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Mohamed Soukane, légende du Havre AC et de la Révolution

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Défenseur central du Havre AC de 1956 à 1958 puis de 1962 à 1964, Mohamed Soukane, décédé le 2 novembre 2021 à l’âge de 90 ans, a joué plus de 120 matchs de D2 avec le club normand aux cotés de son frère cadet Abderrahmane Soukane qui était un redoutable attaquant. Les deux frères, nés à El Biar dans les années 30′, ont marqué l’histoire du football algérien en intégrant les rangs de l’Équipe du FLN dès 1958 mais ont également écrit une belle page de l’histoire du Havre AC qu’ils ont rejoint ensemble en 1956 en pleine guerre d’Algérie. En hommage à ces deux légendes, La Gazette du Fennec vous propose un récit retraçant leur parcours avec la collaboration de Stanislas Frenkiel, historien du sport.

Né le 12 octobre 1931 à El-Biar (Algérie) Mohamed Soukane est recruté en 1956 par Le Havre AC à l’âge de 25 ans en compagnie de son frère cadet Abderrahmane (né en 1936 et mort en 2015 à Alger). Les deux joueurs, qui évoluaient ensemble à la JS El-Biar, leur club formateur, vont très vite s’imposer dans les rangs Ciel & Marine, l’ainée, surnommé Soukane I, comme défenseur central intraitable et le cadet, Soukane II, comme un avant-centre extrêmement efficace. Inséparables, les deux frères mettront leur carrière entre parenthèse pour rejoindre en 1958 la fameuse équipe du FLN et le mouvement de lutte pour l’indépendance de l’Algérie.

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En 1962, après la guerre d’Algérie, les frères Mohamed et Abderrahmane Soukane retrouvent le club normand. Le HAC alors en Division 2, mais qui a gagné la Coupe de France 1959 durant leur absence, aura le bonheur de bénéficier de ses deux valeureux algériens et notamment le talent de grand buteur du plus jeune Abderrahmane. Lors de la saison 1962/1963, ce dernier dispute 35 matches et inscrit 14 buts, mais fera encore mieux la saison suivante, en 1963/1964, où il inscrit 21 buts en 29 matches, terminant alors meilleur buteur de Division 2.

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Malheureusement cet instant de gloire n’aura pas de suite, du moins sur les bord de la Manche, le HAC abandonne à l’issue de la saison son statut professionnel et est rétrogradé en D3. Mohamed Soukane a alors 33 ans et décide de mettre un terme à sa carrière professionnelle en France pour rentrer en Algérie. A la force de l’âge, Abderrahmane, 28 ans, décide naturellement de poursuivre sa carrière et rejoint l’US Toulouse (de 1964 à 1967) en 1ère Division avant de terminer sa carrière lors d’une ultime saison de 1ère Division avec le Red Star (1968-1968). Il évoluera également à huit reprises avec la sélection algérienne de 1962 à 1965 avec en apothéose un dernier match face au Brésil de Pelé.

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Abderrahmane Soukane est décédé le dimanche 5 juillet 2015 à son domicile en Algérie à l’âge de 78 ans. Son grand frère Mohamed Soukane le rejoindra le 2 novembre 2021 à l’âge de 90 ans. Ils resteront à jamais comme des légendes du football algérien.

Le parcours des frères Soukane raconté par Stanislas Fenkiel:

Abderrahmane Soukane, né à El Biar (Alger) a cinq frères et sœurs, dont l’aîné (cinq ans de plus que lui), Mohamed est lui aussi footballeur professionnel (défenseur). Il est en « troisième position ».

Tout comme les autres footballeurs rencontrés nés dans les années 1930, les conditions de vie -et de survie- de ce footballeur semblent être terriblement difficiles : « on vivait tous dans un deux pièces, on dormait par terre. Il y avait des peaux de moutons qui nous servaient de matelas. On était dans le centre de la misère». Son père, qu’il décrit comme un « analphabète et un ignorant ne parlant pas français », très pieux, est un modeste employé de l’E.G.A. (Électricité et Gaz d’Algérie) et encore, précise-t-il, « il ne montait même pas sur le poteau. Il était là comme un porteur ». Plutôt tolérant quant à la pratique footballistique de ses fils, à condition qu’ils n’abîment pas leurs chaussures, il n’en est pas pour autant un sportif. Le football l’indiffère. Notons tout de même que son que son beau-frère est Abderahmane Ibrir, célèbre gardien de l’Équipe de France de football (1949-1950), et qu’il n’est pas « indifférent » aux bénéfices qu’il peut tirer des « talents balle aux pieds » de ses enfants. Abderrahmane Soukane* fréquente l’école française toute proche et en est vite écarté après avoir obtenu son certificat d’études.

