Installé depuis le mois de septembre à la tête du directoire qui gère le handball algérien, l’ancienne gloire des années 80, Abdelkrim BENDJEMIL a donné une interview exclusive à LGDF. Il aborde avec nous la situation de la petite balle algérienne, les raisons qui le pousse à être dans ce siège inconfortable, le 7 national, le handball féminin et celui des jeunes catégories.
LGDF : Tout le monde connaît le joueur mais personne ne connaît le dirigeant. Quel a été votre parcours de dirigeant ?
Quand je suis revenu d’Europe j’ai voulu transmettre mon savoir aux jeunes à Oran comme on l’a fait pour moi. Comme tout était bloqué, j’ai créé avec d’autres anciens joueurs un club dans mon ancien quartier, l’AS Castors. Cela fait 11 ans que je suis président de ce club, on a glané des trophées nationaux, surtout avec les équipes de jeunes féminines.
“Quand on a pris possession des lieux, on a trouvé une gestion catastrophique !”
Aujourd’hui vous êtes l’un des responsables du directoire, c’est l’assemblée qui gère le handball algérien. Pouvez-vous nous expliquer qu’est-ce que ce directoire ?
Tout le monde sait ce qui s’est passé au mois de septembre avec la suspension du président de fédération par le ministre de la jeunesse du sport. À ce moment-là on a fait appel à moi, pour diriger un directoire avec deux autres collègues qui ont eu la fonction à plusieurs reprises de président de fédération. Cela fait deux mois qu’on travaille à remettre de l’ordre dans la fédération. Quand on a pris possession des lieux, on a trouvé une gestion catastrophique. Par exemple il y avait énormément de factures impayées (eau, électricité …). Nous avons travaillé dans des conditions infernales, on n’avait même pas de ligne téléphonique puisqu’elle a été coupée pour impayés. Alors on s’est attelé à résoudre tous ces problèmes financiers et administratifs.
Excusez-moi monsieur Bendjemil, je ne comprends pas pourquoi il y avait des factures à payer puisque la fédération handball avait des subventions du ministère afin de pallier à tout ça. Avez-vous des explications à nous donner ?
C’est tout le problème d’aujourd’hui. On cherche à savoir pourquoi de simples factures téléphoniques ne sont pas payées. Nous cherchons à savoir pourquoi est-ce qu’il y a tant de dettes, au-delà des factures qui sont normales, à la fédération. Ce n’est pas à moi de juger l’ancien président, de régler des comptes avec des gens. Son dossier est au niveau du tribunal et c’est d’autant mieux comme ça. On a fait appel à moi par amour de la discipline et du pays. Je ne suis pas payé, j’ai laissé ma famille à Oran et je travaille à Alger toute la semaine. Par mon expérience, on a fait appel à moi, afin de remettre sur rails la fédération et non pas pour régler des problèmes avec des gens. Ce n’est pas mon intention.
Le MJS a demandé une enquête contre l’ancien président, est-ce que vous savez où en est on ?
Dans le détail non, tout ce que je sais c’est que le dossier est en instruction au tribunal. C’est tout ce que je sais.
Pourquoi le ministre vous a-t-il choisit pour gérer ce directoire et surtout être au poste pour gérer le handball algérien ?
(Rire) – Bon c’est un peu complexe à répondre, mais voilà – J’ai entendu dire que le Ministre a eu une liste de noms, Et qu’il m’a choisi parce que je suis honnête et je ne traîne pas de casseroles.
“On a déjà organisé la Supercoupe Algérie … je voudrais remercier le comité d’organisation des Jeux Méditerranéens à Oran qui nous a beaucoup aidé”
Cela peut paraître comme une question anodine et qui peut faire rire, mais on peut légitimement se poser la question, pourquoi est-ce que Monsieur le ministre vous a choisi vous et pas un autre, alors que, à ma connaissance, vous n’avez pas d’expérience dans les instances fédérales.
Oui effectivement je n’ai jamais été dans une instance fédérale. Mais ce qui ne veut pas dire que je ne peux pas gérer une telle administration. D’autant plus que je suis entouré par des gens d’expérience qui ont déjà ce vécu. Jusqu’à aujourd’hui, on gère très bien la fédération. On a déjà organisé la Supercoupe Algérie, ce qui a permis à des clubs de jouer la coupe arabe des clubs. Sans argent, puisque nos comptes étaient bloqués. On a réussi à organiser au bout de seulement 15 jours, cette compétition. D’ailleurs je voudrais remercier le comité d’organisation des jeux méditerranéen, à Oran, qui nous a beaucoup aidé.
Qui gère le directoire ? Qui prend les décisions finales ?
