Historien du sport et enseignant-chercheur à l’université d’Artois, Stanislas Frenkiel a beaucoup travaillé sur les footballeurs professionnels algériens ayant évolués en France. En effet, après y avoir consacré sa thèse de doctorat, il publie aujourd’hui un livre qui s’intitule : « Le football des immigrés : France –Algérie, l’Histoire en partage ». Les chroniqueurs de l’émission C’est Vous l’Expert ont eu l’occasion de s’entretenir avec lui au sujet de cet ouvrage, qui est une véritable mine d’or pour tous les passionnés du football algérien. En effet, Stanislas Frenkiel a rencontré et interviewé plus de soixante anciens joueurs pros, dont tous les survivants de l’équipe du FLN !
Bonjour Stanislas, peux-tu te présenter ?
Bonjour, je m’appelle Stanislas Frenkiel, je suis historien du sport à l’UFR Staps de l’Université d’Artois. Pour devenir enseignant-chercheur, j’ai soutenu une thèse de doctorat en 2009 consacrée à l’histoire des footballeurs professionnels algériens en France. Depuis, j’ai amélioré cette thèse grâce à des interviews complémentaires, des photos… etc. et j’en ai fait un livre qui s’appelle : « Le football des immigrés : France-Algérie, l’Histoire en partage ». (Disponible à la FNAC au prix de 24 euros)
“J’ai retrouvé et interviewé tous les survivants de l’équipe du FLN et même des joueurs pros algériens des années 30′ et 40′”
Comment en es-tu arrivé à t’intéresser à ce sujet ?
J’ai commencé à m’intéresser à l’histoire du football et aux questions d’immigrations dans ce sport dès 2005. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas grand-chose sur l’histoire de ces sportifs algériens qui, lors de la période coloniale, venaient travailler en France et qui, depuis les années 80, retournent jouer en équipe nationale d’Algérie. Je me suis donc intéressé à ces trajectoires d’immigrés en allant retrouver d’anciens joueurs professionnels algériens. Seuls ceux qui avaient joué en première ou deuxième division française m’intéressaient pour mon travail. Au total, j’ai passé près de quatre mois en Algérie, et j’ai retrouvé des anciens pros qui jouaient en France dans les années 30-40-50. Par exemple, j’ai retrouvé et interviewé tous les survivants de l’équipe du FLN (…).
Pour résumer, on peut dire que j’ai retrouvé trois générations de joueurs. La première génération, ce sont les migrants sportifs. Ceux qui ont été formés en Algérie et qui sont venus travailler en France, comme Rachid Mekhloufi en 1954. Ceux de la deuxième génération, les migrants familiaux, sont nés en Algérie, mais ont grandi en France comme Mustapha Dahleb. Enfin, ceux de la dernière génération, sont ceux nés dans l’Hexagone, qui ont pris le pouvoir dans le championnat de France puis en équipe nationale d’Algérie. Nordine Kourichi est le premier de cette dernière génération.
“J’ai rencontré plus de 60 anciens footballeurs de toutes générations. J’ai reçu un accueil formidable en Algérie”
Peux-tu nous parler du format de ton livre ?
Concrètement, j’ai retrouvé et interviewé plus de 60 anciens footballeurs pros, qui font partie de ces trois générations dont je viens de vous parler. Ce livre est composé de douze chapitres, de centaines de photos et d’entretiens avec ces anciens footballeurs professionnels.
Pourquoi avoir choisi de t’intéresser aux joueurs algériens particulièrement ?
D’abord pour une raison sportive ! A l’époque coloniale, les Algériens écrasaient, quantitativement, les auteurs joueurs venant du continent africain (NDLR : les Marocains, les Tunisiens et les Sénégalais). Rien que sur la saison 56-57, une trentaine de joueurs étaient des « franco-musulmans » (NDLR : Algériens aujourd’hui) dans les clubs de D1 et D2 alors qu’on ne dénombrait que six Marocains et quatre Tunisiens.
Ensuite, il faut savoir que l’Algérie est le premier pays africain à avoir mis en place une politique de rappel de ses binationaux en équipe nationale. On l’a d’ailleurs vu lors des Coupe du Monde 2010 et 2014, et lors de la CAN 2019. Lors de ces compétitions, 90% des joueurs de l’équipe nationale étaient nés et formés en France.
“Le récit d’Abdallah Liégeon de l’AS Monaco m’a marqué ! Des histoires comme ça dans mon livre, il y en a énormément”
Quel entretien t’a le plus marqué ?
Je pourrais citer plein d’histoires qui m’ont marqué… Mais là tout de suite, je pense à celle d’Abdallah-Liégeon de l’AS Monaco. Il est né près d’Oran et il raconte dans le livre son arrivée compliquée en France. Sa mère, plus ou moins divorcée, tombe amoureuse d’un militaire français qui est lui-même un appelé. Liégeon arrive alors dans une cité HLM de Besançon dans les années 50 et on s’attend donc à une magnifique histoire d’amour. C’est en fait tout le contraire, son beau-père va très vite délaisser sa mère et « avoir le poing lourd ». Liégeon me raconte son histoire de vie magnifique durant laquelle il sera placé à la DAS et récupéré par sa mère qui, quasiment illettrée, se battra de façon acharnée pour le récupérer et l’élever. Il trouva dans le football un immense espace d’ascension sociale avant de redécouvrir l’Algérie. Des histoires comme ça dans mon livre, il y en a énormément. Elles sont toutes plus incroyables les unes que les autres.
Peux-tu nous raconter une anecdote de ton périple en Algérie ?
En fait, il faut savoir que mon travail s’est appuyé sur des entretiens oraux et que, malgré mon immense persévérance à l’époque pour accéder aux archives de la FAF et avoir des rdv au MJS, ce fût très compliqué… Par exemple, l’inspecteur général du MJS m’a donné neufs rendez-vous. Et devinez à combien d’entre eux il est venu ? Seulement deux. Malgré tout, l’hospitalité et l’accueil que j’ai reçu en Algérie, et notamment des anciens footballeurs que j’ai interrogé, ont été exceptionnels.
“En 2007 à Valenciennes, Belmadi est venu me chercher à la gare… il était très curieux à propos de ma recherche”
Tu as interviewé Belmadi en 2007 lorsqu’il était à Valenciennes, est-ce que tu as senti qu’il pouvait devenir l’entraîneur qu’il est aujourd’hui ?
Pour l’anecdote, il est le seul joueur de mon livre que j’ai rencontré alors qu’il était encore en activité. Comme vous l’avez signalé, il jouait au VAFC. Je me souviens qu’il est venu me chercher en voiture à la gare… c’était très sympa de sa part vu son emploi du temps surchargé. On a réalisé l’entretien au stade Nungesser et il était très curieux à propos de la recherche que j’étais en train de réaliser. Nous n’avons pas parlé de son après-carrière, mais j’ai senti quelqu’un de très sérieux, de très rigoureux et soucieux de faire les choses de manière carrée. J’ai rencontré une soixantaine d’anciens footballeurs toutes générations confondues, mais cette rencontre m’a marqué.
>> Découvrez l’intégralité de ses déclarations dans l’émission complète à retrouver ici :
https://www.youtube.com/watch?v=d5stEuj-tjQ&feature=emb_title
Bonus – Le message de Chérif Oudjani :