mohamed et abdelkader soukane JSEB 1953 el biar fln legende

Dès 1951, après avoir découvert le football dans la rue, s’exerçant rarement avec de vrais ballons (« plutôt des petites balles de tennis »), il rejoint son frère Mohamed au club musulman du quartier, la Jeunesse Sportive d’El Biar. C’en est fini du scoutisme auquel le père l’avait inscrit. Se rendant spontanément au club qui ne lui fait pas payer sa licence, surclassé très tôt, les performances s’enchaînent : « on est arrivé avec cette équipe au quart de finale de la Coupe d’Afrique du Nord ». Sur les conseils d’Abderrahmane Ibrir, Mohamed va faire un essai peu concluant à l’Olympique de Marseille alors qu’Abderrahmane confirme chaque jour à El Biar. Il s’y plait et est rémunéré discrètement. « Le Président qui avait un hammam me donnait tous les mois 10 000 francs en cachette. Il savait qu’on n’avait rien du tout ». Alors qu’une réelle scission scinde les deux communautés (« française d’Algérie » et « musulmane »), il dit avoir été convoité par d’autres clubs « musulmans » (Mouloudia et U.S.M.A.) comme les riches clubs européens comme le club rival, le S.C.U. El Biar le S.C.U.E.B. nous avait offert presque un château pour aller jouer chez eux ». Il paraît donc hors de question de quitter le club de ses débuts. Le club de ses débuts dans lequel il peut s’opposer symboliquement au colonat : « le football, c’était à nous » affirme-t-il haut et fort.

soukhane abderahmane buteur hac havre legende

Cependant, la Guerre d’Algérie éclate… « Notre départ en France… C’était pas une envie ni un objectif mais il fallait qu’on échappe à cette guerre donc on est parti en 56. On est monté en France. En fait, Lucien Jasseron, l’entraîneur de Boufarik allait prendre en charge l’équipe du Havre. Il a donc négocié avec mon oncle. « Je vous laisse les 2 frères ». « Je les emmène avec moi, je vais en avoir besoin ». Et c’est lui qui nous a emmené au Havre. Ibrir, chef du F.L.N. à El Biar, pour qui j’allais parfois déposer des lettres même si j’étais peu engagé, a voulu peut-être nous mettre de côté. « Il vaut peut-être mieux ne pas les laisser ici car demain, ils vont les tuer » ». Après avoir obtenu l’autorisation du F.L.N. – et donc l’avoir rémunéré en contrepartie-, Abderrahmane et Mohamed Soukane atteignent Le Havre avec leur oncle Smaïn Ibrir*. Malgré la surprise et le dépaysement initial, ils s’adaptent très rapidement au Havre où leurs conditions de vie et prérogatives s’améliorent significativement… Supporters, présidents, équipiers, la joie d’être en métropole est sans limite. Peut-être car dès la saison 1956-1957, Abderrahmane Soukane* termine meilleur buteur de seconde division. « A la fin de ma première saison, je suis rentré à Alger pour passer quelques jours de vacances en famille. A mon arrivée, j’ai trouvé un ordre d’appel de Blida pour mon incorporation dans l’armée française. Dix jours plus tard, je rejoins la caserne à Blida et cinq jours après, nous embarquons «destination Marseille». De Marseille, nous avons pris le train pour Vannes ». Bénéficiant d’un régime dérogatoire, il s’occupe de faire faire des « bols d’air et des tours de piste » aux appelés, il est peu libéré les week-ends dans son club du Havre. Après la première vague de départs de footballeurs pour Tunis (Équipe F.L.N.), son quotidien change de manière notoire. « On m’a mis quelqu’un avec moi, un aspirant, il ne me lâchait plus. « Soukane, il ne faut pas le lâcher. Il faut qu’il y ait toujours quelqu’un avec lui ». Et j’ai réussi à les éviter et puis, je suis parti ».

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Effectivement, un émissaire du F.L.N. se présente rien moins qu’à la caserne de Vannes (!) et se fait passer pour le Président du club havrais. Il lui donne rendez-vous au Café « Le Départ » à Paris le 28 juillet 1958, où il retrouve son frère, son oncle, Bouchache, Mazouza et Zouba*. Toujours militaire, il quitte illégalement la caserne avec « emports d’effets militaires ». Il sera condamné pour cela à 10 ans d’emprisonnement (jugement effacé à l’Indépendance). Mais comment lui faire quitter le pays, lui qui a pour seule pièce d’identité une licence de joueur ? L’arrivée à Bruxelles se fait sans grand encombre mais le passage en Allemagne est bien plus rocambolesque. Seul, il est pris en charge par 5 membres du réseau Jeanson, des membres différents et dont il ne connaît pas le prénom. Finalement, il « passe » en Allemagne en suivant dans la forêt à vive allure un inconnu. Arrivé plus tôt que les autres footballeurs à Bône (ce qui va lui causer une grosse frayeur), il les retrouve finalement à l’hôtel. Ils partent tous quelques jours plus tard pour Tunis, après avoir récupéré de faux papiers à l’Ambassade de Tunisie. Cette expérience (« défendre les couleurs du drapeau algérien à travers le monde ») l’a marqué à jamais : « avec ce qui nous payait en Tunisie, c’était largement assez. Et puis, on était là, on attendait, on s’entraînait. On était les stars de Tunisie. Les dirigeants prenaient des contacts un petit peu partout. Puis, ils viennent nous dire : « bon, à partir de tel jour, il faut que vous soyez prêts. » Alors, on sortait pour 3 mois… Les Pays de l’Est, la Chine, le Vietnam, au Maghreb, en Tunisie, au Maroc. Les voyages à travers le monde nous ont vraiment enrichis ».