Ce sont des décisions collégiales. Je ne prends pas de décision tout seul. Toutes les décisions prises, nous les prenons dans la stricte légalité. Nous restons dans notre rôle du directoire. Par exemple, pour le début du championnat féminin, c’est une concertation entre membres du bureau. Mais c’est vrai, il y a des fois des décisions que je prends moi-même, mais cela n’a jamais posé de problèmes.
Monsieur Labane a été élu dernièrement conseiller au sein de la confédération africaine de handball (CAHB), alors qu’il est suspendu en Algérie. Ne trouvez-vous pas cela anormal ?
C’est une erreur de sa part. Afin d’être élu au sein de la confédération, il fallait qu’il soit mandaté par la fédération. Ce qui n’est pas le cas. Je rajouterais même qu’il fallait qu’il ait le feu vert du ministère. Nous avons fait un rapport détaillé de sa situation à la CAHB pour demander des explications et nous attendons son retour. C’était une assemblée élective qui devait se dérouler en Turquie. Finalement elle s’est déroulée en visioconférence. Nous avons écrit et appelé la CAHB, en laissant des messages, mais nous n’avons eu aucune réponse. Puis on a entendu et lu que Monsieur Labane a participé à cette élection et a été élu. On a demandé comment est-ce que la candidature de Monsieur Labane a été saisi et pourquoi est-ce que la fédération algérienne n’était pas au courant. Jusqu’à aujourd’hui, on attend toujours leur réponse.
Le directoire a été nommé pour trois mois. Sa date arrive bientôt à échéance, est-ce qu’une reconduction du directoire est à l’ordre du jour ?
On a bien reçu l’ordre du ministère afin de reconduire le directoire jusqu’à la mise en place d’une assemblée élective. Il sera sûrement étoffé par un plus grand nombre de personnes car nous devons reprendre le championnat féminin bientôt. Donc il faudra une Commission d’arbitrage, une commission d’organisation des coupes. On va travailler pour la constitution de ces commissions.
Quand est-ce que vous envisagez de revenir à une situation normale avec une fédération élue pour diriger le handball algérien ?
Pour l’instant on ne le sait pas, le dossier est toujours aux mains du ministère. C’est lui qui décidera de la date de la mise en place d’une assemblée élective.
La coupe d’Algérie 2019-2020 va bientôt reprendre. Pourquoi n’a-t-on pas annulé cette compétition et repartir sur des bases saines avec celle de 2021-2022, comme cela est fait ailleurs ?
Tout simplement pour donner du temps de jeu aux équipes. Elles ont tellement été en sourdine, sans compétition, qu’on a décidé de leur donner du temps de jeu en reprenant cette compétition 2019-2020. Cela fait maintenant deux ans qu’ils ne se sont pas affrontés. Il y a encore des problèmes sur la reprise du championnat masculin, s’il faut 25 ou 16 clubs (voir en fin d’interview les décisions prises lors des réunions post entretien avec Monsieur Bendjemil). Pour les filles on va bientôt reprendre aussi le championnat, le 24 décembre.
Quand est-ce que tout cela a été décidé ?
Il y a eu une réunion technique entre les directeurs sportifs de chaque club et le directoire, ce mardi 23 novembre. Lors de cette réunion, il y a eu une discussion concernant les reprises des championnats. Comme il restait encore du temps jusqu’à la reprise, les clubs nous ont demandé de reprendre cette coupe d’Algérie où elle s’est arrêté, c’est-à-dire en huitième de finale pour les hommes et quart de finale pour les femmes.
Les championnats nationaux, hommes ou femmes, n’ont pas repris. Les joueurs sont dépités, au mieux, certains ont quitté l’Algérie (les meilleurs), au pire, ils ont arrêté leur carrière pour se consacrer à subvenir à leurs familles, quel message, aujourd’hui, le président du directoire peut leur lancer afin d’arrêter cette hémorragie de perte de talents ?
Oui bien sûr j’ai entendu leur cri du cœur. J’ai été handballeur et je sais leur malaise. Ça me fait mal au cœur de les voir dans cette situation. Il y a eu d’abord la crise sanitaire où tout le pays s’est arrêté, le sport compris. Pour le handball, le championnat a été arrêté par le ministère de la santé, ainsi que celui des sports. La situation d’après a été très mal gérée, et c’est pour cela que j’ai envie de reprendre le plus vite possible les différents championnats afin que ces joueurs soient payés puisque le handball c’est leur travail. Je les comprends, j’ai mal au cœur pour eux.
“Le souci était directement lié à la relation entre le sélectionneur Alain Portes et l’ancien président de la fédération”
Il y a des joueurs de l’équipe nationale qui ne comprennent pas pourquoi est-ce que on a mis en veille l’équipe alors qu’au football, malgré l’arrêt des championnats, les équipes nationales ont continué à fonctionner. Quel est votre sentiment ?
