Focus
Saïd Amara, l’intellectuel de Saïda au parcours fascinant
Personnalité hors du commun, Saïd Amara – décédé ce dimanche 2 Août 2020 à l’âge de 87 ans – fut l’un des plus grands hommes qu’a connu le football algérien. Joueur talentueux, entraineur émérite et dirigeant visionnaire, le natif de Saïda a absolument tout connu durant sa très longue carrière. Intellectuel et charismatique, Saïd Amara n’avait pas sa langue dans sa poche lui qui dénonçait sans cesse le régionalisme dans le football algérien et qui lança un jour une réplique devenue célèbre : « Pour être Algérien, il faut être Algérois ! ». Après une belle carrière en France du côté des Girondins de Bordeaux, on lui doit notamment la découverte de joueurs exceptionnels comme Lakhdar Belloumi ou Tedj Bensaoula. Pour La Gazette du Fennec, notre ami historien du sport Stanislas Frenkiel nous retrace une partie du fabuleux parcours de Saïd Amara avec un témoignage inédit du principal concerné !
Pour rendre hommage à cette légende du football algérien, La Gazette du Fennec vous raconte son parcours grâce au récit exceptionnel de Stanislas Frenkiel fondateur du compte YouTube « Temps de Sport ». Notre historien a rencontré le regretté Saïd Amara, chez lui à Saïda en 2006. Un témoignage inédit qui fait partie d’un livre sur les footballeurs algériens en France à paraitre en 2021 aux éditions Artois Presses Université. Après l’hommage rendu à Amar Rouai et Kaddour Bekhloufi, voici l’histoire de Saïd Amara…
Saïd Amara grandit dans le « quartier populeux » de la Marine, dans la petite ville de Saïda, à vocation agricole, bien loin donc d’Alger… Il est le cadet d’une fratrie de 5 enfants, sa sœur étant l’aînée.
Fils d’un modeste et illettré fellah -contrairement aux autres footballeurs rencontrés dont les pères travaillent davantage à la ville (journalier, manutentionnaire, docker, …)-, il habite dans un deux pièces, une « cave sans aération dans une maison collective. C’était comme un igloo : on n’avait pas de lit, par terre de la terre, pas de carrelage, un lieu de regroupement ». La mère s’occupe du foyer (tâches domestiques et éducation (musulmane) stricte des enfants), le père essaye tant que bien que mal de ramener à sa famille de quoi manger quotidiennement. « Je ne demandais pas à mes parents d’avoir de la viande, moi, tous les jours, quand j’étais jeune, je mangeais du couscous avec du lait. Et ça s’arrêtait là ». La langue arabe (dialectale) est évidemment bien plus utilisée que le français à l’intérieur de cette famille dont les seuls loisirs des enfants en disent longs sur sa détresse sociale : « mes vacances, je les passais à trente kilomètres de Saïda sur des terrains que louaient mon père pour ramasser le chanvre et le blé. J’avais pas des vacances dans un hôtel ou dans une piscine ou rien… J’allais juste aider mon père ». Saïd Amara fréquente l’école française, jusqu’au niveau primaire à Saïda tout en y découvrant les joies du cinéma muet. Ce n’est évidemment pas là qu’il fait la « découverte » du football mais dans la rue, comme par osmose… « Parfois attaché et frappé » par son père (pratiquant la fantasia) pour l’empêcher d’aller jouer dans son club du Gaieté Saïdéen (dès 1948), Saïd Amara n’en a pas moins conscience que le football pourrait lui servir de véritable ascenseur social dans ce grand village rongé par le chômage et où règnent des discriminations flagrantes entre « Français d’Algérie » et « Franco-musulmans ».
