deux équipes, la FIFA décide devant le retentissement néfaste de la farce austro-allemande que, désormais, les deux derniers matches de poules seront toujours joués en simultané, pour limiter les risques d’arrangement, tacite ou formel. Comme le relève Lakhdar Belloumi, on peut y voir une forme de victoire : “Cela montre que nous avons laissé une trace indélébile dans l’histoire.”

Personne ne l’emportera au paradis. L’Autriche ne remportera plus un match. Battue par la France, elle se contentera d’un nul face à l‘Irlande du Nord pour emprunter la plus petite des portes de sortie au deuxième tour. La RFA fera encore parler d’elle. Qualifiée en solide épicière pour les demi-finales, la Nationalmannschaft va livrer le plus épique des combats contre l’équipe de France. La fameuse nuit de Sanchez-Pizjuan. Un match en forme de roman dont l’Allemagne sortira victorieuse aux tirs au but (3-3, 5-4), non sans une nouvelle polémique, née de l’agression sur Patrick Battiston d’un Schumacher renommé “Le boucher de Séville“.

Heureusement, les Allemands finiront par s’incliner en finale contre l’Italie. Oui, heureusement. Cette Allemagne-là, championne du monde, aurait constitué le plus grand des bras d’honneur au jeu. Et c’est un Allemand, Harald Schumacher lui-même, qui le dit : “Une telle équipe d’Allemagne pouvait-elle, dans ces conditions, gagner contre l’Italie en finale ? Devenir championne du monde ? Je ne le pense pas. Et dieu merci, nous avons perdu.” La seule morale de cette drôle de fable.

La Squadra jubile, l'Allemagne finit à terre à Santiago-Bernabeu.La Squadra jubile, l’Allemagne finit à terre à Santiago-Bernabeu.Imago

Par Laurent Vergne pour Eurosport.fr

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