Le souci était directement lié à la relation entre le sélectionneur, Alain Portes, et l’ancien président de la fédération. On a su dernièrement que le sélectionneur était mené en bateau. En plus des arriérés de salaire non payés, le sélectionneur ne voulait plus revenir. Il l’a dit lui-même. La situation était très compliquée pour travailler en sélection. Maintenant que faut-il faire ? Rester toujours dans cette situation ou aller de l’avant ? Mon vœu est de repartir très vite, mettre en place un staff technique aussi bien pour les garçons que pour les filles. D’ailleurs il n’y a pas que les sélections séniores, il y a aussi pour les sélections de jeunes. Par exemple, les U18 filles ont un championnat d’Afrique en février, en Guinée, et les U17 garçons ont une coupe arabe en décembre. Je ne sais pas si cette dernière, qui se jouera en Irak, sera jouée, décalée ou délocalisée, mais il faut s’y préparer.
Le gros rendez-vous est pour l’équipe nationale avec le championnat d’Afrique qui se déroulera au Maroc. On ne sait toujours pas si le Sept national disputera ou non cette CAN. Pouvez-vous nous dire où en est la situation ?
Vous connaissez le problème de cette situation. Cette coupe d’Afrique est prévue de se jouer à Laayoun. Nous sommes contre cela et le dossier est en cours de règlement au niveau des instances algériennes. Je n’ai toujours pas d’échos concernant cela. Mon souhait est que ce championnat soit décalé afin d’être délocalisé et qu’on puisse le jouer ailleurs. Mais là c’est juste les vœux d’Abdelkrim Bendjemil rien d’autre. Aujourd’hui je ne sais pas si la situation a évolué ou non.
Beaucoup de supporters et de handballeurs sont très pessimistes concernant cette situation. Il y a encore un ou deux ans, l’Algérie avait protesté contre l’organisation de la coupe d’Afrique de Futsal au Sahara occidental. Malgré cela, la compétition s’est quand même déroulée. Avec la situation actuelle et les relations avec le Maroc, on ne voit pas comment cela pourrait changer. Les conséquences sur une non participation de l’Algérie sont très graves pour l’avenir du handball algérien en général et l’équipe nationale en particulier. Quel est votre avis sur cela ?
Oui je conçois très bien qu’on pourrait avoir des conséquences fâcheuses et qu’on pourrait être sanctionné. Le problème est que c’est un dossier que je ne maîtrise pas. Le dossier est très bien traité par le ministère de la jeunesse et des sports. Je ne peux pas m’avancer sur ce qu’il va en découler. Ce que je sais c’est qu’il est entre de bonnes mains. C’est tout ce que je peux dire aujourd’hui.
L’équipe nationale féminine est à l’arrêt depuis plus de trois ans, les autres équipes féminines ne font que de la figuration. Malgré tout, dernièrement en coupe arabe, le club d’El Biar est arrivé en finale. Quel est le regard de Abdelkrim Bendjemil sur le handball féminin ?
C’est en général le sport féminin en Algérie qui est délaissé. On regroupe les équipes féminines seulement pour un mois, un mois et demi pour une compétition, puis on les laisse tomber. Il n’y a pas de travail à long terme. Pour ma part j’ai été appelé à coacher l’équipe féminine en 2018, pour la CAN au Congo. J’avais demandé à ce que je travaille à long terme pour préparer une équipe jusqu’au jeux méditerranéen de 2022. Un accord avait été trouvé, mais dès que la compétition s’est finie, on a mis fin à mes fonctions. C’est ce qui arrive en général. Il n’y a pas de travail à long terme. Puis on demande des résultats. C’est aberrant, ce n’est pas possible d’arriver à un niveau acceptable pour ces équipes quand on travaille comme ça. Il faudrait que ces équipes, féminine ou masculine, soient continuellement en stage. Il y a énormément de talent en Algérie, Mais physiquement nous sommes très loin des autres équipes. Comme nous ne sommes pas en stage régulièrement, on ne rencontre pas des équipes pour qu’on progresse. J’avais en charge les U 17 et U19, on a participé aux jeux méditerranéens. On a rencontré les italiens, les Espagnols, même les Turcs. C’était un autre niveau. Malgré le talent des Algériens on n’a pas fait le poids. En France par exemple, ils sont continuellement en stage. Ils travaillent dans des pôles. Ils sont toujours ensemble et ils répètent sans cesse les gestes pour progresser. Les nôtres ne jouent pratiquement jamais ensemble, il faut aller à des tournois, tels que les jeux méditerranéens, pour voir des joueurs étrangers. Il est temps de s’occuper des équipes de jeunes, féminines ou masculines. Il faut sûrement des assises de handball. Allez voir les clubs pour savoir comment ils travaillent, dans quelles installations et dans quelles conditions. Ce qui est sûr c’est qu’il faut mettre les moyens afin de faire progresser le jeune avant de penser à une quelconque médaille ou trophée. Le talent existe, il faut maintenant l’exploiter en améliorant les conditions de jeux. Le club d’El Biar en est le parfait exemple, malgré un manque de compétition, elles ont fait jeu égale avec les Tunisiennes et elles ont terminé 2ème du championnat arabe. Par contre on a vu les limites chez les garçons, Skikda et Saoura n’ont pas tenu physiquement par manque de compétition depuis deux ans.