Ainsi, très jeune, il fait un choix moins évident qu’il n’y paraît en rejoignant ce club européen (Gaieté Club Saïdéen) dont le Président (Francis Baylé) lui permet de poursuivre ses études, le fait réformer du service militaire et lui trouve un emploi au niveau de l’Etat-civil à la mairie. Bien avant de partir en France, Saïd Amara va faire un grand voyage pour rejoindre un autre club européen, le prestigieux Sporting Club de Bel Abbès (deux Coupes d’Afrique du Nord et huit titres de Champion d’Oranie d’affilée), un club qui selon lui « pouvait tout se permettre »…
Repéré par ce club dont il est adversaire avec son équipe de Saïda (il est constamment surclassé), il accepte sa proposition et déménage. Le club va lui trouver un travail, un logement, le rétribuer largement (il va s’acheter une Citroën Traction sans avoir le permis de conduire) et va même faire déménager ses parents pour Sidi Bel Abbès. Saïd Amara se souvient : « quand je suis allé au niveau de Bel Abbès, alors là, c’était presque une sorte de demi pro. Je travaillais un petit peu et même si je ne travaillais pas, on fermait les yeux. Je travaillais toujours à la mairie, au Service du Plan, des dessins, donc, j’étais avec un architecte. Et, on me donnait par moments des libertés, récréations. J’allais au cinéma les après-midi ou quoi, presque quand je voulais. J’ai atteint le niveau première partie du bac et les entraînements étaient doublés par rapport au volume et à l’intensité du travail qui était fait au niveau de Saïda ». Il évolue deux années en Sélection d’Oranie et côtoie l’un de ses modèles, le Marocain Larbi Ben Barek, venu finir sa carrière dans le club rival du S.C.B.A, l’U.S.M. Bel Abbès.
En 1956, suite au fameux ordre du F.L.N. (« il y a eu les évènements, il y a eu l’insécurité »), suite aux conseils de son entraîneur tant respecté Rebibo et à la surprise paternelle, il rejoint pour la première fois la métropole. « Le Championnat de France n’avait pas encore repris. A Monaco qui m’avait envoyé des lettres, l’entraînement ne reprenait que dans dix jours. Parallèlement, Monsieur Avellaneda qui entraînait Perpignan allait prendre le club de Strasbourg. Il me connaissait, lui, parce qu’il avait toute la famille à Bel Abbès. Il a su que j’étais en France. Il a tout de suite invité les dirigeants de Strasbourg à me convoquer pour un test, l’essai fut concluant ». Il signe ainsi un contrat le liant à Strasbourg jusqu’à 35 ans. Alors qu’à Marseille, il ne semblait pas du tout avoir été dépaysé (« j’avais de l’argent, ça parlait mon charabia et français »), il est surpris par ce qui l’attend en Alsace : « je voyage en train de nuit. Le matin, temps brumeux, pluie fine. J’entends parler autour de moi un patois alsacien avec un accent qui est presque de l’allemand. « Où est-ce que j’ai mis les pieds ? » » Il découvre puis se fond dans les exigences du professionnalisme. Concurrence redoutable (« la loi des doyens » et camaraderie (amitiés, sorties, relations plutôt agréables avec les Présidents de clubs) illustrent ces premières années passées dans les clubs français : Strasbourg, Béziers et Bordeaux… Il se dit s’être senti bien « intégré » en France dont il connaissait déjà la culture avant de traverser la Méditerranée. Comme d’autres footballeurs algériens, il épouse une Française (Alsacienne) qui le suivra lors pour Tunis et l’Équipe du F.L.N… Effectivement, il ne fait pas partie de la première vague des joueurs qui quittent clandestinement la France en avril 1958 mais de la quatrième en octobre 1960 (il est contacté par le couple Maouche)… Le lendemain du premier départ, les gendarmes se rendent à son domicile de Béziers. Il est bien plus qu’étonné : « je leur dis : « qu’est-ce qu’il y a ? » « Non non non, vous verrez plus tard ». J’étais inquiet ». Malgré la méfiance de certains dirigeants et la nouvelle difficulté d’être recruté par un club professionnel (« il y avait un risque de perte sèche pour eux si je les quitte pour Tunis »), Saïd Amara poursuit sa prometteuse carrière et rejoint enfin Tunis en novembre 1960.