fln Rouai Zouba Zitouni Bekhloufi Amara Boubekeur Kerroum Oudjani Soukhane Bentifour Maouche

3 Juillet 1962… L’Algérie est Indépendante… « On rentre ici, le 5 juillet à minuit. Alger… Directement la famille… Depuis 4 ans, on ne s’était pas vu. Les grandes retrouvailles… Il n’y avait jamais eu de correspondances, rien du tout, aucune nouvelle… » Dès le lendemain, lui et son frère reçoivent un télégramme du Havre au domicile familial indiquant que leur retour est attendu et qu’ils ont des billets d’avion à aller chercher. « On leur a répondu : « on reviendra » ». Trois mois après, ils retournent au Havre.

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Fait plutôt rare, le nouveau Président du club vient les chercher à la gare du Havre. Durant les négociations, la fermeté du cadet l’emporte : « j’avais 26 ans. Il y en a qui ont été lésés parce que quand ils sont arrivés ici à 32 ou 33 ans, comme mon frère, c’est plus pareil… Alors moi, j’ai pas voulu faire individuellement. J’ai dit : « tous les 2. Les 2, vous nous donnez tant ». Contrairement à d’autres footballeurs revenus en France après 1962 (tel Abdelkrim Kerroum à Troyes), la ville communiste les accueille « à bras ouverts. On était les chouchous ». Abderrahmane Soukane ne se fait pas prier pour être « efficace » : il inscrit lors des saisons 1962-1963 et 1963-1964 pas moins de 15 et 21 buts. N’aurait-il pas progressé pendant ces quatre années passées à Tunis avec les Aribi, Ben Tifour, Kermali ou encore Mekhloufi ? En 1964, alors qu’il est toujours International algérien et que Mohamed met un terme à sa carrière professionnelle, il rejoint la formation toulousaine, entraînée alors par Kader Firoud. Trois années en première division où ses conditions salariales s’améliorent dans l’équipe du «Milliardaire Rouge» Doumeng. Et même si le nombre de ses réalisations diminue significativement (17 en trois ans), les « moments de fraternité » sont toujours bien présents. Un transfert d’une année au Red Star et puis, à 32 ans, le retour en Algérie en tant que joueur une saison à l’U.S.M. Bellabès (« je savais que tout ce que j’allais demander au Président du club, il me le donnerait et puis il y avait ma petite fille ») et une saison à la J.S.E.B. jusqu’à « la fin du film ».

Abderrahmane Soukane, une fois prise sa retraite de joueur, n’a jamais entraîné de club en Algérie « pour ne pas perdre les amis ». Cependant, il s’occupe quelques temps des équipes nationales algériennes, qu’elles soient militaires ou non : comme il aime le rappeler : « après je suis rentré à l’armée ici en Algérie… Où j’étais avec le staff du sport avec Mekhloufi*, avec mon frère, avec Rouaï*, avec Kermali*… C’est nous qui avions pris le football militaire de 1970 à 1980. Les meilleurs joueurs qui sont passés en Algérie, ce sont les joueurs de l’Equipe F.L.N. quand on est rentré… Et tous les titres reviennent à 80 % des entraîneurs de l’Equipe F.L.N ».

Biographie reconstituée à partir d’un entretien réalisé par Stanislas Frenkiel avec Abderrahmane Soukane à Alger (Algérie) le 22 juillet 2006. Entretien d’une durée de 04h44, intégralement retranscrit en 31 pages.

Abderrahmane Soukane

Né le 13 septembre 1936 à El Biar (Alger) Inter droit

 1951-1956 : Jeunesse Sportive El Biar 1956-1958 : Havre Athletic Club (D 2) – Jusqu’en juillet 1958

 1958-1962 : Équipe du F.L.N. (Tunis) 1962-1964 : Havre Athletic Club (D 2) 1964-1967 : Toulouse Football Club 1967-1968 : Red Star Football Club 1968-1969 : Union Sportive Musulmane Bel Abbès

 1969-1970 : Jeunesse Sportive El Biar

Mohamed Soukane

Né le 12 octobre 1931 à El Biar (Alger) Défenseur central

 1951-1956 : Jeunesse Sportive El Biar 1956-1958 : Havre Athletic Club (D 2) – Jusqu’en juillet 1958

 1958-1962 : Équipe du F.L.N. (Tunis) 1962-1964 : Havre Athletic Club (D 2)

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