Cela contredit un peu ce que vous avez dit lors d’une interview à la TV algérienne, dans laquelle vous dites que 80 % de l’effectif de l’équipe nationale jouent à l’étranger donc on peut aller maintenant à la coupe d’Afrique même si la préparation n’est pas adéquate. Cela a choqué certains. Que leur répondez-vous ?
Non, il ne faut pas tout mélanger. On m’a posé une question précise par rapport au fait, si on pouvait prétendre à une troisième place lors de la prochaine coupe d’Afrique. C’est là que j’ai dit, avec l’effectif qu’on a, jouant à 80 % à l’étranger, oui, on peut prétendre à cette place. Ce sont des joueurs qui jouent à un niveau élevé, régulièrement, chaque semaine 1 ou 2 matchs, donc oui pour moi, on peut prétendre à cette troisième place. Mais en aucun cas, je prétends qu’on peut y aller sans préparation. Pour une telle compétition, il faut absolument des stages et des matchs de préparation. De plus, on parle de l’Algérie. Je ne peux pas dire en parlant de l’équipe d’Algérie du handball, qu’on va finir 10e ou 11e. Il faut être raisonnable. C’est l’avis de Bendjemil et non pas du directoire.
“Alain Portes, il n’y a aucun problème entre lui et moi… Il lui reste huit mois de salaire, on va lui payer, il n’y a pas de problème”
Où en est-on avec le problème d’Alain Portes? Dans une interview, il a dénoncé beaucoup de mensonges de la fédération.
Alain Portes est une personne que je connais, j’ai joué contre lui. Il me connaît aussi très bien. Il n’y a aucun problème entre lui et moi, on se respecte. Je l’ai eu au téléphone, par rapport à sa situation. Je vais redemander tous ses papiers, parce que quand j’ai pris mes fonctions au directoire, je n’avais rien de son dossier. Que ça soit lui où Tahar Labane, ils nous ont envoyé leurs documents afin de tout régulariser. Mais en Algérie, cela ne se passe pas comme ailleurs. La machine administrative est lente, surtout quand il faut envoyer de l’argent à l’étranger. On vient de finaliser son dossier, et on travaille avec le ministère de la jeunesse et des sports afin de lui envoyer ses arriérés. Il lui reste huit mois de salaire, on va lui payer, il n’y a pas de problème.
Est-ce qu’on pourrait envisager qu’il pourrait reprendre du service avec les verts ?
Non. Que ce soit de son côté ou du notre, tout est terminé. Il l’a bien déclaré lui-même qu’il ne reviendra pas.
En restant dans les problèmes financiers, il y a aussi les joueurs qui demandent toujours leurs indemnités des précédents tournois CAN ou coupe du monde.
Ce problème a été réglé. Les joueurs ont reçu leurs indemnités. Le ministère leur avait promis une prime pour la dernière Coupe d’Afrique, on leurs a tous virés leurs primes la semaine dernière, sur leurs comptes bancaires.
Un dernier mot pour les supporters du Sept National?
Il faut qu’ils gardent espoir. Mon vœu le plus cher et que le handball algérien revienne en son temps de gloire, que ce soit dans les années 90 ou 2000. J’ai envie de revoir ce 7 national sur la plus haute marche pour emporter des médailles ou des Coupes d’Afrique, participer à des Championnats du Monde. Je suis handballeur donc je suis amoureux de cette discipline. Donc j’aimerais toujours voir l’équipe nationale jouer les premiers rôles. Inch’Allah l’État est en train de se pencher sur le problème du handball afin qu’il sorte de son marasme. Merci à tous.
NB : Finalement lors d’une 2ème réunion qui s’est déroulée le 24 novembre, décision prise le 26 novembre – juste après cette interview – le championnat commencera avec une 1ère phase qualification à 25 clubs (5 groupes de 5). Les 3 premiers de chaque poule et le meilleur 4ème seront qualifiés pour le championnat à 16 équipes. Une décision sera prise, lors de la réunion du directoire du 8 décembre, pour statuer sur les 9 équipes éliminées.