Bien conscient qu’il abandonne une vie dont il a toujours rêvé, il est sensible à l’injustice qui règne en Algérie, même s’il n’est pas un militant nationaliste : « je ne pouvais pas rester un peu loin des souffrances de ma famille, de mes voisins. Je paraissais à leurs yeux comme un lâche, un traître ». Alors que l’Équipe du F.L.N. est déjà constituée et que les places sont chères, il passe un diplôme d’entraîneur en Tunisie et s’occupe de l’équipe de Madia tout en échangeant des courriers avec son ancien club de Bordeaux. Ancien club qu’il retrouve une fois l’indépendance algérienne obtenue. Après l’avoir recontacté, il retrouve la Gironde pour selon lui « honorer son contrat » (son salaire serait augmenté) et au sein du club est accueilli à bras ouverts par ses équipiers et Jacques Chaban-Dalmas. Cet homme d’État aux multiples casquettes (ancien rugbyman international, Maire de Bordeaux depuis 1947 et Président de l’Assemblée Nationale depuis 1958) lui assurera une relative tranquillité après 1962 en le protégeant des résidus de l’O.A.S. qui le menacent par écrit et parfois même physiquement, à l’image de ce qu’il a vécu exceptionnellement à Béziers. « Il y en avait des petits pics. « Sale arabe ! Retourne à ta Casbah » ! (Silence) « Raton » mais ça, ça, on l’a entendu même ici quand on est en Algérie. Une fois, nous sommes allés à Frontignan avec Béziers. Un groupe d’hommes m’est tombé dessus. Heureusement que ma femme et des gens à côté m’avaient accompagné ainsi que la police pour prendre ma défense »… Puis, Saïd Amara rachète son contrat à Bordeaux au début de la saison 1963-1964 et rentre en Algérie. « J’arrive à un certain âge, le professionnalisme n’est pas rentable, j’ai une famille déjà, 2 ou 3 enfants. Que dois-je faire ? Je reste là bas, je vais arriver au chômage, tout juste si je serais Moniteur des Sports dans une mairie malgré mon niveau. On me laisse… Qui me dit que je ne vais pas aller vers une débauche ? Là, je m’approche et je m’occupe un petit peu de mon père et de ma mère que j’avais perdus de vue. J’avais des frères, des cousins, reprendre attache avec eux. J’avais une formation, un diplôme, je voulais encore le mettre au service de mon pays qui est neuf, l’Algérie »…
Force est de constater qu’il va devenir l’un des hommes forts du football algérien par son « niveau intellectuel ». Entre 1964 et 1974, il est entraîneur-joueur du Mouloudia Club de Saïda à qui il offre la seule Coupe d’Algérie de son palmarès puis évolue à la J.S.M. Tiaret jusqu’à 41 ans. Parallèlement, dès 1965, il commence à suivre des stages (« Entraîneur-Fédéral » et « Entraîneur-Instructeur ») à l’Institut National des Sports et est Sélectionneur ou vice-sélectionneur de l’équipe nationale algérienne à deux fois ((mai 1973-octobre 1973) et (février 1969-mars 1969)) tout en démarrant une carrière administrative (Inspecteur de la Jeunesse et des Sports). Après 1974, sa carrière continue… Il entraîne le Mouloudia d’Oran, l’U.S.M. Bel Abbès, le Ghali de Mascara et l’Ittihad de Benghazi (Libye). Il est également plusieurs années de suite Président de l’Amicale des Entraîneurs, Directeur de la Jeunesse et des Sports (retraite en 1987), Directeur National de la formation des entraîneurs de haut-niveau, Directeur Technique National, Vice-Président (1993-1995) puis Président de la Fédération Algérienne de Football (1997). Il est depuis 2002 Président de la Ligue régionale de Football de Saïda, membre du comité olympique algérien et médaillé du mérite olympique.
Propos recueillis par Stanislas Frenkiel, Maître de Conférences UFR STAPS – Université d’Artois
Biographie reconstituée à partir d’un entretien réalisé avec Saïd Amara à Saïda (Algérie) en juillet 2006. Entretien retranscrit pour un prochain ouvrage sur l’histoire des footballeurs algériens en France à paraitre aux éditions Artois Presses Université en mai 2021
Après une carrière bien remplie, Saïd Amara a rendu l’âme à l’âge de 87 ans chez lui à Saïda le 2 Aout 2020. Après cette disparition, il ne reste plus que 7 survivants de la glorieuse équipe du FLN, à savoir Rachid Mekhloufi, Mohamed Maouche, Abdelkrim Kerroum, Abdelhamid Zouba, Dahmane Defnoun, Smaïn Ibrir et Mohamed Soukhane.
Saïd AMARA :
Né le 11 mars 1933 à Saïda, Milieu de terrain
- 1946-1954 : Gaieté Club Saïdéen
- 1954-1956 : Sporting Club de Bel Abbès
- 1956-1957 : Racing Club de Strasbourg
- 1957-1958 : Association Sportive de Béziers
- 1958-1960 : Association Sportive de Béziers (D2)
- 1960-1961 : Girondins de Bordeaux (D2) – Jusqu’en octobre 1960
- 1960-1962 : Équipe du F.L.N. (Tunis)
- 1962-1964 : Girondins de Bordeaux
- 1964-1968 : Mouloudia Club de Saïda
- 1968-1974 : Jeunesse Sportive Musulmane Tiaret
>> Saïd Amara parle de sa carrière :
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